Second couteau de la New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM) au début de la décennie 1980, les Anglais heavy-metal derrière Satan ressuscitent au début des années 2010 et connaissent une période de succès international étonnante, avec des albums impeccables se succédant, le dernier en date étant l’excellent « Earth Infernal » paru à la toute fin de l’année 2022. En voici l’odyssée machiavélique.

Le rock et le Diable, c’est une vieille histoire. On peut penser à Sympathy For The Devil des Rolling Stones en 1968, mais le grand suppôt du Mal était déjà dans l’ADN du rock depuis le blues et la légende de Robert Johnson. Et le hard-rock et le heavy-metal vont rapidement en abuser allègrement pour accentuer leur aspect outrageux.

Le point de départ est en fait assez simple. Les pays anglo-saxons sont pris dans des carcans moraux très forts, où l’Église et les établissements religieux tiennent une part très importante dans la société. Pour tous les jeunes gens des années 1960-1970, il existe une vraie volonté de créer une sorte de résistance psychologique à ces institutions, en faisant une apologie des plaisirs de la vie, à l’opposé direct des discours de celles-ci. Le Diable et ses suppôts deviennent les parfaites représentations de cette vie sans contrainte où rien n’est interdit : sexualité, alcool et stupéfiants, et même apparence physique, avec les cheveux longs et les looks androgynes du glam-rock puis du glam-metal. Black Sabbath sera considéré comme le premier grand groupe noir de l’histoire du rock, avec son premier album sur laquelle on voit une sorcière au crépuscule, et à l’intérieur, une croix renversée. Les Black Sabbath sont moins satanistes qu’il n’y paraîtra, mais ils continueront à cultiver l’ambiguïté.

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Si les guitaristes Jimmy Page de Led Zeppelin et Ritchie Blackmore de Deep Purple et Rainbow pratiquent l’ésotérisme, utilisant des symboles dans leurs visuels et des références dans certains morceaux au mage sulfureux Aleister Crowley, il faut attendre le début des années 1980 pour que la référence au Malin soit effectuée de manière évidente, voire même outrancière. Iron Maiden s’illustre avec son album « The Number Of The Beast » en 1982, ainsi qu’avec des pochettes de simples comme Purgatory dès 1981. Deux groupes vont cependant aller bien plus loin.

Le premier s’appelle Witchfynde, et sort un premier album nommé « Give ‘Em Hell » en 1980 avec un Satan sur la pochette. Fortement imprégné de magie noire et d’ésotérisme depuis sa formation en 1975, le groupe joue carrément dans des salles de concert en fonction de la vibration diabolique du lieu. Plus brutal encore sera l’arrivée de Venom, trio de Newcastle qui lui aussi annonce la couleur avec un pentacle et un Diable sur la pochette de son premier album précurseur du black-metal et du thrash-metal : « Welcome To Hell » en 1981. Le second album de 1982 s’appelle d’ailleurs « Black Metal », et offre un nouveau Malin en pochette. C’est le début de la grande course à la référence au Diable et à Satan.

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Le heavy-metal trouve sa nouvelle incarnation avec le thrash-metal de Metallica, Slayer, Megadeth et Anthrax. Mais même les glameux de Mötley Crüe font allégeance avec leur second disque « Shout At The Devil » en 1983. Le Diable et ses démons deviennent des références visuelles récurrentes, engendrant le courroux des ligues de moralité américaines qui vont tenter d’avoir la peau du heavy-metal via le procès de Reno et une audition télévisée au Sénat avec des musiciens à la barre comme Frank Zappa et Dee Snider, le chanteur des Twisted Sisters. A Reno, le groupe Judas Priest est sur le banc des accusés pour avoir provoqué le suicide de deux jeunes gens quelques années plus tôt via des paroles diaboliques, et des messages cachés sur leurs albums lorsqu’on les passe à l’envers.

Un mauvais présage sur la Tyne

Nous sommes en 1979 à Newcastle-Upon-Tyne, plus connue sous le simple intitulé de Newcastle. Cette ville fait partie du Nord industriel de l’Angleterre, réputée pour sa sidérurgie. Elle est la ville la plus au nord avant l’Ecosse, et semble un peu excentrée par rapport au Black Country composé de Birmingham et sa banlieue, mais aussi des villes voisines qui y sont connectées directement : Sheffield, Liverpool, Manchester, Leeds, et Cardiff du Pays de Galles voisin. La scène rock de Newcastle est particulièrement active, et notamment dans le heavy-metal. Déjà deux grands groupes sont sortis des forges de la ville : les proto-thrash de Raven et les proto-black-metal de Venom. On peut y ajouter les Tygers Of Pan-Tang de Whitley Bay qui furent des pionniers de la NWOBHM (New Wave Of British Heavy-Metal) et l’un des premiers groupes de cette vague à connaître un certain succès avec leur premier album « Wild Cat », n°18 des ventes en Grande-Bretagne en 1980.

