Lycéen, je me suis pris de passion pour Deep Purple. Nous étions au milieu des années 1990, et le groupe était à l’époque un dinosaure agonisant dont le guitariste-miracle Ritchie Blackmore venait de claquer la porte pour la seconde fois de son histoire. Déjà doté d’un caractère à aller régulièrement à contre-courant, je n’écoutais pas ce qui passait à la radio à l’époque : Nirvana, Metallica, U2, Rage Against The Machine… Je préférais le vieux son organique. Les Who et Led Zeppelin étaient alors mes favoris. Deep Purple en sera rapidement un autre, ébloui par la férocité de l’orgue Hammond goudronneux de Jon Lord, la guitare furieuse de Ritchie Blackmore et la batterie diabolique de Ian Paice.

Suivant mon schéma habituel, lorsque j’aime un groupe, je désire tout découvrir, tout savoir. Deep Purple ne fait pas exception. Après avoir été ébahi par l’écoute de « Made In Japan » et « In Rock », un article dans le magazine Hard’N’Heavy me fait découvrir une première carrière à la fin des années soixante. Et cela est logique : la formation du mythique morceau Smoke On The Water est surnommée Mark II. Il y a donc eu un Mark I. je n’en connais que le titre principal grâce à une compilation : Hush, une reprise de Joe South. Le son est plus psychédélique, moins hard-rock. J’apprécie énormément cette chanson.

La fin de l’article synthétise la discographie du groupe à l’époque avec les pochettes de tous les disques en vignette, et une note sur cinq. Je remarque celle du troisième album : c’est la reproduction d’une peinture flamande. Son univers ésotérique me fascine, d’autant plus que vivant dans mon petit monde, l’ésotérisme me fascine depuis que j’en ai fait la découverte par le biais de Jimmy Page et de Led Zeppelin. Je passe commande dudit disque chez mon disquaire préféré, juste à côté de mon lycée. Je me souviens encore du jour où je suis allé le récupérer. Nous étions en fin d’année. La lumière tombe vers 17 heures, et lorsque je quitte les cours, il fait nuit. Pour ne rien arranger, il pleut abondamment. J’entre dans la boutique et je vois le tenancier en discussion avec un client. Me connaissant depuis quelques années, il sait ce que je viens chercher : il le prend sous son comptoir, me le tend, serti dans sa cellophane. Par un habile jeu d’achats et de reventes de disques d’occasion chez lui, j’ai un petit pécule, mais j’ai encore quelques dizaines de francs à lui payer. Pourtant il me dit de partir avec, que ce qu’il reste est pour lui. Je suis ravi, je le salue chaudement avant qu’il ne reprenne sa conversation. Me voilà en possession de l’album « Deep Purple » de 1969.

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De la grisaille à la pop-star

Roderic Evans est né le 19 janvier 1947 à Eton dans le Buckinghamshire au sud de Londres. Il grandit à Slough, une ville voisine qui a la particularité de se situer à 3 kilomètres du Château de Windsor, et d’être traversé de part en part par l’autoroute M4 et la Great Western Main Line, une vaste ligne de chemin de fer menant à Londres. C’est donc dans un contexte gris et urbain que le jeune Roderic grandit dans l’immédiat après-guerre.

Comme bon nombre de jeunes gens dans les années 1960, il se lance dans la musique, et fait ses débuts dans le groupe The Horizons au milieu de la décennie, qui devient MI5 puis The Maze. C’est dans ce groupe de rhythm’n’blues qu’il fait la connaissance du batteur Ian Paice. C’est grâce à ce dernier qu’il décroche l’audition pour un groupe nommé Roundabout, et dans lequel Paice est déjà embauché. Les deux musiciens leader, l’organiste Jon Lord et le guitariste Ritchie Blackmore, ont auditionné des dizaines de chanteurs, sans succès. La voix veloutée et soul de Rod Evans fait mouche, et il intègre le groupe en dernier, juste après l’arrivée du bassiste Nick Simper. Le groupe commence à répéter dans une vieille maison dans la banlieue de Londres. Roundabout était une idée du batteur Chris Curtis, qui était alors le membre fondateur et qui avait bénéficié du financement des associés Tony Edwards et John Coletta, qui veulent investir dans la pop-music. Mais Lord et Blackmore se sont montrés de bien meilleurs interlocuteurs, et Curtis a été écarté. Tous pensent que ce nom est nul, et qu’il faut le remplacer. Chacun marque ses idées sur un tableau, et un matin, au café, tous découvrent les mots « Deep Purple » écrits. Il s’agit du titre de la chanson préférée de la grand-mère de Ritchie Blackmore, reprise en 1963 par Nino Tempo.

