"Où étiez-vous depuis tout ce temps ?" Disparu de la scène musicale française depuis qu’il a jeté son dernier pavé en plein moi de Mai, Patrick Vian n’a par la suite publié qu’un seul ovni, "Bruit et Temps Analogues" en 1976. Réponse de l’intéressé, « Le jazz, c’est comme les bananes ».

788023_patrick-vianParu en 1976 sous le label Egg – division prog de Barclay – et réédité depuis peu chez Staubgold, « Bruit et Temps Analogues » de Patrick Vian est à la première écoute étonnant, mystique et inspiré. Le morceau d’entrée Sphère est une pépite qui réveille en moi de vieux souvenirs, ceux des premières écoutes d’ »In the court of the Crimson Kings » de King Crimson ou « The Pros and Cons of Hitch Hiking » de Roger Waters. Du jazz qui s’immisce dans la Sainte-Eglise Rock. Où l’inverse. Rock prog, jazz prog ? Sujet stérile à flinguer une soirée à l’heure des amuse-gueules. Mais peu importe, l’album plonge rapidement dans l’inclassable. Orenock est plus tribale, proche d’un Transit à Marilou, Toujours élégant, les Moogs percutent un jazz très aérien qui s’approche du Noise, quand soudain l’oreille est interloquée par une guitare funky dans R&B Degenerit. Grandiose. Je sais maintenant que ni Kevin Ayers ni Roger Waters n’auraient renié ce Bruit et Temps Analogues. Le morceau Tunnel 4 en est la preuve. Je pense automatiquement à ce bon vieux Roger, clope aux lèvres triturant ses machines dans les séances studio que l’on voit dans Live in Pompei. C’est le futur comme on l’imaginait au milieu des années 70, et comme j’aurais aimé qu’il soit. Des pianistes humanoïdes auraient joué du blues d’ascenseur comme dans Bad Blue. Au terminus, Tricentenial Drag. Vous êtes sur la lune, the dark side.
Et me voilà emballé par cette belle réédition, que j’étais vraisemblablement le seul à ne pas connaître, à en croire quelques érudits sur la toile. J’ignorais même jusqu’à l’existence de son auteur, Patrick Vian. Et, de même qu’une jolie paire de seins ne fait jamais l’affaire, j’en voulais plus. Mais tel une étoile qui vous file entre les doigts, Mr Vian n’aura pas réitéré l’exploit. En cherchant un peu, je suis tombé sur son premier groupe – Red Noise – fondé en 1968 sur les pavés de la Sorbonne. Sympa, pas ouf, et surtout loin de mes espérances. Alors j’ai eu l’envie de partir à sa rencontre, peut-être possédait-il quelques perles qui auraient échappé aux internets.

Reclus dans le Lubéron, à 40 km d’Avignon, Patrick Vian vit modestement des royalties de feu Boris, entouré de ses chats et de ses machines électroniques et rustiques à la fois. Paradoxal oui, mais c’est justement cette vision mystique du début des années 70 que j’étais venu chercher. Une époque ou l’on pensait encore que le rock prog était de la science fiction et que s’il y avait une intelligence supérieure dans l’univers, elle déboulerait aussi sec à coup de synthétiseur Moog et d’ARP Odyssey. C’était cool. On bricolait son engin à l’ancienne. Mais Patrick Vian n’aura pas travaillé pour la postérité, et en l’admettant à demi mots, lui aussi, reste snob. « Procrastinateur » précisera-t-il.

