Guitariste vedette du jouer gaucher et compagnon de route de la scène rock française, Alice Botté sort finalement un premier album qui crache à la gueule de son joli CV. De quoi botter des culs en beauté.

« J’en ai rien à foutre » comme il est écrit sur la photo de profil d’une amie dont je tairai le nom, sur fond noir et en lettre rouge. « J’en ai rien à foutre », peut-être qu’Alice qui n’est pas une fille, c’est entendu, a voulu dire un truc comme ça aussi. Sur son commentaire de profil, même s’il dit simplement « occuper une chaise », il a édité une photo de Jimi Hendrix qui bâille en gros plan. Qu’est-ce que ça veut dire ? Peut-être qu’un moment il faut se concentrer sur l’essentiel, ne plus parler ni de Brian Jones, ni d’Adrien Belew et encore moins des Ramones (où alors Johnny Marr, lui ai-je demandé par mail ? « Pas mal mais je n’écoute plus tout ça », m’a-t-il répondu, inexplicablement disponible. J’aurais dit Robert Fripp, j’aurais eu des cœurs, c’est sûr).

Mais l’aventure d’un disque solo, lorsqu’on est un guitariste de l’ombre, est toujours quelque chose que l’on remet à demain, jusqu’au moment où ce n’est vraiment plus possible. Soixante piges et puis tous les autres, morts et enterrés, cette façon de ne plus sentir les choses au point d’avoir en bouche les mêmes déclarations que Michel Sardou ou Alain Delon (« je hais cette époque », « pas fâché de mourir« , etc.) … Lorsque je croise le gars en mai 2019, il est bien embêté parce que oui, cette fois c’est prêt après 60 ans de réflexion comme il dit, il va sortir son machin. Quand ? Ça il ne sait pas encore. Dehors, on entend un marteau piqueur qui couvre le loading de Pro Tools et c’est une sorte de ronronnement, un peu comme le raidissement du système organique des salades, lorsque les chenilles se mettent à les dévorer méticuleusement (hein ?). Ce que je veux dire, c’est qu’il y a encore peu de boulot comme il dit, des rajouts de-ci de-là, des opérations plus du tout guitaristiques (des trucs de post-prod maison, il m’a dit mais j’ai oublié) avant que le fameux disque ne sorte avec les moyens du bord et le fervent soutien du label Unknown Pleasures records qui a bien senti l’énormité du truc.

Dust of Soul Pictures | Alice Botté - Retro C Trop ...

Parce que, breaking news : le guitariste de Thiéfaine, de Charlelie Couture, de Jacques Higelin (mais aussi de Jad Wio et de Fred Poulet) sort un son entre drone et noise, midnight rambler badcave imbibée au rock progressif et aux psalmodies d’un « animiste fan de théologie » . Il n’y a qu’à écouter Clous et, pour le reste, lire les papiers de Sylvain Nicolino sur obskure.com qui explique ça très bien. Moi, je me souviens surtout de la gueule du mec en train de se marrer, les yeux plissés et sa voix gauloise bleu façon Jean-Pierre Marielle avec son édition originale de « Metal machine box » dans les mains en train d’expliquer que le rock’n roll dorénavant, il en avait rien à foutre.

https://www.youtube.com/watch?v=LGl_Cn-H05g`

Et il a pas tort, Botté. Lorsqu’on se retrouve catapulté dans un festival, au hasard à Rock en Seine, on a souvent envie de pleurer sur la musique inutile de Foals, la pathétique tentative de Cure de rester fidèle à son histoire en jouant à la façon de l’orchestre de Yannick Noah. Normal après tout ça qu’on se laisse saisir par sa musique de ouf. Et, lorsqu’il démarre timidement sa promo sur les réseaux sociaux (bah oui) et balance un numéro de téléphone à suivre pour une performance en solitaire, j’appelle tout de suite, avant de comprendre que le truc – finalement annulé- devait se tenir dans l’Ouest de la France. « Libre, sans contrainte, hors des clous, hors de lui » disait un flyer recyclé pour l’occasion. Quasiment la définition de l’adjectif « botté ».

« Ma parole compte peu par rapport à ma musique et à l’intérêt qu’elle commence à susciter. »

Pour en revenir au disque – difficile de ne pas l’apprécier tant il est catégoriquement ambiant, écoutable très fort ou alors très bas, les deux possibilités sont à explorer – il porte encore quelques stigmates rock’n roll. L’idée de l’explosion imminente, la présence de Marc Hurtado, l’appétence très Martin Rev et ce registre Bauhaus en « stigmata martyr » (moins la basse de David J mais, pour le reste, toujours cette colère apocalyptique, in nomine patri et filii et spiriti sanctu). Au fond c’est littéralement un disque testamentaire (sauf que les héritiers n’ont pas été invités à la release party) , le mixage poussant au premier plan tout ce qui a fait l’alphabet du rock botté en touche, entre Éliane Radigue et Throbbing Gristle en passant par King Crimson et les Pink Floyd obscurcis par les nuages.

