A mi-chemin entre une milice paramilitaire perdue en soirée déguisée et Marlon Brando période L’Équipée Sauvage, les Bad Pelicans ont signé en février leur dernier album « Eternal Life Now », qui marque l’aboutissement d’une forme de radicalité sonore et esthétique. De quoi donner une discussion avec le chanteur et guitariste Lucas à propos de ce groupe pataugeant entre le premier et le énième degré d’une théorème un peu fumeuse. Avec pour seules bouées de sauvetage quelques planches de surf taillées à l’épée en forme de cercueil ou de santiags.

Eternal Life Now - Modulor Records

Sur l’affiche de votre concert de Mars, vous vous présentiez comme « le dernier groupe de rock and roll sur Terre ». Ce n’est pas la modestie qui vous étouffe.

En fait, on se demande souvent ce que c’est un groupe de rock aujourd’hui. Bad Pelicans c’est vraiment un groupe de live, quand on joue on donne tout : l’énergie, l’attitude… Notre but, c’est vraiment de marquer les esprits. Nos concerts, ce sont des performances, d’autant plus qu’on ne répète jamais. Donc on rebondit sur l’inattendu, on joue avec le public, c’est ça qui fait un bon concert. Et si l’un d’entre nous fait un truc de fou, les autres vont vouloir faire encore plus fou. Et à notre avis, c’est ça un bon concert de rock. Même notre intention, ça peut paraître arrogant mais c’est toujours de changer le monde. On a toujours l’ambition démesurée d’apporter quelque chose de différent.

C’est quoi l’histoire de votre dernier album « Eternal Life Now » ?

En fait ça a commencé dans le tunnel pour aller en Angleterre. On était dans la bagnole, sous l’eau, c’était ultra anxiogène. On a commencé à parler d’une nouvelle formule pour le son : on détruit la structure du groupe, en revoyant les trois instruments comme trois personnalités fortes. On a voulu une basse mixée comme une guitare, super aigue, qui sonne comme un canard énervé. On a mis une reverb cathédrale sur le kick, alors que c’est le truc à ne jamais faire et que tous les ingés sons refusent. Mais on le faisait déjà en live et ça marchait super bien. Ça fait une détonation énorme, presque un son de trap, on voulait absolument l’avoir en studio.

« On a toqué chez Born Bad en disant « vas-y signe nous, on est le meilleur groupe du monde, t’attends quoi ? » »

L’EP « Underground » allait déjà dans cette direction, mais on voulait faire quelque chose de plus propre et abouti sur l’album. En parallèle, on écoutait pas mal So Pitted, un groupe de Seattle qui avait un son très singulier et qui a enregistré avec le producteur Dylan Wall. Donc on a contacté ce mec, on lui a envoyé des démos et il était d’accord pour qu’on enregistre avec lui à Seattle. Entre temps, on a tous bossé pour payer le voyage et l’enregistrement. Fernando vendait des prunes à Rungis. On a supprimé toutes les conversations téléphoniques pour la douane, parce qu’on n’a pas le droit d’enregistrer aux States sans visa travail. Quand on est finalement arrivés, le mec n’y croyait pas.

Il y a un monde entre le son surf-grunge des débuts et « Eternal Life Now ». Vous avez trouvé votre formule, maintenant ?

Pas du tout. On a encore fait autre chose depuis, parce qu’on a enregistré cet album il y a quelques années déjà. En fait, quand on a commencé le groupe, on était vraiment les bébés rockeurs, les trois gars de campagne qui arrivaient à Paris. Avec Fernando, on s’est croisés en soirée et comme on avait des Vans, on a réalisé qu’on faisait tous les deux du skate et du surf. Donc on a voulu monter un groupe de surf punk, c’était évident pour nous. Ensuite, on a toqué chez Born Bad en disant « vas-y signe nous, on est le meilleur groupe du monde, t’attends quoi ? ». On était ultra innocents, on connaissait rien à rien. Puis on s’est fait connaître, on a trouvé une place, mais on ne se pose jamais trop de questions, on a un côté un peu cartoon.

Il y a deux ans, vous déclariez d’ailleurs aux Inrocks faire les choses de manière très premier degré.

En tout cas, ce n’est certainement pas du second degré. On a un genre de théorème, à propos des degrés. Par exemple, premier degré : j’aime bien les pâtes. Deuxième degré : je déteste les pâtes. Troisième degré : je dis que j’aime bien les pâtes, mais en fait j’aime pas. Quatrième degré : j’aime bien les pâtes. Le quatrième degré c’est le comme le premier, mais en conscience. Bon, c’est un peu débile de ramener la direction artistique à une histoire de degrés d’humour, mais on est passés par tout un tas de degrés d’humour avec Bad Pelicans. Maintenant, on en est à la forme actuelle et on peut dire qu’on kiffe vraiment Bruce Springsteen.

En même temps, vu votre image et vos dégaines, pas mal de gens doivent se demander si vous êtes sérieux ou non.

Les gens nous prennent toujours pour des tarés. Sur la tournée de « Best Of », on arrivait dans les salles et tout le monde nous proposait des drogues. Ils nous prenaient pour des thrashers parce qu’on faisait de la musique un peu vénère, alors qu’en vrai on est plutôt calmes. On est même carrément devenus straight edge pendant deux ans : on buvait que de l’eau en bouteille, on était sapés tout en cuir, on parlait pas. Les mêmes mecs que le clip de Paris, en fait. Même quand les gens essayaient de nous parler, nous on parlait pas. On était dans le noir, on éteignait les lumières, on se mettait debout aux quatre coins de la pièce, bras croisés. Donc on passait juste pour des tarés, mais intérieurement on se marrait tout le temps, c’était un jeu. Quand on est en tournée, on joue ces mecs-là en permanence. On lâche que quand on est au lit.