Dans ce contexte, deux copains de lycée décident de fonder leur propre groupe de heavy-metal : les guitaristes Russ Tippins et Steve Ramsey. Après quelques essais, la formation se solidifie avec l’arrivée du bassiste Graeme English en 1980. Andy Reed en est le batteur, Trevor Robinson le chanteur. Ils décident sans tarder de capter quatre compositions de leur cru afin d’en vendre la cassette aux concerts, mais aussi de les envoyer à des labels. Cette bande n’aurait pas vu le jour sans l’appui du patron du label local Guardian, Terry Gavaghan, qui s’intéresse de près à cette nouvelle génération de groupes de heavy-metal, et qui a déjà permis à quelques formations cultes comme Mythra ou Hollow Ground d’enregistrer leurs rares titres.
Satan joue clairement sur la ligne démoniaque, même si leur batteur à cheveux courts et décolorés en blond ressemble plus à Steve Jones des Sex Pistols qu’à Bill Ward de Black Sabbath. Ce qui frappe rapidement l’auditeur de ces premiers titres, c’est la richesse musicale du groupe, couplée à une énergie d’exécution impressionnante, quasi-thrash avant l’heure. Tippins et Ramsey ont clairement biberonné aux sources du heavy-metal : Led Zeppelin, Black Sabbath, Deep Purple, Rainbow, UFO, Thin Lizzy pour les twin guitars, Judas Priest pour le riff assassin. Mais ils sont au fait des nouveautés. Iron Maiden et Angel Witch ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd. La violence de Raven et Venom non plus d’ailleurs. Des morceaux comme Kiss Of Death ou Oppression affirment une patte sonore unique. La solidité instrumentale est déjà impressionnante. Tippins et Ramsey semblent se compléter à merveille, le premier étant le magicien des solos fuligineux.

En quelques mois, le line-up de Satan évolue. Reed est remplacé par Ian McCormack à la batterie, et Robinson par Ian Swift au chant. Une nouvelle démo de cinq titres est captée durant le début de l’été 1982. Le groupe continue sa progression musicale, mélange de vitesse, de rage et subtilité instrumentale. « Into The Fire » est déjà une profession de foi, avec ses guitares entremêlées, sa rythmique brutale et vive, et un chanteur déclamant sur un torrent de lave heavy-metal. Il y a de sacrées beignes sonores à se mettre dans l’oreille : Blades Of Steel, No Turning Back, Break Free ou le sublime Pull The Trigger. Tout cela annonce en réalité déjà le thrash-metal des deux premiers albums de Metallica et de Megadeth. Soniquement, on en est quasiment au même niveau, mais Satan était en fait trop en avance sur son temps.

Un premier album pour l’éternité

Fort d’une belle réputation, Satan signe avec le label local culte Neat Records qui a déjà toutes les premières légendes de la NWOBHM à son catalogue : Fist, Tygers Of Pan-Tang, Raven, Venom… Le contrat est d’autant plus plaisant qu’il inclut une distribution européenne par le label Roadrunner. Satan a en effet effectué plusieurs raids à Eindhoven au Dynamo Club, en Hollande. Satan y est très apprécié. Le groupe évolue encore entre 1982 et 1983. Sean Taylor prend les baguettes, et Brian Ross le chant. Ce dernier est déjà une légende du heavy-metal anglais. Il a en effet été le chanteur de Blitzkrieg, un groupe de Leicester, à côté de Birmingham. Motorisé musicalement par le guitariste prodige Jim Sirotto, la formation ne fera pas mieux que quelques simples et démos live. Leur légende grandira dans les années 1990 lorsque Metallica les reprendra. Brian Ross va brièvement ensuite rejoindre Avenger avant d’intégrer Satan. Il sera remplacé au chant par un certain… Ian Swift.

SATAN - COURT IN THE ACT - Music On Vinyl

Le quintette de légende est en place, et il capte son premier album dans les studios Neat. Il sort sous le nom de « Court In The Act » en août 1983. Le son est vaste, ample, presque trop par moments. Les studios Neat n’avaient pas cette réputation, plutôt axée sur l’urgence du riff. Brian Ross apporte une vraie dimension vocale aux chansons, largement issues du répertoire ancien de Satan, faute de temps pour composer de nouveaux titres. Cependant, des morceaux comme Blades Of Steel  ressortent largement victorieux du nouveau line-up, d’une solidité impressionnante. Sean Taylor est un batteur plus fin, capable de jouer vite ou tout en lourdeur selon le besoin du morceau, mais avec un sens du roulement de caisses remarquable.

Ce premier album confirme un heavy-metal speed et agressif qui est en fait une sorte de version anglaise du thrash-metal. Si Metallica et Slayer furent indiscutablement plus brutaux et sauvages musicalement parlant la même année, Satan était le parfait descendant des aînés du son métallique britannique avec un mordant aussi redoutable qu’unique. Les choeurs de Ross rappellent parfois Queen à leurs débuts, et les guitares s’entremêlent avec une ferveur magique, inspirée par UFO, Judas Priest et Thin Lizzy. No Turning Back, Broken Treaties, The Ritual ou Alone In The Dock sont de sacrées torgnoles sonores, et viennent faire de cet album un classique du heavy-metal anglais. La légende va grandir avec le temps. Car dans l’immédiat, l’envol de Satan va être brisé par la décision de Brian Ross de se consacrer à son ancien projet Blitzkrieg avec Jim Sirotto pour un premier album à paraître en 1985. Ce dernier vient aussi de signer chez Neat Records, et c’est l’occasion de leur vie. Ce que n’a pas intégré Ross, c’est qu’en réalité, Satan vend plus de disques via Roadrunner que grâce à Neat, qui est dans l’incapacité de fournir le volume de vinyles demandé. Satan deviendra alors rapidement un groupe Roadrunner plutôt que Neat. Mais Ross n’avait pas cet élément en vue. Il publie avec Blitzkrieg l’album « A Time Of Changes » en 1985, un classique absolu, car doté de compositions impeccables rodées depuis 1980. Cet album sera une sorte de coda magnifique à ce groupe mythique, sans tournée majeure à suivre. Hell To Pay, Blitzkrieg, Armageddon, ou Saviour sont de sublimes expédients heavy-metal, parfois surjoués dans leur folie publique. Cela n’enlève rien à la plume acérée de Sirotto, impeccable sur chaque titre, de l’écriture à l’interprétation.

Une furie aveugle et un ange sorcière

Le départ brutal de Brian Ross brise totalement les perspectives de décollage commercial de Satan. Le groupe était solidement uni, avec un album à promouvoir. Mais le départ du chanteur annihile toute possibilité de triompher. Il faut trouver un remplaçant, et le nom de Lou Taylor commence à circuler. Il a fait partie de Mythra et Saracen, et mais a surtout assuré le chant au sein du groupe Blind Fury formé par Kevin Heybourne, le guitariste et fondateur de Angel Witch. Blind Fury a coulé, mais Taylor dispose encore du nom. Le quintette souhaitant aller vers une musique plus mélodique, le nom est conservé.
Le choix identitaire est d’abord un mini-désastre, le public heavy-metal ne comprenant pas quel est le rapport entre un groupe fondé par l’ancien leader de Angel Witch et les quatre-cinquièmes de Satan. Et pourquoi Satan aurait-il besoin de jouer le répertoire de Kevin Heybourne ? Le doute est rapidement dissipé grâce à un répertoire entièrement nouveau. Les titres qui atterrissent sur l’album « Out Of Reach », publié chez Roadrunner, sont un étrange mélange de Satan et de heavy-rock mélodique tentant d’accrocher les radios. Mais rien ne va sur cet album, beaucoup trop heavy-metal pour les radios grand public, et insuffisamment puissant pour les nouveaux fans ivres de thrash-metal et de speed-metal. Lou Taylor a une voix plus consensuelle, mais il n’est pas non plus un vocaliste exceptionnel à la Lou Gramm de Foreigner ou Steve Perry de Journey. Il a le timbre agréable, mais il ne parvient pas à transcender les nouvelles chansons pourtant écrites sur sa ligne vocale. Steve Ramsey et Russ Tippins continuent de tricoter avec ferveur des mélodies à deux guitares. Graeme English et Sean Taylor maintiennent une rythmique solide. Mais quelque chose ne décolle pas.

« Out Of Reach » est un échec commercial, que la session à la BBC le 31 mai 1985 ne sauvera pas. Rapidement, les ex-Satan mettront sur le dos de Lou Taylor l’échec du disque, et ils n’auront finalement pas tort. Blind Fury n’était pas un groupe de glam-metal ou de hard-fm, il n’avait strictement rien à voir avec cette musique. L’approche mélodique aurait pu fonctionner si Lou Taylor avait été un très grand vocaliste, mais l’homme n’était pas plus qu’un honnête chanteur. Et en fait, cet alliage branlant réunissant riffs saignants et chant sexy n’avait aucun avenir.