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Le nom adopté, Coletta et Edwards ont sécurisé un contrat avec le label américain Tetragrammaton aux USA, distribué par Parlophone en Grande-Bretagne. L’enregistrement du premier album va être l’un des plus rapides de l’histoire du rock : à peine 18 heures, l’enregistrement et le mixage ne prendront pas plus de deux jours entre le 11 et le 13 mai 1968 aux studios Pye de Londres. « Shades Of Deep Purple » sort le 17 juillet 1968 aux Etats-Unis et en septembre en Grande-Bretagne avec des pochettes différentes tirées de la même photo de groupe.

Les musiciens apparaissent avec de belles coiffures soignées, en vestes et chemises à jabots. Si Jon Lord, au centre, est facilement reconnaissable avec ses cheveux mi-longs et sa moustache, Ritchie Blackmore et Ian Paice ressemblent à des caniches avec leurs afros inspirées de Eric Clapton via Jimi Hendrix. Rod Evans se distingue déjà, en bas à gauche, avec des cheveux mi-longs, une raie sur le côté, et un blouson de cuir. La musique n’a cependant rien à voir avec Cream et Jimi Hendrix Experience. Deep Purple suit le sillage des reprises outrancières et électrifiées de Vanilla Fudge, au succès populaire énorme en 1967-1968 avec leur reprise de You Keep Me Hangin’ On des Supremes. Deep Purple marque des points avec la reprise de Hush de Joe South, numéro 4 des ventes aux USA. L’album se classe 24ème. Le disque se montre déjà plus ambitieux que cette simple reprise, même si les compositions originales ne forment qu’une petite moitié des titres. Deep Purple est clairement dans le sillage des reprises réarrangées de Vanilla Fudge. Mandrake Root se distingue cependant par sa volonté à pousser plus loin l’agressivité sonore, le côté sombre et l’improvisation naissante. C’est aussi le cas des réorchestrations de I’m So Glad de Skip James avec son prélude nommé Happiness, et la grandiloquence de la reprise de Hey Joe. Tous les titres sont par ailleurs précédés d’un petit bruitage sonore : un loup pour Hush, le chant d’une baleine (?) pour One More Rainy Day, le dérailleur d’un vélo pour Mandrake Root

Leur carrière devient essentiellement américaine. Cependant, Blackmore et Lord restent connectés à leur pays d’origine, qui est devenu le grand chaudron de la musique pop mondiale avec les Beatles, les Rolling Stones, les Who, Cream et Jimi Hendrix. Les concerts ne laissent que peu de souvenirs mémorables. Deep Purple fera la première partie de la tournée d’adieu américaine de Cream en 1968, mais les rares enregistrements ne montrent pas un groupe furieux. Les titres sont joués avec rigueur et application. Lord, Blackmore et Paice commencent à dévoiler un goût certain pour l’improvisation, mais leurs parcours personnels n’ont pour l’heure pas solliciter de telles capacités. Ils sont encore empruntés, coincés dans leurs cols de chemises amidonnés, bien loin de l’exubérance d’un Jimi Hendrix ou même d’un Eric Clapton.

Le business étant ce qu’il est, il faut donner un successeur à ce premier disque prometteur. « The Book Of Taliesyn » est enregistré en octobre 1968 aux studios De Lane Lea de Londres.

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Commence alors une véritable pagaille entre les pressages : « The Book Of Taliesyn » sort en octobre 1968 aux Etats-Unis sur Tetragrammaton, et seulement en juillet 1969 sur Harvest, la filiale progressive de EMI/Parlophone, qui accueille notamment Pink Floyd. Il sera d’ailleurs publié après le troisième album, disponible en juin.

Il faut un tube, et ce sera la reprise de Kentucky Woman de Neil Diamond. Il ne se classe que 38ème des ventes aux USA. L’album lui-même ne fait guère mieux que 54ème. Et pour cause, sa musique est bien plus progressive et psychédélique. Les compositions originales sont aussi beaucoup plus présentes : Listen, Learn, Read On, Wring That Neck, Shield, Anthem… Blackmore et Lord développent leurs jeux et se montrent plus audacieux. La voix de Rod Evans se prête à merveille à cette musique progressive et soul inspirée des Moody Blues et de Vanilla Fudge.

Le déclin

Les popstars que sont Deep Purple ne profitent que très furtivement de leur succès. Kentucky Woman est un petit tube, insuffisant pour emmener les ventes d’un disque qui n’a de toute façon que peu à voir avec la chanson. « The Book Of Taliesyn » révèle une créativité inédite. Les permanentes ont également volé, et Deep Purple devient un groupe proto-progressif, en amont de Jethro Tull, King Crimson, et Yes. « The Book Of Taliesyn » plusieurs chefs d’oeuvre : Wring That Neck, Shield, Anthem. Et puis s’ajoute l’extraordinaire reprise en final de River Deep, Mountain High de Ike And Tina Turner. Deep Purple emmène le morceau vers d’autres contrées, tout en conservant son âme soul grâce à la voix de Rod Evans. « The Book Of Taliesyn » débute pourtant également une inexorable descente aux enfers en terme de succès commercial. Début 1969, Deep Purple est dans l’impasse.

Un nouvel album est rapidement enregistré en janvier 1969 aux De Lane Lea Studios de Londres. L’univers baroque de « The Book Of Taliesyn » est poussé à son paroxysme, à commencer par cette impressionnante pochette en noir et blanc où seul apparaît en pourpre le nom de Deep Purple. L’illustration est tirée du triptyque « Le Jardin Des Délices » du peintre flamand Hieronymus Bosch datant de 1504.

Le Jardin des délices, Jérôme Bosch -

La scène est tirée du volet droit décrivant l’Enfer, des bêtes étranges et des hommes perdus déambulant dans un étrange mélange d’instruments de musique et de torture. Les cinq Deep Purple apparaissent en petit au milieu de ce marasme. Le disque est influencé par la chanson d’ouverture écrite par Jon Lord et Ian Paice : Chasing Shadows.

Elle décrit un cauchemar de l’organiste, mis en rythme tribal par le batteur, de plus en plus présent et inspiré. Autre personnage de plus en plus proéminent dans le spectre musical : Ritchie Blackmore, dont la guitare hurle à grands coups de wah-wah sur l’ensemble des titres. Rod Evans brille également sur l’ensemble des morceaux rhythm’n’blues portant à merveille Blind, la reprise de Donovan Lalena, ou le duo progressif Fault Line / The Painter. Sur ce dernier, Blackmore fait également des étincelles, commençant à développer ses phrasés néo-classiques et ses embardées de vibrato. Evans réussit également le tour-de-force de s’imposer sur des titres plus sombres : Chasing Shadows, mais surtout Bird Has Flown, inquiétante, proto-Black Sabbath surtout dans sa version single, encore plus menaçante et noire. Le disque se termine par la première tentative de fusion musique classique et rock avec April. Long de douze minutes, il décrit les sensations des musiciens à l’arrivée du printemps. Le début du morceau est une superbe pièce de folk baroque, suivi d’un arrangement de musique classique de cinq minutes écrit par Jon Lord, avant de revenir au rock électrique, à l’atmosphère mélancolique et épique.

« Deep Purple » est une merveille de rock psychédélique et proto-progressif écrit et joué tout en finesse. Il n’aura cependant aucune destinée commerciale. Publié en juin 1969, il n’atteint qu’une maigre 162ème place des ventes aux USA. Il ne sera pas poussé par une tournée de promotion scénique d’importance, Deep Purple étant alors en plein changement à l’été 1969. Coletta et Edwards font état de leurs inquiétudes quant à leurs investissements dans le groupe. Si le tube Hush fut prometteur, depuis, Deep Purple s’est pris les pieds dans le tapis.

