L’étiquette « gothique », trop rapidement collée sur le groupe à cause de son nom, va aussi bien à Cercueil que l’uniforme fluokid à Christopher Lee. Certes, leur musique n’est pas très fun. Mais Erostrate, leur deuxième galette, est pourtant plus pop qu’il n’y paraît. De la pop perfusée à l’absinthe, hein. Explications avec Pénélope – diva en baskets sur scène, dont la voix échapperait presque au dictaphone – et Nicolas, autodidacte chercheur de sons, jouant indifféremment de la basse, de la guitare ou du laptop ; pourvu que ça sonne.

Mai 2010, première rencontre avec le duo Cercueil, Pénélope Michel et Nicolas Devos, chez eux, à Lille : une caverne d’Ali Baba où les jacks serpentent sur les tapis, au milieu de mille instruments. Où l’on causera de leurs parcours (conservatoire et violoncelle pour Madame, beaux-arts et self-made man musical pour Monsieur), de groupes inconnus à mon bataillon, de ciné-concerts, de Dunkerque (leur ville d’origine) et des concerts qu’ils y ont organisés, de Shoo Straight Shout, leur premier album. Et du second, en préparation.

Février 2011, rebelote : Erostrate est sur le point de sortir (le 3 mars). Le duo, bien qu’ayant entièrement composé le disque, est aujourd’hui devenu trio avec le renfort d’Olivier à la batterie (déjà présent à l’enregistrement du premier album), ce dernier ne pouvant être là le jour de l’interview. Tiens d’ailleurs, en parlant d’absence, où est passée leur basse à clous ?

Nicolas : Elle est juste là.

Ah oui dis donc, je l’avais pas vue, cachée derrière ses consœurs. Je reprends. Erostrate, ça n’est pas exactement du easy-listening. Pour faire simple, disons que nos deux explorateurs construisent des pop songs électro-rock (un raccourci très, très réducteur), empilant en studio les strates sonores comme d’autres les canettes de Bud. Pas question donc de confier le job d’ingénieur du son au premier pousseur de boutons venu.

Histoire d’un disque, première (outre) manche

Nicolas : On avait envie de travailler avec Nicolas Vernhes, capable de mixer des trucs électroniques et expérimentaux. Parce que finalement, il y a beaucoup d’ingés-son dans le milieu rock, mais pas beaucoup de spécialistes de la musique électro, du moins pas ici, ou alors on les connaît pas. Il y en a quelques-uns, mais ça va être très électro. Nicolas Vernhes a travaillé pour Black Dice, Dirty Projectors. On l’a contacté, on était en discussion… Au printemps 2010, un truc qu’il attendait est tombé, des gars de Rare Book Room Records, son label.

Du coup ?

Nicolas : On s’est mis à chercher, on a lancé des pistes.

Pénélope : Faut dire qu’on s’y prenait un peu tard !

Les morceaux étaient bouclés ?

Nicolas : Pas du tout ! On fait les trucs à l’envers ! On avait juste calé les périodes : « On va composer là, enregistrer là ». Il n’y avait rien d’arrêté au niveau des quelques morceaux maquettés. Et puis en passant d’ingé-son en ingé-son, on est tombé sur Alister Chant et son studio Toybox à Bristol (The Kills, prises de son pour PJ Harvey avec Parish…), on trouvait que ses prods étaient vraiment bonnes, on a eu des rapports simples dès le début. Le studio était libre et abordable pour nous, on a calé tout ça en juin. Sans savoir comment ça allait se passer.
Du coup, on a laissé tomber toutes les petites choses commencées avant, pour en faire de nouvelles, pendant l’été. En sachant qu’en septembre il faudrait être prêts pour enregistrer.

Pénélope : Le fait d’être en immersion pendant 3 mois, c’était idéal. Même si ce serait bien de travailler régulièrement. Mais le reste de l’année, on est sur d’autres projets.

Nicolas : En tout cas, on était moins speed que sur le précédent.

Pénélope : On a pu filer à Olivier une maquette avec tout dessus. La dernière fois, il avait découvert le chant sur plein de morceaux, en faisant ses parties !

Deuxième manche : un mois à Bristol, dans le quartier jamaïcain

Quand on est un « petit »  groupe, on s’organise comment pour partir enregistrer un mois à Bristol ?

Nicolas : On a trouvé un hôtel hors du commun, qui ressemble à une auberge de jeunesse, pas loin du studio, dans le quartier jamaïcain. On y est allés tous les deux, avec le camion rempli de matériel. Olivier étant jeune papa, il n’est venu qu’une semaine à la fin, pour faire ses prises.

Un exemple de l’apport d’Alister Chant ?