Le retour de Satan avec Michael Jackson

Echaudé par le navrant épisode mélodique de Blind Fury, Tippins, Ramsey, English et Taylor réactivent Satan. Les quatre conservent leur ligne sonore faite de guitares entremêlées et de rythmiques frénétiques et complexes. Un nouveau chanteur est recruté. Il s’appelle… Michael Jackson. Petit, rouquin, bien loin en tous points de la star mondiale du même nom, il est par contre étourdissant vocalement parlant, capable de monter dans les aigus, et doté d’un timbre légèrement rugueux. Ses capacités vocales sont étourdissantes et quasiment sans limites.
Satan signe chez Steamhammer, et sort un EP quatre titres nommé « Into The Future » en 1986. C’est le retour du quintette et de sa sonorité unique. Elle est encore plus revêche, dopée par les sonorités metal extrême que le groupe a en fait contribué à initier. Dès Key To Oblivion, tout est en place, avec encore plus de hargne et de précision. L’alliage magique entre brutalité et mélodie, complètement loupé avec Blind Fury, est là, évident. Les quatre nouveaux morceaux sont absolument impeccables et révèlent un groupe totalement en possession de ses moyens créatifs. Satan n’a même pas à rougir face à la concurrence de Megadeth et Metallica. Le quintette est parfaitement solide, avec sa touche sonore unique, et prêt à en répondre de la concurrence. SPV/Steamhammer ne s’y est pas trompé en les signant, le label ayant dans son panier parmi les meilleures formations de thrash-metal allemand : Destruction, Sodom.

 

Cet EP est une véritable résurrection, confirmée par l’album « Suspended Sentence » en 1987. Satan déploie des titres plus longs et plus complexes, à l’approche proto-thrash évidente qui se mêle à leur sonorité heavy-metal anglaise caractéristique. Ce second album est une vraie réussite sonique, à laquelle le chanteur Michael Jackson n’est pas étranger. Son timbre fabuleux fait des merveilles sur tous les morceaux. La musique est une habile architecture sonore entre les riffs et chorus de Tippins et Ramsey, et les acrobaties rythmiques de English et Taylor. Who Dies Win, premier grand titre à ouvrir l’album, est une pure merveille mêlant guitares en harmonie, riffs rageurs, rythmique intrépide et chant puissant et lyrique. Il va en être ainsi de la totalité du disque, avec des morceaux ne tombant que rarement sous les cinq minutes et trente secondes. « Suspended Sentence » est une merveilleuse réponse à « Master Of Puppets » de Metallica et « Peace Sells… But Who’s Buying ? » de Megadeth. Satan est clairement à la hauteur de la concurrence thrash-metal, avec sa patte anglaise si caractéristique. 11Th Commandment, Suicidal Justice, S.C.U.M. (Socially Condemned Undesirable Misfits) sont autant de sommets à ce second album. Michael Jackson apporte des textes souvent très politisés à gauche. Il se montre particulièrement sévère sur les ravages de l’ultralibéralisme thatcherien sur la population britannique.

Le paria

« Suspended Sentence » ne connaît pas une grande destinée dans les classements européens. Satan est en effet fortement handicapé par son propre nom, qui rend totalement invisible sa musique, la presse passant son temps à les interroger sur leurs implications occultistes et satanistes, comme à leurs débuts, et ce alors qu’en termes de références morbides et occultes, le death-metal de Napalm Death, Obituary ou Cannibal Corpse a déjà franchi de nombreux paliers. A l’heure des ligues de vertu aux USA, et des débuts du black-metal en Norvège, l’avenir de Satan est sérieusement compromis, malgré le soutien indéfectible et remarquable de leur label Steamhammer. Les musiciens sentent que ce nom est devenu une véritable malédiction alors qu’ils ont tout le potentiel pour s’imposer au moins en Europe aux côtés de Metallica, Megadeth, Slayer, Helloween, Accept, Kreator, Testament ou Death Angel.

Les cinq musiciens commencent les répétitions d’un nouvel album, et envisagent de se renommer The Kindred (« la parenté » en anglais, ou sur un mode plus tribal, la famille), dans un esprit un peu warrior-metal à la Manowar. Mais rapidement, l’idée se révèle particulièrement mauvaise, ne traduisant pas correctement la musique du quintette. Pariah s’impose, notablement plus en phase avec l’esprit des textes de Michael Jackson.