Deep Purple Podcast on Twitter: "On this day in 1969 Deep Purple Mark 2  played their first show at The Speakeasy (or “The Speak”) in London. It was  the beginning of a

Jon Lord, Ritchie Blackmore et Ian Paice sont sensibles à cette situation inconfortable. C’est Ritchie Blackmore qui entrevoit l’avenir du groupe : le hard-rock. Led Zeppelin s’est imposé avec ses deux premiers albums aux USA. Avant lui, Iron Butterfly a eu un grand succès, qui plus est avec un organiste. C’est le même scénario pour Spooky Tooth, quintette britannique dont le second album, Spooky Two, marche fort aux USA grâce à l’alliage d’une guitare agressive et d’un orgue lourd. D’ailleurs, « Deep Purple » semble déjà emprunter cette voie.

Le 4 juin, alors que le troisième album sort, Blackmore, Lord et Paice assiste à un concert du groupe Episode Six. On leur a soufflé le nom du chanteur Ian Gillan. Ce dernier se voit immédiatement proposer de rejoindre Deep Purple après la prestation. Il accepte, à la condition que son ami et bassiste Roger Glover le suive. Cela tombe bien, le jeu un peu trop soul/rock’n’roll à l’ancienne de Nick Simper (il fut membre des Pirates de Johnny Kidd) ne correspond plus aux aspirations nouvelles du triumvirat de Deep Purple.

Les répétitions du nouveau line-up commence dès juin alors que la destinée de l’ancienne formation n’est pas encore scellée. La promotion du troisième album est étrange. Quelques concerts sont organisés en Grande-Bretagne et en Allemagne, pays qui montre un vif intérêt pour eux. Mais les belles émissions populaires type Top Of The Pops ou Playboy After Dark sont bien loin. La seule vidéo promotionnelle connue de cette époque consiste en un film professionnel et scénarisé accompagnant April pour la télévision allemande.

On y voit des camions de l’armée arriver, et desquels bondissent des militaires en slips de bain en rangs serrés, avant de voir un plan long du groupe accompagné par un orchestre jouant au bord d’une carrière. Cette étrange bande sans queue ni tête, et n’ayant aucun rapport avec le thème du morceau, montre le laisser-aller total autour de l’album « Deep Purple », et le peu de soin qui lui est accordé. Le 4 juillet 1969, Deep Purple Mark I joue son dernier concert au Cardiff Top Rank. Le 10 juillet, Deep Purple Mark II se produit pour la première fois au Speakeasy de Londres. Durant le mois de juillet, et après des semaines d’incertitude, Evans et Simper se voient signifier leurs renvois. Le même mois, le troisième album sort dans les bacs américains pour un désastre commercial annoncé.

Décollage avec le Capitaine

Au gré des tournées, les musiciens se croisent. Deep Purple a régulièrement tourné aux Etats-Unis, mais aussi en Allemagne et en Europe du Nord, des pays friands de rock progressif et lourd. Ils vont ainsi croiser les destinées de formations américaines ratissant les routes : Iron Butterfly, Vanilla Fudge, Johnny Winter And…

Lorsque Larry « Rhino » Reinhardt, prodige de la guitare du nouveau Iron Butterfly période Metamorphosis, se retrouve sans boulot après la séparation du papillon métallique, il décide de monter son propre groupe sur la base de bases de chansons qu’il a en stock. Il réunit autour de lui dans son studio de Hollywood en Californie Bobby Caldwell, batteur faramineux de Johnny Winter And, Lee Dorman, ex-bassiste de Iron Butterfly, et Rod Evans au chant, ex-Deep Purple. Ce choix peut paraître curieux, mais Reinhardt souhaite disposer d’un chanteur au phrasé élégant tout en étant capable de se montrer puissant. Evans est l’homme de la situation. Visuellement, il a beaucoup changé. S’il porte toujours des costumes bien mis et des boots, il a désormais les cheveux longs, et affiche des boucles d’oreille fabriquées par des tribus indiennes. Evans vit aux Etats-Unis depuis la séparation du premier Deep Purple, et se sent proche de ces peuples originels opprimés.

