Véritable machine de guerre scénique venue tout droit de Kinshasa au Congo, le groupe Kokoko ! invente son propre punk-rock afro-futuriste à base de boites de lait et de bidons de lessive. Portrait des nouveaux Stooges.

J’ai vu le futur du rock’n’roll : il s’appelle Kokoko ! C’était un dimanche soir d’octobre, pluvieux et froid sur Paris. Croyez-moi, il fallait être courageux pour mettre le nez dehors. J’étais venu un peu par hasard au New Morning car le groupe de hip-house sud-africain Spoek Mathambo s’y produisait. Une bonne performance, pour une salle moyennement remplie de courageux venus braver le vent glacial et l’ennui.
Le concert se finit, il est 23h, tout le monde regarde sa montre ou son téléphone pour se demander s’il rentre ou pas. Il y a ce groupe qui doit jouer ensuite : Kokoko !, des mecs de Kinshasa. J’avais été emballé par les rares titres qui circulent sur leur Bandcamp. Et puis, tiens, il se passe quelque chose sur scène quand les techniciens installent le matériel : ce sont des instruments bricolés à base de boite de lait, de bidons de lessive et de boites de sardines. Mon côté Tintin au Congo colonialiste me dit que je vais rester un peu.

Mon cul, ouais : en fait, au lieu d’une performance pleine de bon sentiment world music, je me suis retrouvé en face d’un véritable assaut PUNK. J’ai assisté à la destruction de Sodome et Gomorrhe par une pluie de feu, la libération du dragon à sept têtes de la géhenne selon l’Apocalypse. Kokoko ! sur scène est plus proche d’une version unplugged de l’album «Roots» de Sepultura que d’une playlist de Radio Nova. Les congolais arrivent sur scène, tous en combinaison jaune, et ne cessent jamais d’invoquer les fantômes de Sly Stone, ESG et Talking Heads. J’ai devant moi le grand Black Sabbath en veste à franges de 1976 et avec des boites de lait en poudre. Ils agissent tel des magiciens,commandant à l’invisible, au moyen de certains pentacle et de formules chimiques. Assoiffés de sang, ils brandissent vers le démon électrique une touffe de plumes noires. Les congolais n’ont plus rien à perdre, ni Dieu en qui croire, et moi, comme eux, j’ai prié les cargos de la nuit. Kokoko ! ce soir-là, ne prend pas de prisonniers et livre une version rumba congolaise du «Metalic KO» des Stooges. Search and Destroy ! Leur force machiavélique ? Arriver en terrain inconnu et faire face à une audience un peu snob et fatiguée qui les regarde d’un œil condescendant. Et puis 70 minutes plus tard: ces mêmes gens s’accrochent aux balustrades, hurlent des propos incohérents, se roulent par terre et enlèvent leur t-shirt. Et quand le groupe s’éclipse, le public, hagard, continue de scander le nom de leur nouvelle idole païenne. Non, vous ne rêvez pas, Kokoko ! L’a fait. Que s’est-il passé ? Qui sont ces nouveaux Sex Pistols ? Converti à mon tour, le corps pris par le voodoo congolais, les yeux blancs et la bave à la commissure des lèvres ; je me précipite sur leur prochaine date à Metz pour le savoir.

https://www.youtube.com/watch?v=4JQe2zwXgkY

Avant de parler, il faut écouter

Vous savez quoi ? Cette fois, j’ai tenté de ne pas me faire avoir. Cette fois, Kokoko ! passait tard dans le cadre de l’excellent festival Musiques Volantes à Metz. J’ai observé le public dans la salle juste avant l’arrivée du groupe : toujours cet air incrédule, les bras croisés en guise de défiance et vas-y que je prends en photo les instruments à base de boite de sardines. C’est vrai, c’est marrant les boites de sardines. L’assistance ne sait pas encore ce qui les attend. Et BAM ! c’est reparti. Cette fois-ci, c’est en vociférant dans un mégaphone, et toujours en combinaison jaune, que les congolais font irruption. J’assiste tel un Haroun Tazief pop à l’irruption d’un volcan afro-futuriste. Au bout de 35 minutes cette fois, le public devient hystérique : Il y a même une fille qui monte sur scène en courant pour s’accrocher au chanteur à dreadlocks. La sécurité, débordée, essaie de la saisir mais elle se cramponne fort. Derrière elle, des jeunes prennent la scène d’assaut à leur tour, on frôle l’émeute : c’est Black Flag en live au Pierce Hall de Washington DC en 1984. Les gens hurlent des paroles incompréhensibles, font des moulinets avec leur bras et jettent leur T-shirt en l’air. J’assiste médusé, non pas à un concert, mais à un véritable rituel satanique. C’est infernal et cela ne s’arrête jamais : il faut rencontrer ces sorciers congolais. Mais attendez un peu et revenons en arrière…