Nicolas : Quand Pénélope voulait de la distorsion sur sa voix, il mettait un ampli dans une pièce hermétique avec le volume de la disto à fond, plutôt que de mettre des plug-in. Il travaille beaucoup en analogique. Avec lui, tout se passe à la prise, c’est l’école John Parish.

Son studio est à Bristol. Est-il directement lié avec la scène trip-hop ?

Nicolas : Non, bon il a déjà enregistré un morceau de Portishead pour une compil qui n’est jamais sortie, mais il n’aime pas Massive Attack. D’ailleurs ils construisaient un studio à côté quand on y était. A 100 mètres.

Vous les avez croisés ?

Nicolas : Non, on se disait « Si ça se trouve on va les croiser au boui-boui d’en bas, le truc qui fait de la cuisine anglaise bien grasse », mais Alister nous a dit « Non, non, je ne crois pas qu’ils vont venir chercher un sandwich ici ». Après c’est vrai qu’à Bristol, ils se connaissent tous plus ou moins, on croisait John Parish, le guitariste de Goldfrapp, c’est très vivant, on sent toute cette culture, il y avait des concerts hyper souvent, parfois le soir on allait voir des choses intéressantes, mais d’autres soirs on les subissait : c’était la fête dès le jeudi dans l’hôtel.

(C) Amandine Laczewny

Troisième manche : ping-pong

La production est moins âpre que celle du précédent album, non ? Il y a des trucs que vous vouliez faire absolument, et vice-versa ?

Nicolas : Moins âpre, tu veux dire quoi par là ?

Pénélope : Nous on a vraiment l’impression de faire dans la continuité du premier ; on s’était juste dit qu’on voulait faire un truc plus coloré, par rapport à l’aspect monolithique de Shoo Straight Shout.

Nicolas : On n’avait pas envie qu’un morceau ressemble à l’autre.

Ca joue moins vite, non ?

Nicolas : Il y a peut-être moins de tension, ou alors elle est différente de celle du premier album. Nous, en écrivant les morceaux, on fait les choses naturellement. On ne s’est dit pas « on s’adoucit ».

Pénélope : Il y avait de vieilles envies qui avaient été laissées de côté sur le premier album, comme Know to none. C’est le genre de chanson que j’avais envie de faire depuis longtemps.

La question Bester : « D’où vous vient cette timidité naturelle ? Est-ce votre musique qui vous fout autant les boules ? »

Rires de Nicolas : On nous a posé la même question dans Tsugi.

Et alors ?

Nicolas : On n’a pas encore répondu !

Pénélope : C’est difficile de s’en débarrasser.

Nicolas : En tout cas, ça ne vient pas de la musique, c’est sûr !

Pénélope : Je me souviens que pour les premiers lives, j’étais vraiment malade avant de monter sur scène. Parfois, avant un concert où je savais qu’il allait y avoir du monde, je ne pouvais plus manger des jours avant. Mais maintenant ça va mieux ! C’est même addictif ! On apprend à dompter ça.

Nicolas : Avant, dans nos groupes précédents, c’était purement musical, on pouvait se mettre dans la posture shoegaze.

Non mais c’est vrai, Pénélope, maintenant tu es une frontwoman…

Pénélope (dans un sourire ironique) : Ouais, je vais bientôt demander aux gens de faire du bruit.

Nicolas : C’est un travail à faire : à partir du moment où tu montes sur scène il faut aussi donner quelque chose, un minimum. Sans regarder ses pompes.

Vous allez jouer avec Alan Vega ? [l’entretien a été réalisé avant les concerts de Paris et Caen]

Nicolas : Oui, on est très content. On ne l’a jamais rencontré.

Cercueil, fan de Suicide ?

Pénélope : Oui c’est sûr, à une époque on a beaucoup écouté.

Nicolas : Son dernier album est une belle collaboration ; Hurtado a réussi à produire un truc pour Alan Vega, mais en restant original. Donc on est impatients de voir ça en live.

La connexion avec le Son du Maquis ?

Pénélope : Ils nous ont découvert en live à Paris.

Nicolas : On a fait connaissance petit à petit, ils avaient assuré la distribution internationale du premier album. Et après ils se sont positionnés direct pour le second, sans avoir rien entendu.

Pénélope : Ca met un aussi un peu la pression.

Nicolas : T’as pas envie qu’ils soient déçus, car de toute façon tu fais ce que tu as envie de faire.

Une tournée en vue ?

Nicolas : Oui, ça se met en place. On a de la presse, mais ça reste difficile de jouer dans les SMAC [salles de musique actuelles, NdlR]. Avec la « crise », ils ne prennent pas beaucoup de risques. Avec l’album précédent, on a fait une trentaine de dates. On aimerait faire au moins la même chose avec celui-ci.

Ca va être encore coton de coller une étiquette sur votre musique…

Nicolas : Pour Télérama, on est des gothiques ! Suite à ça, on a inventé des noms : zouk wave, happy dark, death pop. Les gens ont besoin de nous ranger, de classer. Mais c’est normal, en même temps.