Une journée chez Pat’, c’est tailler le bout de gras aux milieux des vinyles et LP dans un melting pot des plus jouissif, où Snoop Dog fricote aux côtés d’INXS, Billy Idol – l’album « Cyberpunk », pas son meilleur mais assez visionnaire – s’entremêle avec J.J. Cale. Les Beastie Boys aussi, la légende Vince Taylor et beaucoup de Jazz. Les piles de Zappa et Mile Davis sont soigneusement rangées :«Tu vois, y’en a qui ont mérité le rangement. Le reste, c’est le foutoir». Une compilation de reprises d’Elvis assez tordue, « C’est anarchiste ce truc. Tu vois ça, c’est Keith Jarrett, The Köln Concert. Le truc le plus chiant que j’ai jamais entendu. A chaque fois que je vais chez un type, il l’a ». Patrick collectionne les passions comme d’autres les amendes Sncf. Il me tend un appareil photo poussiéreux. « C’est une marque allemande, l’appareil date de 1913 et il fait de la 3D, regarde ». En effet, avec un grain sur l’image d’une netteté incroyable. On a refait l’histoire de la musique, de Dylan le voleur d’House of Rising Sun à la guitare de Robert Johnson, détenue aujourd’hui par Dick Annegarn. Je lui fait écouter les Black Angels et lui explique le coup de la cruche électrique et de Roky Erickson. « Ouais, mais ça c’est rien encore, y’a carrément des Jug Band aux États-Unis ».

Une chose est sûre, on a parlé de tout, sauf de Boris Vian. Dans cette interview, ne cherchez pas l ‘inévitable question freudienne « a t-il tué le père ? » La réponse est évidemment non.

C’est sympa de m’accueillir chez vous.

Ici à Apt, on est à l’abri du vent de la vallée du Rhône. J’ai décidé de m’installer ici en 1976. Au début on habitait chez un paysan, sans eau, sans électricité. Bon maintenant on s’est installé dans les hauteurs, comme ça on évite les inondations. C’est une phobie, l’eau, ça fout tout en l’air, on peut rien récupérer.

Mieux vaux périr par le feu.

Oui, comme ça au moins, pas de regret.

En 2009, vous avez réédité l’album de Red Noise, « Sarcelles-Lochères » (1968), et crée un site internet – actuellement down. C’était quoi le projet ? Une reformation ?

« Sarcelles-Lochères », c’est la banlieue. Dominique Strauss Khan y a été maire après. Le site internet n’est pas de moi puis de toute façon je pense que Red Noise, c’était pas à refaire. Non, on ne voulait pas se reformer, puis deux des musiciens sont morts, assez jeunes. Une histoire assez curieuse, c’est l’à-côté de Red Noise. On n’était pas un vrai groupe, on faisait plus du happening, notamment avec d’autres groupes comme Platenarium.

Avec Red Noise, vous étiez en plein mai 1968. Quel regard vous aviez sur les évènements ? La musique, c’était un acte politique ?

Oui un petit peu. Moi je pensais que ça ne servirait pas à grand-chose tout ça, on était plutôt anarchistes, certains dans le groupe était plutôt trotskistes quand même. Je voulais juste montrer que pour faire de la musique, il suffisait de prendre un instrument et de monter sur scène. C’était juste une question de culot. Puis Red Noise… On voulait juste faire du bruit nous, le reste on s’en foutait. Je n’ai jamais eu une grande confiance dans les politiques, de toute façon.

Vous êtes les précurseurs du Noise.

Oui c’est vrai que ça existe maintenant. On nous qualifie de pré-punk et c’est vrai que la seule chose qu’on faisait, c’était foutre le son à fond. Les groupes qui passaient après nous, ce n’était même pas la peine qu’ils essaient de jouer sur la sono. Et quand on passait en deuxième partie, c’est nous que le public jetait. C’était marrant. En 70, on a joué au Bourget avec des pointures comme les Pink Floyd, Soft Machine. On a fait une messe du bruit. On était sapés comme des curés. Le son était épouvantable, les salles n’étaient pas étudiées pour ça. Si tu étais au fond de la salle, tu entendais la batterie qui résonnait en décalage, c’était l’horreur. On se plaint, mais je trouve que la musique a bien évolué. A part l’Euro Trash, y’a pas grand-chose que je n’écoute pas. Après, si c’est pour voir deux mecs derrières des platines, ça m’intéresse moins quand même. On me dit que le jazz est mort, mais les mecs ils n’ont pas compris qu’il fallait un peu changer d’étiquette. