Artwork « 10 Years Of Loving Notes »

Né en 2012 sous l’impulsion de trois passionnés, Quentin Vandewalle alias Zaltan, IUEKE et Nico Motte, le label indépendant Antinote vient juste de souffler sa dixième bougie. L’occasion idéale pour aller s’entretenir avec son homme à (presque) tout faire, Quentin, dans son domicile parisien du 18e arrondissement. 

Bâtir des ponts entre hier et aujourd’hui, ce n’est jamais une mince affaire. Dans le cas d’Antinote, label indépendant créé par la triplette Quentin Vandewalle alias Zaltan, IUEKE et Nico Motte, quel fil tirer pour l’attacher à une balise du passé ? Sans doute celui qui relie la France à l’Angleterre. À ce « Sad Manchester » et aux disques de la prestigieuse Factory Records, foyer du directeur artistique Peter Saville, aux crayons pour le design de la plupart des jaquettes (Joy Division, New Order, Roxy Music, Duran Duran…), et qui disait de ses créations qu’elles étaient « la collection d’œuvres d’art que peuvent s’offrir les adolescents ». Une conception que Nico Motte, directeur artistique attitré d’Antinote, partage probablement, et qui permet surtout de raconter l’existence de l’écurie qu’il défend.

Les drogues, les filles, le graffiti, le hip-hop

D’écuries, il en est justement question aux origines de cette histoire. C’est au milieu de ce monde équestre, à la fin des années 90, que le jeune cavalier Quentin fait la connaissance de Raphaël Top-Secret, lui aussi DJ à en devenir. De cette rencontre en dehors des murs de ce Paris qui les a vus naître, débute une authentique bromance, nourrie par les points et les goûts que ces deux filous ont en commun. « Les drogues, les filles, le graffiti, le hip-hop, la techno aussi, car il y a eu beaucoup de free party dans mon coin » se lance Zaltan, confortablement installé au pied d’une imposante étagère de galettes qui meuble l’une des pièces de son appartement. Cette parenthèse campagne ne dure qu’un temps pour « Raph » qui regagne bien vite sa capitale natale où les sœurs de Quentin sont déjà installées. L’occasion parfaite pour que ce dernier multiplie les aller-retour presque tous les week-ends. Le moment rêvé pour que les deux compères développent leurs passions. Car à cette époque, la petite piaule de Raphaël top-secret nichée Porte de Clignancourt est le lieu idéal pour toutes les expériences de ces deux ados déjà anticonformistes : « Ça fume des pétards, ça écoute de la zik, ça fait des tags partout dans la chambre. De temps en temps on sort, on va se faire des stores, des petites voies ferrées, enfin, des trucs comme ça. Mais, il n’y a pas encore d’impulsion de DJ. »

Zaltan ©Antinote

 

Pour exprimer cette vocation de créateur de sons, il faut attendre que Zaltan obtienne son bac et vienne définitivement s’installer à Paris. Dès son arrivée, au pied de l’immeuble dans lequel il élit domicile, Raph est déjà là, un sac de disques posé à ses pieds. À défaut d’ouvrir les cartons qui jonchent le sol, les deux amis branchent une platine et sortent un à un les vinyles de cette collection éclectique au possible, allant du post-punk des Tueurs de la Lune de Miel à Clock DVA et au « New York Noise », Throbbing Gristle, Egyptian Lover… De la french pop façon Lio ou Étienne Daho. Inner City ou encore le plus speed et techno label Metroplex fondé en 1985 par Juan Atkins. Sans oublier la classic-house de New York et « beaucoup d’italo-disco ». Autant de références « pas ou peu à la mode », qui vont servir à définir la ligne de défense du futur Antinote. Mais pour le moment, l’heure est à la réalisation des premières mixtapes. Celles qui vont permettre à Quentin et Raphaël de démarcher des petits bars et finalement entamer leur mue, à l’issue de laquelle ils seront DJs.

Amour, année 00

Si les débuts sont laborieux et que les gens se moquent de la paire et de leurs « looks pas possibles », il n’est plus question de revenir en arrière. La vingtaine à peine, le duo a le mérite de faire quelques belles fêtes, au goût de certains bookers. « Tout ça, jusqu’au moment où Patrick Vidal [du groupe Marie et les Garçons ; NDLR] se pointe dans une de nos teufs ; reprend Zaltan. Il vient avec 15 jeunes gars et là, c’est le feu dans la cave. Il nous demande de jouer, puis on fait la connaissance des mecs comme Gilb’R de Versatile Records… » C’est un fait : les rencontres appellent à d’autres rencontres. Alors, dans cette seconde moitié des années 00, une nouvelle va définitivement ouvrir le champ des possibles à Quentin Vandewalle. Il s’agit de celle avec Gwen Jamois, plus connu sous l’alias IUEKE. Avec cet impressionnant dandy « destroy » d’une trentaine avancée, digger et DJ de haut standing, Zaltan découvre une musique pointue et toutes les belles histoires qui vont avec, tous ces disques qu’il n’avait jamais vu que de solides artistes du monde entier viennent lui acheter à grands coups de « liasses de billets ».

Lors des 6 mois suivants, les deux hommes se rapprochent, au Baron Rouge, établissement parisien tenu par l’oncle de Quentin. Ensemble, ils parlent musique et s’impressionnent par leurs références. Gwen ouvre son cercle de connaissances et, bien vite, une troisième personne entre dans la danse, Nico Motte. Ce trio désormais réuni, ils s’accordent sur un point : construire quelque chose en commun. Ça sera un label. Gwen trouve le nom : Antinote. Ayant découvert les fabuleuses cassettes technos non sorties de IUEKE, la joyeuse bande décide d’en faire une compilation. Zaltan chope les plans pour faire presser les disques ainsi qu’un distributeur. Le 3 janvier 2012, « ATN001 — IUEKE — TAPES », la toute première ligne du label est gravée dans le marbre. Il y a d’ailleurs une petite anecdote qui accompagne cette release. À la base, ce disque devait sortir ailleurs. Mais bon, les choses ne se sont pas déroulées ainsi :

« Après la publi’ de son skeud, Gwen me demande de le rejoindre au Baron Rouge. Il est avec Richard, autrement appelé Aphex Twin. Je me pointe. Gwen va chercher des verres et je me retrouve face à ce mec qui fait une tête de plus que moi. Il a un strabisme de ouf, un accent des Cornouailles, genre, tu ne captes rien du tout… Par contre, ce que j’ai compris, c’est que le gars était très énervé contre moi d’avoir sorti la musique de Gwen à sa place, l’air de me balancer : “t’es qui, petit con ?” Pas sympa ! Parfois, je raconte cette histoire et les gens sont là à dire que c’est un truc de dingue, car la tape était destinée à Rephlex d’Aphex Twin ! En fait, non, ce n’est pas un “truc de dingue”, c’était juste désagréable. »

IUEKE ©Antinote

Label of the month

Dans le sillage de cette étonnante histoire, il ne faudra qu’un an et deux autres sorties — « ATN002 — SYRACUSE — GIANT MIRRORS » & « ATN003 – ALBINOS – RITUAL HOUSE VOL​.​1 » –, pour qu’Antinote entérine déjà sa légende. Puisqu’en 2013, deux références médiatiques de l’underground, Juno Plus et Resident Advisor, catapultent la petite maison dans leur classement des « label of the month ». Un coup de boost pour Zaltan qui n’avait pas spécialement prévu de faire durer sa création. De projecteur aussi : ses faits et gestes seront maintenant observés avec plus d’attention. Désormais convaincu d’embrasser cette vie de label manager, les deux années qui suivent vont être l’une des périodes les plus fastes. Zaltan, la trentaine atteinte et une douzaine de références ajoutées à son catalogue, gonfle ses voiles d’une confiance inédite : « Je commence à tourner, à avoir de l’oseille, je me sépare de la mère de mon fils, je sors avec une nana qui me fait vraiment délirer… C’est là qu’arrive donc l’argent, la drogue, le succès — enfin, c’est relatif, hein ! Bref, tu vois le topo. J’ai adoré avoir 30 ans, mais c’était destroy. » Une montée en puissance qui vaut à la petite équipe une nouvelle validation. En 2015, Antinote est encore le chouchou de Resident Advisor.

Avec tous ces disques distillés coup sur coup et l’apparition d’artistes ou de groupes qui écriront l’histoire de demain — de « la queen » Epsilove à Geene en passant par D.K. et Domenique Dumont — Zaltan et ses collègues affinent une ligne spéciale, guidée par cette volonté du spontané, cette recherche du « sur le fil » qui n’a que faire que la musique soit synth, pop, house ou techno. Peut-être encore un peu trop frileuse à ce patchwork de sons, la France boude toujours le label. Au milieu de ces années 10, c’est de l’autre côté de la Manche que ça se passe, « à la fois pour les dates et les ventes ». Comme les Anglais, les Français développent (malgré eux ?) ce côté seul contre tous, cette marginalité qui fait leur force. À ce propos, Zaltan, se construire en dehors de l’industrie, c’était l’une des idées initiales de « Anti » — note ?

« C’est possible ! Surtout, il représente bien la musique qu’on sort. Malgré que ça soit des styles différents, on est souvent dans quelque chose de dépouillé. Tu n’as jamais de gros solos avec mille notes. Et c’est un peu de l’autodérision. On est une petite bande de freaks, on se la raconte légèrement, mais ce n’est pas méchant. J’aime bien que les choses soient spontanées, imparfaites. Puis, il y a aussi ce côté bonne franquette. »

Nico Motte ©Antinote

 

Peu importe le nombre de filiations au pays du roi Charles III, Antinote reste une maison française. Son salut national va intervenir à cheval entre 2015 et 2016, période que choisit la Gaîté Lyrique (Paris) pour proposer une carte blanche au label dans le cadre de l’exposition Paris Music Club. D’après Zaltan, cette opportunité n’aurait pas pu arriver sans Micky Faria, un jeune passionné chargé des bookings de Voodoo, une agence qui avait le vent en poupe. « Je le connais depuis longtemps, dégaine Quentin. Grâce à eux, j’ai commencé à avoir des petites dates tous les mois en France. À Lyon, à Bordeaux et ainsi de suite… »  Dorénavant reconnu à l’intérieur et en dehors du territoire, Antinote est fin prêt à célébrer un premier anniversaire symbolique, celui des cinq ans.

Et tant qu’à faire, pourquoi pas en musique avec la compilation « ATN5YEARS – FIVE YEARS OF LOVING NOTES » qui porte en elle un véritable statement et tout un savoir-faire ? « De toute façon, avec le label, il y a beaucoup de prises de position ; répond Zaltan après une brève réflexion. Surtout que je suis tout jeune et que le savoir-faire dont tu parles, je n’en ai pas ! Disons que je me suis bien organisé au niveau administratif, mais j’ai souvent fait ça au culot : je calculais mal la thune, il y avait des embrouilles… Bref, il y a un savoir-faire inconscient dans la démarche artistique. Mais par contre, un truc complètement fucked-up dans l’organisation »

Rester une petite entreprise du cool

Alors que tout semble filer droit et que les releases affluent, presque 50 en 7 ans, Zaltan éprouve pour la toute première fois ce besoin de lever un peu pied. S’il n’arrive pas à le faire, un drame mondial va l’obliger à se poser, lui qui est d’un naturel « foufou ». Bien entendu, nous parlons ici du Covid. Comme tant d’autres, le boss d’Antinote se retrouve à l’arrêt, avec beaucoup de temps devant lui pour prendre le recul nécessaire et affronter toutes ses réflexions. Doit-il continuer ainsi ? C’est-à-dire d’encore grossir ? A-t-il envie que ça se passe de la sorte ? Antinote doit-il rester « une petite entreprise à la cool » ? Est-ce que de s’allier à des majors qu’il a un jour repoussé est une bonne solution ? Est-ce une idée viable de faire des licences ? Toute une flopée de questions qui ont agité ses pensées, qu’un simple « non » vient balayer. Car au milieu de tout ça, la passion est trop forte. Puis, le label a bientôt 10 ans. Cet anniversaire va sonner comme un déclic et de façon symbolique, il va se fêter en musique. La réalisation du disque « 10 Years Of Loving Notes » remet clairement du baume au cœur de Zaltan.

À l’origine, cette compilation était destinée aux Hollandais de Rush Hour, label culte dirigé d’une main de maître par Antal. Elle devait faire la part belle à ce « New Sound of France », comme nous l’explique Quentin. Mais finalement, ça ne se fera pas. Un mal pour un bien, puisque les artistes déjà sélectionnés ont servi de base à cet album anniversaire. À leur côté, il faut ajouter certains « vieux de la vieille de la maison », d’autres « potes qui n’ont jamais rien sorti chez nous », ainsi que « des jeunes dont j’apprécie le travail ». Et c’est justement là, la toute nouvelle lubie du patron : ouvrir les portes de son écurie. Il serait bien malhabile de penser qu’après toutes ces années, Antinote est un label figé. En fin de compte, cette dernière sortie en date n’est pas seulement qu’une célébration. C’est une invitation. Une main tendue à toutes celles et ceux qui sont touchés par la même sensibilité que Zaltan, et qui, avec lui et tous les autres, veulent explorer ces nouveaux horizons que l’avenir pourra leur offrir.

Compilation 10 Years Of Loving Notes est disponible sur le Bandcamp d’Antinote.

Artwork 2 « 10 Years Of Loving Notes »

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