Rhino signe un contrat avec un label peu évident vue leur musique : Capricorn. Il s’agit du label du Allman Brothers Band. Basé en Georgie, à l’exact opposé de la Californie. La musique de ce nouveau groupe, très progressive, n’est pas spécialement dans le spectre de Capricorn. Mais le Allman Brothers Band décapité par la mort à moto de Duane Allman en 1971, le label cherche d’autres groupes moteurs. L’arrivée d’un musicien issu d’un des grands groupes commerciaux de la fin des années 1960 est plutôt une bonne nouvelle. Larry « Rhino » Reinhardt développe ainsi dans une grande liberté créative son nouveau projet. Il prend le nom de Captain Beyond.

From The Vault: Captain Beyond - 'Captain Beyond' (1972) - It's Psychedelic Baby Magazine

Captain Beyond capte en quelques jours son premier album : « Captain Beyond » en 1972. C’est un de ces chefs d’oeuvre oubliés de la musique heavy des années 1970. Improbable croisement de plusieurs sons, On y voit se croiser le rhythm’n’blues de la fin des années 1960, le heavy sound redoutable du heavy-blues de Johnny Winter et Led Zeppelin, et la sonorité acide des premiers groupes progressifs comme Grateful Dead et Jethro Tull. Captain Beyond est une étrange rencontre sonore, qui se concrétise avec la photo de verso, où les musiciens marchent dans un paysage désertique à la tombée de la nuit. Rod Evans, qui ouvre la voie, se tient droit et élégant dans son costume noir, portant ses cheveux longs. Les autres sont plus psychédéliques, typiquement américains, avec des boots argentées, et des fringues à franges.

Artist spotlight: Captain Beyond - Rocking In the Norselands

Musicalement, « Captain Beyond » est une sorte d’album concept avec l’ensemble de ses titres enchaînés comme un voyage sonore. Musicalement, il n’a pas grand-chose à voir avec Iron Butterfly, Deep Purple première époque ou Johnny Winter. C’est ouvertement une musique progressive, trempant dans la psychédélie, mais aussi féroce et très hard-rock. La voix élégante de Rod Evans se prête à merveille à cette étrange mixture. Sur les uppercuts heavy comme Mesmerization Eclipse ou Raging River Of Fear, il dévoile une agressivité teintée de blues. Sa voix polymorphe est parfaite pour cette musique audacieuse balançant d’un univers à l’autre deux fois par morceau. Sa texture vocale riche, déjà dévoilée sur le « Deep Purple », prend toute son ampleur sur « Captain Beyond ».

Capté quasiment intégralement live en studio, Captain Beyond n’a pas de difficultés à retranscrire le rock complexe de son premier disque sur scène, comme le montre sa prestation filmée au Festival de Montreux 1972. Captain Beyond devient une étrange comète du rock du début des années 1970. C’est évidemment l’époque des super-groupes, comme West, Bruce And Laing ou Beck, Bogert, Appice. Mais le quatuor n’est pas vu comme cela, a priori. C’est sa musique étrange qui fascine. Issu de la scène psychédélique et proto-heavy, signé sur un label sudiste, Captain Beyond a créé un univers unique avec des musiciens venus d’horizons très divers.

La félicitée ne dure cependant pas longtemps. A la fin de l’année, Bobby Caldwell est parti fonder Derringer avec son ancien complice de chez Johnny Winter : le guitariste Rick Derringer. Un travail de sape administratif est en train de briser le groupe : tous ont des problèmes de contrat avec leurs anciennes formations, ce qui ralentit l’organisation de tournées et l’enregistrement de disques. Le trio Rhino, Dorman, Evans s’accroche et enregistre en sextet « Sufficiently Breathless » en 1973. Marty Rodriguez a pris la batterie, Guille Garcia les percussions pour laisser les mains libres à Rod Evans, et l’organiste Reese Wynans vient apporter des couleurs sonores. Après le chef d’oeuvre « Captain Beyond », la formation est attendue. Ce nouvel album, quoique moins hard et moins complexe dans sa construction, est un excellent disque. Il le doit à la voix superbe de Rod Evans, aux multiples guitares de Larry Reinhardt, et aux percussions foisonnantes. Sufficiently Breathless, Evil Men et Starglow Energy sont les grands sommets de cet album.