Malgré un nouveau changement de nom, Steamhammer suit le groupe. Pariah sort l’album « The Kindred » en 1988. Il devait s’appeler « And Justice », mais les Californiens de Metallica ont annoncé la sortie imminente d’un album nommé « And Justice For All » en août. Ce nouveau disque poursuit une voix très speed-metal, mais manquant de la nuance heavy-metal de « Suspended Sentence ». Il dispose de bons riffs comme sur Gerrymander, The Rope, Foreign Bodies, ou (La Guerra) Inhumane. Cependant, les tempos sont un peu trop répétitifs, et les riffs rappellent trop Judas Priest. Michael Jackson semble parfois forcer sa voix pour sonner plus agressif, ce qui est parfaitement inutile vue sa puissance vocale. C’est un album moyen, doté d’une pochette assez vilaine, cependant bien dans la moyenne (basse) de la production heavy-metal de l’époque.

Blaze of Obscurity | Pariah

En 1989, le quintette sort « Blaze Of Obscurity », un véritable chef d’oeuvre de heavy-thrash-metal de la première à la dernière note. Tout est d’une fluidité incroyable et d’une précision technique impressionnante. Les riffs et les chorus de Russ Tippins et Steve Ramsey coulent sans temps morts, la rythmique de Graeme English et Sean Taylor est d’une férocité époustouflante. Quant à Michael Jackson, il a retrouvé l’agilité de sa voix, ainsi que sa verve politique dans ses textes. Missionary Of Mercy qui ouvre le disque est une terrassante cavalcade de heavy-metal mordant. Mais cela n’est encore rien comparé à Puppet Regime, qui met en coupe réglée la fine fleur du thrash-metal américain. Le quintette ne perd cependant jamais la notion de mélodie hard-rock 1970’s dans leurs morceaux.
Tout au long du disque, l’incroyable complémentarité des duettistes Russ Tippins et Steve Ramsey emmène l’album et le reste du groupe vers les sommets. Canary poursuit le galop infernal, avant que Blaze Of Obscurity ne vienne amener une parenthèse mélodique à la Led Zeppelin/Bad Company dans le panorama. Cette dernière bénéficiera d’un clip destiné aux chaînes musicales de l’époque, à commencer par MTV, qui domine l’affaire à la fin des années 1980 de sa toute-puissance médiatique. Ce n’est qu’une parenthèse avant de nouvelles splendeurs métalliques de premier choix comme Retaliate !, Hypochondriac, ou Enemy Within. « Blaze Of Obscurity » est un puits inépuisable de bonheur alliant riffs métalliques ultra-précis, de rythmiques féroces et élégantes, et de chants redoutables et expressifs couplés à des textes d’une intelligence rare.

L’album se vend mieux que son prédécesseur, parfaitement en phase avec son époque. Le groupe effectue plusieurs apparitions dans de grands festivals européens de rock et de heavy-metal, et à la télévision en Allemagne. Cependant, et malgré leur changement de nom, on continue à les harceler sur leur ancien nom et leurs prétendues passions pour le satanisme. Malgré le fait que Tippins et Ramsey expliquent qu’il s’agissait au début des années 1980 d’une provocation avant-tout adolescente, on ne cesse de les ramener à ce passé devenu trop encombrant. On les compare encore et toujours au death-metal balbutiant de Celtic Frost, Mayhem, Obituary et Cannibal Corpse.
Et même si Pariah débute l’enregistrement d’un troisième album toujours sous le patronage de Steamhammer, la lassitude s’installe. Michael Jackson finit par jeter l’éponge, totalement dégoûté du business. Il ne chantera plus une seule note. Le batteur Sean Taylor finit lui aussi par abdiquer. Il ne reste alors que le noyau dur du groupe : Tippins-Ramsey-English. Mais alors que le groupe pense se relancer, le chanteur du groupe de thrash-metal anglais Martin Walkyier réussit à convaincre Steve Ramsey et Graeme English de le suivre dans un nouveau groupe à la vision musicale nouvelle : le folk-metal. La formation se nommera Skyclad et va devenir très populaire, sortant plusieurs albums à succès et assurant des tournées appréciées par le public rock et metal.