« On est comme un mec qui va à la plage avec des santiags et un perfecto ».

Vous vous fabriquez des personnages ?

On a fini par devenir les personnages qu’on s’est créés. On est comme un mec qui va à la plage avec des santiags et un perfecto, il n’a rien à faire là mais il est là. Mais dans tous les cas, c’est marquant et pour nous, le rock, ça marche comme ça. Il faut qu’il y ait un danger, un mystère. En fait c’est tout pour le geste, ce groupe. Plus on tape fort, plus on marque le trait, mieux c’est. Quitte à ce que ce soit purement artistique. C’est réussi quand tu ne sais pas si c’est sérieux. Et c’est encore mieux quand les gens sont divisés. L’idée c’est aussi de provoquer par la différence et l’assumer.

Ça me fait penser à une phrase de Bukowski qui disait « le style est la réponse à tout. Il vaut mieux faire quelque chose d’ennuyeux avec style que quelque chose d’osé qui en est dépourvu. Faire quelque chose d’osé avec style, c’est ce que j’appelle l’art ». Tu en penses quoi ?

Je suis complètement d’accord. Un artiste qui a du style, ça marque, tu t’en rappelles. Donner une impression de facilité et de simplicité en faisant quelque chose de difficile, c’est le Graal. Et je pense que dans le monde actuel, il faut faire un effort de style pour attirer l’attention, même si on le fait surtout parce qu’on aime ça et parce que ça nous fait marrer. En fait, on observe beaucoup le monde dans lequel on vit. C’est notre influence principale. Et je pense qu’un groupe qui n’a pas ce sens-là, qui ne fait aucun effort dans le style, c’est qu’il n’a pas compris le truc ou qu’il n’a pas d’ambition. Sauf si ça va dans le sens de sa musique, ce qui est déjà une recherche.

Avoir un style aussi marqué, ça donne presque le devoir de l’assumer pleinement ?

C’est all-in, on le fait à fond ou ne le fait pas. Et quand tu as cette mentalité-là, tu provoques le destin, l’inattendu et tu te rends disponible vis-à-vis de ça. À Seattle, il se passait des trucs fous tous les jours. Le premier jour, on s’est fait braquer par un mec qui avait un flingue dans une main et un crâne dans l’autre. Un soir, on a vu des mecs en noir descendre une ruelle et on les a suivis jusqu’à un club gothique privé. Trois jours plus tard, on en était membres à vie. À la fin, on a fait une messe dans une église et un prêtre a béni « Eternal Life Now ». Pour moi, l’esthétique conditionne ce que tu es, ce que tu fais. Si tu arrives sapé en milice armée, tu installes déjà un climat et tu te dois de faire quelque chose de différent.

Peut être une image en noir et blanc de 3 personnes

Le style c’est aussi quelque chose de primordial dans le surf, un monde qui influençait votre identité musicale au départ. Avec Fernando, vous avez en parallèle le projet de planches Perfect Designs. Tu peux en dire deux mots ?

Perfect Designs, c’est un projet esthétique et artistique. On imagine une planche, on la dessine, on la fabrique, puis on cherche à comprendre comment elle fonctionne en la surfant à l’eau. Évidemment, ça attire l’attention. La première, c’était au départ une planche que j’avais chez moi. Un jour, j’ai appelé Fernando en visio, sans lui expliquer quoi que ce soit. J’étais en costard-lunettes noires, hyper sérieux. J’ai mis la planche sur deux tréteaux et je l’ai tronçonnée à la scie sauteuse pour découper un motif Batman. Fernando a pété un plomb, tout était déjà là : le perfect design, la qualité cheap, le côté mafieux à tronçonner un truc en costard. Perfect Designs, c’était à la base un prolongement de notre vision musicale. Et aujourd’hui, c’est peut-être la meilleure porte d’entrée pour découvrir notre musique et on veut mêler les deux univers. C’est un peu mégalo mais quand je me lance dans un projet, j’ai toujours la volonté de révolutionner un truc, de fédérer et d’amener vers quelque chose de nouveau.

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Alors, d’où vient le style finalement ?

Je pense que le style vient de cette confiance que tu vas avoir en toi, en ton univers, en ta sensibilité. La technique, c’est de l’artisanat. Tu peux la travailler. Le style c’est l’art, c’est impalpable, c’est un peu divin. C’est ce qui te différencie d’une autre personne. C’est à la fois une acceptation de soi, de sa sensibilité personnelle et une ouverture d’esprit. Il faut se connaître pour savoir trouver son style et avoir confiance en cette rhétorique de soi-même. C’est l’aura, ça change l’atmosphère d’une pièce. Quand Miles Davis arrivait quelque part, tu le sentais immédiatement. À mes yeux, il n’y a rien de plus important. C’est la pureté, c’est comme à la japonaise : c’est un geste. C’est naturel.

Bad Pelicans // Eternal Life Now // Géographie Records, paru le 24 février 2023
https://geographie.bandcamp.com/album/bad-pelicans-eternal-life-now

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