Mais Captain Beyond est constamment sur des plaques tectoniques en mouvement. Capricorn leur a fait virer leur manager Giorgio Gomelsky pour Phil Walden. Quant aux problèmes de contrat, ils ne semblent toujours pas se résoudre, au point que Captain Beyond finit par se séparer en cours d’année. Il se reformera brièvement quelques mois plus tard pour une tournée américaine, les avocats ayant abdiqué à chercher des noises chez ces musiciens au potentiel financier bien maigre. Mais la dynamique est brisée.

Bogus Deep Purple

Rod Evans quitte le monde de la musique pour se consacrer à une carrière médicale. Il devient responsable de thérapie respiratoire au sein d’un hôpital californien, et mène une vie paisible. Cependant, en 1979, il est approché par deux musiciens véreux : le claviériste Geoff Emery et le guitariste Tony Flynn. Les deux n’en sont pas à leur coup d’essai, ayant reformé un faux Steppenwolf en 1977 avant d’être démasqué par le management du vrai groupe. Cette fois, Emery et Flynn veulent s’attaquer au mythe Deep Purple. Pour cela, ils souhaitent s’adjoindre la participation d’anciens membres du groupe afin d’assurer la crédibilité de la chose. La plupart des anciens musiciens de Deep Purple, séparé officiellement en juillet 1976, sont impliqués dans de nombreux projets : Rainbow, Whitesnake, Gillan. Rod Evans et Nick Simper, en panne au niveau de leurs carrières, où carrément retirés, sont approchés. Simper refuse, préférant rester dans son propre groupe de l’époque : Fandango. Evans cède lui à l’appel de la célébrité.

Une tournée américaine est lancée en 1980, passant par le Canada, les Etats-Unis et le Mexique. Des bras cassés sont recrutés en tant que musiciens, et ce faux Deep Purple, ou Bogus Deep Purple, se lance sur la route avec un niveau musical précaire. Et il faut faire revivre les grandes heures du groupe pour faire illusion. Rod Evans se voit dans l’obligation de chanter de sa voix veloutée des morceaux comme Smoke On The Water ou Highway Star. Les concerts tournent quasiment tous à l’émeute, le public se rendant compte de la supercherie face à un groupe médiocre doté d’aucun des musiciens essentiels de Deep Purple.

John Coletta et Tony Edwards découvrent l’affaire, et font publier dans le LA Times un article précisant que lors du concert à venir à la Long Beach Arena, le public ne verra ni Blackmore, ni Lord, ni Paice, ni Gillan, ni aucun des membres essentiels de l’histoire de Deep Purple. Ils finiront par mettre fin à l’escroquerie à l’aide d’une décision de justice du 3 octobre 1980 condamnant les auteurs du faux Deep Purple à 672 000 dollars de dommages et intérêts. Rod Evans, lui, perd plus gros, puisque ses droits sur les trois premiers albums de Deep Purple sont supprimés. Il devient avec cette affaire un paria piteux, banni officiellement de l’histoire de Deep Purple.

En 2015, Ian Paice lance une bouteille à la mer, en souhaitant rentrer à nouveau en contact avec Rod Evans. A ce propos, Bobby Caldwell affirme dans une interview la même année qu’il a encore de ses nouvelles, Evans étant revenu à ses activités médicales. Des rumeurs avaient évoqué une carrière d’assureur où d’éleveur de chiens, mais il ne s’agissait que d’homonymes. Le chanteur ne souhaite en réalité pas qu’on le retrouve. Le 8 avril 2016, Deep Purple est officiellement nommé au Rock’N’Roll Hall Of Fame. Tous ses musiciens sont invités, incluant Rod Evans, qui ne s’y rendra pas. Si les propos de Caldwell indique que Evans est toujours vivant, personne n’en a la preuve, la cérémonie du Rock’N’Roll Hall Of Fame n’aura pas permis de laver l’affront de l’affaire du Bogus Deep Purple, et de réunir le mythique Deep Purple Mark I pour interpréter Chasing Shadows.

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