Lorsque Ramsey et English font part de leur choix de carrière à Russ Tippins, qui consiste à laisser ce dernier seul au bord de la route, ils promettent d’enregistrer le troisième album de Pariah déjà entamé… un jour. Cela arrivera finalement en 1997 avec le vétéran de Satan à la batterie Ian McCormack, et le chanteur Alan Hunter de Tysondog, qui dépanna à leurs débuts Satan. Le résultat sera l’album « Unity », d’une incroyable efficacité pour un groupe désormais oublié à l’époque. La pochette est une atrocité pseudo-scientifique cherchant à raccrocher le wagon de Alice In Chains, Rammstein, Korn, et autre Linkin Park. La musique n’est absolument pas de ce tonneau, et les cavalcades de Tippins et Ramsey dominent largement le propos. Alan Hunter est un chanteur honnête, mais bien loin du talent d’un Brian Ross ou d’un Michael Jackson. C’est un retour plaisant, et même plutôt rassurant, puisqu’il confirme la toujours bonne santé de la magie du trio Tippins-Ramsey-English, auquel il ne manque que Sean Taylor à la batterie et un un chanteur charismatique. En attendant, Unity, Reactionary, No Exit, Saboteurs ou The Jonah rappellent le haut niveau des musiciens au coeur du projet.

Le chemin de croix et la résurrection

Steve Ramsey et Graeme English sont donc occupés au point de laisser traîner le troisième album de Pariah à 1997, sept ans après la formation de Skyclad. Ce dernier groupe marche très bien, et rien ne semble pouvoir détourner les deux musiciens de leur nouvelle destinée. Russ Tippins forme plusieurs groupes de reprises de Jimi Hendrix et de Led Zeppelin, avant de revenir à la composition originale avec The Russ Tippins Electric Band qui sortira deux albums en 2010 et 2013. Ce bon vieux Brian Ross, lui, a reformé Bltizkrieg dès 1995 avec l’album « Unholy Trinity ». Le fabuleux Jim Sirotto n’est plus de l’aventure. Il est remplacé par Tony J. Liddle à la guitare. Sean Taylor vient apporter sa batterie. Le résultat est très honnête, et surtout, l’album vient rappeler que Brian Ross est un grand chanteur qui n’a pas pris une ride vocale.

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Publié sur le label mythique Neat réactivé, Blitzkrieg tente de faire revivre sa légende alors que Lars Ulrich, batteur et fondateur de Metallica, alors en pleine félicité avec le « Black Album », a publié en 1990 pour les vingt ans de la NWOBHM une double compilation de ses morceaux préférés de l’époque. Y figure Blitzkrieg du groupe de Brian Ross. C’est le point de départ du redémarrage de la carrière de plusieurs vétérans de cette vague : Blitzkrieg bien sûr, Diamond Head, Savage, Samson, Venom… Blitzkrieg n’aura que peu d’écho, malgré la reprise de son morceau phare par les mêmes Metallica sur leur album dédié à leurs groupes préférés nommé « Garage Inc. » en 1998, avec des enregistrements datant parfois de 1987 et 1984.
Blitzkrieg continue cependant à aligner les albums avec une certaine constance. « Ten » sort en 1996, « The Mists Of Avalon » en 1998. Dans tous les cas, le niveau du heavy-metal proposé est d’excellente qualité, bien que peu originale par rapport à la patte Sirotto. Il reste cependant au-dessus de tout la voix unique de Brian Ross, que le temps ne semble pas altérer.

La bête infernale contre le monde entier

La réunion finit par se faire entre Russ Tippins, Steve Ramsey, Graeme English et Brian Ross. Leurs groupes respectifs tournent dans le même circuit national anglais, et les vieilles amitiés se réactivent vite. Surtout que dès qu’il s’agit de lancer un vieux morceau de Satan, la fougue se réanime. Sean Taylor ne sera pas long à convaincre, et le quintette magique de « Court In The Act » est de retour en 2011. il s’agit d’abord de se tester sur quelques concerts. Mais la synergie est rapidement totale.
Bien que certains aient pris un peu de bedaine, notamment Ramsey et Ross, et que English semble avoir au contraire fondu comme une bougie au soleil, le quintette est vite d’une efficacité retrouvée. Et lorsqu’un groupe retrouve sa fibre créative, c’est rapidement le début de nouveaux morceaux.

Cependant, peu de monde s’intéresse à la résurrection d’un énième groupe de heavy-metal des années 1980, même s’il est dans sa configuration historique. Il faudra attendre un label français de metal extrême nommé Listenable pour permettre à la carrière de Satan de repartir concrètement. C’est que Satan est loin d’être le premier à avoir retenté le coup depuis les années 1990 et la compilation de Lars Ulrich. Des noms mythiques de la NWOBHM ont refait surface avec des fortunes diverses, et des équipages à géométrie variable. Si la joie des premiers concerts permet de ressouder tout le monde, les vieilles amertumes et les galères diverses finissent par avoir raison de la passion de certains musiciens. Il est fréquent de voir aujourd’hui tourner des noms comme Angel Witch, Diamond Head, Cloven Hoof, Tygers Of Pan-Tang, Trespass ou Venom avec un seul membre issu de la grande époque. Ces groupes assurent des sets honnêtes devant un public à qui ces formations disent quelque chose, c’est-à-dire d’un âge certain. Cela se fait souvent dans des festivals de metal, voire carrément revival où l’affiche annonce des noms qui feraient croire à un retour quarante ans en arrière.