(C) Gerard Love
(C) Gerard Love

Nous sommes un peu plus tôt dans l’après-midi, le même jour. Je rencontre le groupe backstage après leur soundcheck à Metz. Cette fois les sorciers pop de Kinshasa m’apparaissent sans combinaison jaune, ils ont froid sous leurs bonnets car peu habitués aux températures messines. Ils sont un peu fatigués aussi : « On n’a pas beaucoup dormi pendant le voyage. » me disent-ils. Le voyage, ils le font en van, comme un groupe punk. Autour de moi, affalés dans les fauteuils de la loge il y a Makara Bianko le chanteur charismatique à dreadlocks, Boms le bassiste-guitariste qui tape aussi sur des bouts de bois, Bovic le colosse taiseux qui officie à la batterie et Dido qui chante un peu et joue de plusieurs instruments indescriptibles. Cela ne m’a pas échappé, il y aussi un mec tout blanc avec une casquette de hipster dans le groupe : il s’agit de Xavier aka Debruit, qui s’occupe des synthés et autres cris sur scène. Je commence par leur demander un peu leur sentiment sur l’accueil complètement fou du public partout où ils passent : « C’est clairement dingue: les salles sont remplies alors que c’est seulement notre deuxième tournée. Notre première tournée on l’a faite même sans musique car on avait encore rien sorti. Les gens nous suivent, c’est super. Et il faut dire qu’à la fin de nos shows c’est assez vivant ha!ah! «. Makara le chanteur, lui, reste impressionné par l’accueil reçu à Bruxelles quelques semaines plus tôt : «C’était le chaos total comme à Kinshasa. Ce n’était pas facile, c’était la première fois que Kokoko venait là-bas et on a mis tout le monde d’accord ». Kinshasa – ou « Kin’ » pour les intimes – la ville où tout a commencé pour eux. Notamment dans un endroit qui s’appelle…

…Le couloir de Bercy.

Oui, c’est le curieux nom de ce club où officie le chanteur de Kokoko! Tout commence par la rencontre avec Renaud Barret et Florent de la Tullaye – les producteurs du film à succès Benda Bilili – qui invitent Xavier pour l’épauler sur la direction musicale de leur prochain projet cinématographique: «à l’origine c’est un documentaire sur les artistes et performers de Kinshasa qui sont au carrefour entre l’art contemporain, la danse et la musique, et qui conçoivent et construisent leurs propres instruments. Il m’a invité car il a identifié des artistes musiciens et il voulait que je m’occupe de la partie musicale. En un mois on a formé le groupe ». Il commence par rencontrer ces artisans-bricoleurs dans un quartier où vit Boms le guitariste du groupe: « j’ai écouté les répétitions» me dit Xavier « et j’y ai entendu des références européennes que eux n’avaient pas forcément car il n’y a pas beaucoup d’internet à Kinshasa». Ils commencent alors à collaborer ensemble : Debruit avec ses machines, Boms , Bovic et Dido avec leurs instruments en bois. Puis, il y a la rencontre décisive avec Makara Bianco, qui, lui, vit dans un autre quartier assez dingue, où il officie dans ce club, Le Couloir De Bercy. Makara m’explique: « c’est un lieu de répétitions publiques où je bosse six soirs par semaine, j’e m’y produis pendant quatre à cinq heures par soir. On y fait des soirées où je chante sur de la musique électronique à très fort volume, avec beaucoup de distorsion ».

Ici, on n’est pas en territoire garage rock-psyché bourgeois occidental avec des mecs qui peuvent s’acheter une Rickenbacker à 800 balles.

 

Pour avoir vécu l’expérience, Xavier me donne des détails sur l’ambiance électrique qui y règne : « C’est un endroit dingue rempli de néons cheap roses et bleus alimentés par des câbles électriques made in china qui pètent sans arrêt et peuvent fondre sur ta bière. Il faut aussi faire gaffe et vite enlever ta main pour ne pas prendre des châtaignes électriques. Il arrive aussi, que dans la folie de la nuit, les amplis et les micros explosent : c’est assez impressionnant et assez punk en fait ». Un club où de la techno cheap format MP3 128kbps y est diffusée de manière artisanale . « Moi, je prends les boucles électroniques que je répète pendant quarante minutes, jusqu’à faire péter la trance » rigole Makara.