Mais tout s’explique. Botté est d’une génération d’orfèvre de l’accompagnement (avant on appelait ça des requins mais aujourd’hui le régime est végétarien), celle qui à la fois a modifié et consolidé ce style de guitariste fantôme qui – je cite- essaie « franchement d’être pertinent, de pas trop en faire, de faire assez » . Une ascèse plus qu’un art. « Petit j’habitais près d’une forêt où je me baladais seul, je devais avoir 7 ans ». (et plus tard, répondant à un journaliste, « Oui, c’est toute une vie qui prépare à la solitude de l’artiste »). Pour autant, il vient d’un après de la Révélation électrique (Hendrix peut bailler, en fait il est mort), après les Pierre Chérèze, les Christian Leroux pour qui le punk n’était qu’une autre façon de jouer du rock, soit pour reprendre le Good Booty d’Ann Powers (à lire absolument), cette espèce d’opérateur culturel qui digérait et transformait en musique l’arrière-cuisine honteuse et sexuelle qui se bricolait aux marges de la société, durant la période de l’esclavage et jusqu’à Barack Obama (1).

Star Academy des contes de la crypte

Pour Botté et ses comparses, nés au début des années 60, il s’agit moins de se branler sur « Exile on main street » des Stones que sur le « Metal box » de PIL ; le rock s‘est alors transformé en poison visqueux à base de désespoir et de littérature morbide, une sorte de panoplie pour lire Jean-Jacques Schuhl en bagnole de fortune. Devenue une drogue, la musique s’est doucement métamorphosée en nappe (aux deux sens du terme) tandis que tout se mélange dans l’idée d’un écroulement qui ne vient pas et de l’ironie qui s’en suit. En ce sens, la logique est plutôt de disparaître (Daniel Darc) pour éviter de se plaindre trop longtemps de l’inconvénient d’être né. Le destin de Bottté aura été de monter son premier groupe en reprenant les titres de « BBH75″ pour apprendre à jouer et se retrouver « 100 ans plus tard » à jouer avec Higelin lui-même. Soit une sorte de Star Academy des contes de la crypte, des baisers et des coups de griffes dix ans durant, pour finir par enterrer le « chef de cleb » et se retrouver seul, quand même un peu blessé.

Né sous le signe du taureau (comme Adolf Hitler), Botté produit fatalement quelque chose qui fulmine et explose autant d’amour que de colère. Entre autres. Sous ses airs « guitar only », le « tout cuir man » est un amateur d’art engagé, pas du tout paumé sur la carte des idées ou de l’histoire de la peinture occidentale (scènes de crucifixion évidemment privilégiées). Taiseux mais taiseux à demi si on lui jette le bon hameçon, il s’épanche illico sur Rubens ou Caravage et sans doute se prend-il à rêver de « La jeune fille à la perle » lorsqu’il se produit avec Sandrine Bonnaire.

D’où ce disque crépusculaire et couillu, ghost rider du home studio, qui explore pas mal de territoires, vocaux notamment puisqu’il chante (et même pas mal,) comme au bon vieux temps des « Fonctionnaires » où il tenait le micro avec un Tom Novembre à la basse (voilà qui ne nous rajeunit pas). À l’écoute de ces huit titres, on est frappé par le sérieux de l’entreprise, compensé par beaucoup de Lol et de blagues mais ne vous y fiez pas, le sieur est loin de de la tentation parodique. C’est d’ailleurs plutôt la parodie du rock qu’il s’amuse ici à brûler, le feu rouge de la pochette évoquant ce second degré du théâtre de ses ambitions. Sa fixette sur la crucifixion n’est donc pas un hasard puisque justement elle le « fixe » (Lou Reed encore) en amont de la time line du revival rock et ce qui s’en est suivi : le retour du vinyle et la country de gauche, ce mode opératoire à la fois  résurrectionnel  et fonctionnel des mancheux des années 2000. Botté l’a bien compris, la dominante du rock d’aujourd’hui est moins le sexe que la religion (et Ty Segall en est son idiot utile). D’ailleurs parfois, ça lui échappe un peu. « Ma parole compte peu par rapport à ma musique et à l’intérêt qu’elle commence à susciter » déclarait-il récemment. Comme quoi c’est moins le diable que le messie qui semble se cacher dans les détails de cette affaire.

https://hivmusic1.bandcamp.com/album/1-uprgold-03-exp-guitar-noise-drone-cd

(1) Good Booty (corps et âmes, noirs et blancs, amour et sexe dans la musique américaine), Ann Power, Castor Astral 2019 (traduction Remi Boiteux)  

Pedro Peñas Robles, www.laraherbinia.com , Alice Botté et Sabine Monte le son : merci pour les photos

9 commentaires

  1. moi je lui ai parlé! dans les godes du sonar 3, & il a offert une rose a ma nana… j’en suis tout retourné! bill2 resto sur lotocroute 239 boules….

    1. La scène se passe en Haute-Saône en 1974, c’est un mariage . Le dit Alice doit avoir 15 ans. Le guitariste en face est un beau-frère, un peu l’initiant d’AB, a apporté quelques rudiments au guitariste en herbe.

  2. finalement un album de non guitariste …. amputation de STIAN WESTERHUS est la pertinence d’un guitariste , qui joue avec son instrument , comme

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