Satan se glisse gentiment dans ce circuit, mais rapidement, l’aura du groupe grimpe. C’est que les cinq vétérans ont une pêche monumentale, et que la cohésion sur scène est totale. Satan n’est pas revenu pour se faire tranquillement des sous en faisant chanter les fans sur des vieux tubes en assurant le service minimum. Le quintette donne tout, et le premier album de la reformation achève de confirmer cette excellente réputation. « Life Sentence » sort le 29 avril 2013. Il est tout simplement excellent, largement du niveau du grand classique historique de 1983, « Court In The Act ». Le son est évidemment bien meilleur : la production et le matériel ont évolué, mais pas seulement.

Le niveau des musiciens a lui aussi grandement progressé. C’est que Ross, Tippins, Ramsey, English et Taylor n’ont jamais arrêté de jouer, et ont toujours été sur un circuit professionnel à semi-professionnel. Si ils se sont reformés, ce n’est pas pour l’argent, mais pour redonner une chance à un groupe auquel ils ont toujours cru. La cohésion étant parfaitement revenue, Satan devient la priorité absolue, les musiciens mettant tous leurs projets personnels de côté.
« Life Sentence » est une déferlante de cavalcades de heavy-metal caractéristique de la NWOBHM, mais avec une sonorité moderne. Le son Satan est clairement réactivé, avec ses deux guitares qui s’entremêlent parfaitement, ses rythmiques et ses riffs trépidants, et ce chant si expressif. Il est impossible de citer un morceau plus qu’un autre : les dix défilent parfaitement, sans aucun temps mort, sans la moindre imperfection, avec un souci du ressort mélodique et électrique de tous les instants. La pochette retrouve aussi son zombie/juge d’instruction en pochette, leur Eddie à eux.
Le groupe part en tournée confiant, doté d’un album de très grande qualité à promouvoir. Ce qu’il n’avait jamais espéré, c’est le succès et la longueur de la dite tournée. Parti pour une série de dates en Grande-Bretagne, et quelques incursions européennes sur des affiches de festivals Metal, Satan va littéralement parcourir le monde tant la demande est grande. La tournée européenne s’étend jusqu’au début de l’année 2014 avec des dates en Finlande, en Suède, en Espagne, en France, avec notamment un set sur la Main Stage du Hellfest en soirée avant Iron Maiden. Mais surtout, Satan joue pour la toute première fois sur le continent américain, avec des concerts au Canada, aux Etats-Unis, et dans plusieurs pays d’Amérique du Sud dont l’Argentine et le Brésil. L’accueil est tel que Satan décide de capter six concerts aux Etats-Unis pour offrir un album live témoignant et de la forme du groupe, et de la ferveur du public, qui ne les a pourtant jamais vu auparavant, à part éventuellement sur les réseaux sociaux. Le texte au dos du livret de « Trail Of Fire : Live In North America » qui sort en octobre 2014 témoigne de l’émotion des musiciens devant un tel succès, aussi inattendu. Bien sûr, Satan ne remplit pas encore le Cobo Hall de Detroit ou le Madison Square Garden de New York, mais il réussit pour ses premières incursions en terres US à remplir des clubs et des salles d’un millier de personnes sur son seul nom.

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Cet album live est produit avec les moyens du label Listenable, c’est-à-dire assez limités. Cependant, il offre un reflet honnête et généreux de ce qu’est Satan sur scène. On constate également que le niveau technique n’est pas le résultat d’heures de bidouillages en studio : tous les arrangements, riffs, solos, changements de tempos sont parfaitement restitués, et même dynamités par l’énergie de la scène. Russ Tippins est un sacré guitariste soliste, d’un niveau étourdissant. English et Taylor assurent une assise rythmique sans faille, Ramsey conjugue ses riffs et ses chorus avec ceux de son frère de six-cordes. Quant à Brian Ross il assure avec une parfaite décontraction ses parties vocales, montant sans souci dans les aigus si nécessaires. L’homme est encore capable de hurler comme un Ian Gillan de Deep Purple, mais il le fait avec davantage de parcimonie, préférant poser sa voix judicieusement sur la musique créée par ses camarades.
Le set est alors basé uniquement sur deux albums séparés de trente ans d’existence : « Court In The Act » et « Life Sentence », « Suspended Sentence » ayant été malheureusement écarté car chanté par Michael Jackson.