https://www.youtube.com/watch?v=olDziVRsJIQ

Punk, évidemment dans l’attitude mais pas du intentionnellement: tout est machinal et joué à l’instinct. Il n’y a aucune pose. Même si, évidemment, les combinaisons jaunes font échos au groupe Devo, on peut aussi y percevoir une allusion à un autre groupe punk new wave du début 80’s en combinaisons: les Basement 5. Un groupe mixte sous-estimé produit par Martin Hannett. « Makara, dans son club, c’était déjà assez électronique » continue Xavier, « mais il innove beaucoup: il met son micro dans les enceintes par exemple. Il y a ce côté rock, voir punk. Cette musique est quand même assez électrique, ne serait-ce que dans l’attitude.». Et puis il y a ces instruments, DIY à l’ultime degré. Je fais remarquer à Boms que j’étais devant la scène lors de leur cérémonie occulte du New Morning, et j’avais remarqué qu’il y avait trois traits inscrit au marqueur sur le manche en bois relié à une boite par un fil de fer: « Ah ah ! Alors ça, c’est la basse avec une corde. Les marques c’est pour savoir où sont les bonnes notes… à peu près. Comme il y n’y a pas de repères, on accorde la corde à vide et après il faut savoir où appuyer pour générer la seule bonne note ». Bovic – le batteur taciturne qui pourrait jouer chez Metallica tellement sa frappe est lourde – me montre sa batterie : « ça, c’est fait avec du bois, des morceaux de triplex. Ma caisse claire, là, c’est une marmite et des casseroles. Mais toujours avec un timbre particulier. Je suis très bon soudeur, par exemple c’est moi qui me suis fabriqué la pédale de grosse caisse. Tout est fait à la main ».

« On veut décoffrer la rumba. »

Le groupe possède aussi cette instrument curieux, construit par Dido, qu’ils n’ont pas pu emmener faute de place dans l’avion: une harpe géante en forme de croix. « Cet instrument s’appelle « Jésus Crise ». C’est comme une grande sculpture, un peu comme une grande harpe, avec des sons terribles de basses et d’aigus. Un très bel instrument mais dur à transporter ah ah!». Vous l’avez compris, le côté artisan « fait main-fait bien » est dû à une économie de moyens. Ici, on n’est pas en territoire garage rock-psyché bourgeois occidental avec des mecs qui peuvent s’acheter une Rickenbacker à 800 balles. Et c’est de cette nécessité absolue de créer dans des conditions spartiates que Kokoko ! tire sa force. Mais cela veut dire quoi Kokoko, au juste?

Tintin Au Congo

Kokoko ! peut se traduire par « toc ! toc ! toc ! qui est là ? ». Curieux de prévenir avant de rentrer, quand on connait la toutepuissance du groupe sur scène, plus enclin à défoncer la porte à coup de pieds. Mais le plus surprenant, c’est qu’ils n’ont sorti que quatre titre en tout, n’ont pas encore de maison de disques et que leur tournée en Europe, ils la doivent uniquement à des tourneurs qui ont confiance dans ce projet. « Concernant les labels, on a plusieurs pistes » rajoute Xavier « on a eu des contacts en Angleterre : on a eu les visas pour faire deux shows à Londres qui étaient complets, on a eu des discussions ensuite. Après, nous, on continue d’avancer même sans labels. On verra au moment où cela se présentera ». Une réelle démarche indie: une demande de visas, on met les instruments les plus légers dans la soute de l’avion et c’est parti. Ce qui les attend en Europe, c’est un accueil démoniaque poussé par une envie de tout faire péter. Moitié punk dans l’attitude, moitié techno pour le son, avec une envie de démonter, déstructurer les a priori sur la rumba congolaise : un genre musical qui règne là-bas depuis un trop longtemps d’après eux. Makara : « non, il n’y a pas beaucoup de personnes qui font ce que nous faisons. C’est nous le nouveau son. On veut tourner la page des vieux de la rumba. Avec Kokoko ! on a mélangé toute la musique des tribus de la RDC. On veut décoffrer la rumba car ça fait trente ou quarante ans que la rumba est partout. C’est pour cela que nous avons fait un nouveau style : nous c’est techno ».

Et les chansons là dedans ? Kokoko ! est donc un digne héritier de Bad Brains et Fela. Leur quatre titres digitaux sonnent comme un croisement des expérimentations afro-futuristes d’Herbie Hancock mélangés au Basement Jaxx période house sous cocaïne du début (Fly Life, putain!). Le hit en monstueux de Kokoko! – Tokoliana – contient une extrême modernité seulement contenue dans les beats minimalistes de Debruit et les crissements roots de fil de fer grattés à travers une boite de lait. Si vous écoutez bien: vous pouvez entendre les mêmes cris de singes dans le fond que Mick Jagger sur Monkey Man : la boucle est bouclée. « See Jungle, see jungle. Go Join your Gang, Yeah », chantait le groupe pédo-new wave Bow Wow Wow en 1981.

Et la suite c’est quoi pour Kokoko? Déjà la sortie de ce deuxième EP, « Tongos’A ». Et puis ensuite le grand plan secret des grands initiés du temple, c’est de de faire venir les autres… Car Kokoko ! ce sont aussi des danseurs, des peintres et d’autres musiciens, un véritable collectif : « pour le moment on ne peut pas amener tout le monde pour des histoires de visa et d’argent. Mais le but c’est de faire venir tout le monde et de montrer le collectif au complet en vue d’une expérience totale de Kinshasa: aussi bien avec des performers, des danseurs et des performances ». Un album est en cours d’enregistrement et bonne nouvelle, une nouvelle tournée en Europe est prévue pour cette été. Hey le rockeur, mets ton gilet pare-balles !

Kokoko ! Les deux EP vaudou, « Tokolina » et « Tongos’A ».
https://www.kokokomusic.com/

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