D’ailleurs Jumping War, c’est presque un reggae, non ? (Rires des deux)

Nicolas : Un reggae ? J’irais pas jusque-là.

Non mais si tu rajoutes une basse ronde…

Nicolas : Y a déjà une basse ronde. Mais y a pas le contrecoup ! On a toujours aimé ça, mélanger les sonorités. Mais oui pour ce morceau, on voulait un truc très lourd mais très rebondissant.

Une question bien bateau : les trucs écoutés pendant la composition  qui vous aurez influencé ?

Nicolas : J’écoutais beaucoup Excepters [putain,  à chaque inteview, ils sortent des noms que je ne connais pas]. C’est des New Yorkais. Comment définir leur musique… C’est très dark, expérimental indus, avec des rythmiques parfois hip hop.

Pénélope : C’est très, très dark !

Nicolas : Ca ne ressemble en rien à ce que l’on fait. Mais je trouve qu’il y a du second degré dans ce qu’ils font.

Y a du second degré dans Cercueil ?

Nicolas : Bah oui, déjà le nom. C’est le plus gros second degré.

Et A Ray Apart, c’est presque une ballade, non ?

Nicolas : Bah carrément, ouais.

Pénélope : A Shade Unit et celle-là, ça devait être une seule et même chanson au départ. Le texte est inspiré du livre La fin des temps de Murakami, l’histoire d’un gars qui abandonne son ombre. A Shade Unit, c’est le monologue de l’ombre, A Ray Apart, celui de la personne qui l’abandonne.

Il n’y a pas beaucoup d’artistes français qui pourraient me donner ce genre d’explications !

Nicolas : Mais il doit y en avoir…

Pénélope : En tout cas on s’est bien amusé sur ce titre, notamment à enregistrer les claquements de doigts (Pénélope joint le geste à la parole).

Nicolas : Le gimmick principal, c’est un gros son de basse aiguë, je trouve ça jouissif de casser ça, presque détourner l’instrument. Y a des gens en live qui nous disent ça : « tu ne jouais plus de basse, on l’entendait plus, y avait un son aigu à la place ». Bah si, c’est moi qui faisais ça.

L’album est plus pop que le précédent, non ?

Tous les deux : Non, il y a plein de chansons très explicites sur le précédent. Il n’y a pas de rupture, on aime bien que ça sonne « chanson ».

Vous l’avez réécouté avant de bosser sur le second ?

Nicolas : Non, on l’a juste réécouté quand on l’a reçu, pour voir si ça fonctionnait !

La connexion avec Bob Weston, ce garçon qui a assuré le mixage ?

Nicolas : Je le connaissais via un de mes groupes d’avant. Alister nous a parlé de lui, en nous disant que ça collerait avec notre musique. On avait peur que ce soit trop cher, mais non. Il avait fait le dernier LCD, Fuck Buttons, tout de suite tu vois l’ouverture : tu dis banco ! On lui a dit ce qu’on voulait, il a fait les deux premiers titres, il nous les a envoyés, on a commencé à travailler comme ça. Par exemple, j’avais envie d’avoir plus de basses : il a dit « je l’ai déjà fait ». Ca correspondait à ce que j’attendais et puis finalement, après plusieurs écoutes, je suis revenu à son master originel. C’est là que tu te dis « il a vraiment mis l’énergie, il sait quand même bien rendre le truc efficace ».

Pénélope : Le mixage a apporté un grain, encore une fois grâce à l’analogique.

Parlons du  titre, Erostrate, vous l’avez découvert via Sartre ou via la mythologie grecque ?

[Érostrate est l’incendiaire du temple d’Artémis à Éphèse. Mis à la torture, Érostrate avoue les motivations de son geste : il cherche à tout prix la célébrité et n’a pas d’autre moyen d’y parvenir ; les Éphésiens interdisent alors de citer son nom. Une nouvelle de Jean-Paule Sartre revient sur l’épisode « Érostrate », NdlR ]

Nicolas : Les deux !

Pénélope : C’est un clin d’œil, surtout par rapport aux Grecs, c’est le premier buzz de l’humanité.

Nicolas : Ca résonne un peu avec notre époque, où tout le monde fait des conneries pour avoir ses vidéos sur internet…

Ça ne va pas se retourner contre vous ?

Nicolas : Bah non justement, c’est évident que c’est plutôt au contraire une dérision, une façon de dire « Regardez, ça ne date pas d’hier ».

Un choix du même type que celui de votre nom ?

Nicolas : Oui c’est normal, quand tu choisis un nom comme ça, tu es obligé de te justifier. Et on le sera toujours, c’est notre croix !

Cercueil // Erostrate // Le Son du Maquis
www.myspace.com/cercueil

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