L’ascension de Satan

Le live à peine sorti, le quintette retourne en studio entre décembre 2014 et mai 2015 pour capter « Atom By Atom » qui est publié le 2 octobre 2015. Satan semble littéralement être pris dans une dynamique digne des grands groupes des années 1970 , devant sortir un album dès la tournée mondiale terminée.

Satan Guitarist Steve Ramsey Discusses Band's Comeback, New Album 'Atom By  Atom' & More – Metal Assault: Interviews

« Atom By Atom » maintient parfaitement le niveau créatif retrouvé du groupe, avec de nouveaux hymnes impeccables comme Fallen Saviour, Ruination, The Devil’s Infantry, ou My Own God. Comme sur « Life Sentence » avec Another Universe, « Atom By Atom » se termine par un morceau épique plus long et complexe nommé The Fall Of Persephone. Les cinq musiciens y exploitent leurs influences faites de Rush, de Black Sabbath, et de Thin Lizzy. Son approche est un peu différente de la ligne classique de Satan, et ouvre de nouveaux champs sonores tout en conservant l’identité musicale parfaitement intacte. La tournée qui suit ne montre pas le moindre signe de désaffection du public, qui reçoit avec beaucoup d’enthousiasme ce « Atom By Atom » un peu plus aventureux, mais très réussi.

Steve Ramsey et Graeme English décident alors de réactiver Skyclad pour un nouvel album nommé « Forward Into The Past » en 2017, le premier depuis 2009. La formation n’est plus seule sur le segment sur folk-metal, mais les deux musiciens ont trouvé élégant de clore proprement l’histoire riche de Skyclad. Car Satan devient de plus en plus important dans les carrières des cinq musiciens. Ils signent en 2018 sur le label mythique américain Metal Blade, celui-là même qui fit découvrir au monde Metallica et Slayer, entre autres. Cela leur ouvre les portes de la scène heavy-metal américaine, nord et sud. « Cruel Magic » est le premier album de cette coopération. C’est un disque plus brutal et plus rageur que son prédécesseur, rappelant autant les débuts du groupe que les épisodes sous le nom de Pariah, un heavy-metal flirtant avec le thrash-metal.

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« Cruel Magic » est une nouvelle réussite signée par le solide quintette mythique de Satan. Les guitares virevoltent encore, la basse et la batterie sont encore magnifiquement sollicitées, le chant est à nouveau magnifique. Into The Mouth Of Eternity, Cruel Magic, Legion Hellbound, Death Knell For A King, comme les deux odyssées au long cours que sont Who Among Us et Mortality sont autant de réussites créatives d’un groupe parfaitement inoxydable.
Après une nouvelle tournée majeure, Russ Tippins s’occupe d’enregistrer un excellent album de doom-metal nommé « In Another Time » en 2019 du groupe Tanith. Le groupe a depuis sorti le tout aussi bon « Voyage » en 2023.
Tout le monde mène ses activités musicales à bien, entre Skyclad et Tanith. Mais le quintette magique finit toujours par se réunir pour engendrer un disque d’une qualité incontestable. Après un hiatus un peu plus long que d’habitude en raison de la pandémie, ce sera le cas de « Earth Infernal », du niveau de « Life Sentence », rien de moins, mais avec des modulations héritées des expérimentations des deux albums précédents. « Earth Infernal » cravache avec panache, offrant des morceaux exceptionnels comme Twelve Infernal Lords, Mercury’s Shadow et qui se conclut par le vertigineux Earth We Bequeath. Satan joue avec tous les heavy-metal sombres et lourds. Il manie avec excellence le heavy-metal européen historique et des valeurs nouvelles.

Décidément, rien ne semble apaiser la fureur créatrice du quintette régénéré, et l’âge qui avance (ils sont tous quasi-sexagénaires) ne semble pas atténuer la vitesse d’exécution ni leurs capacités cognitives. Satan ne s’auto-parodie pas, il n’est pas tombé dans les travers du groupe lessivé qui survit pour arrondir les fins de mois de ses musiciens malgré la lassitude et d’éventuelles animosités internes. Les cinq musiciens restent ainsi soudés, toujours créatifs et vindicatifs, fiers d’avoir réussi à porter haut le nom de leur groupe. Et cela sans avoir jamais eu à faire de pacte avec le diable.

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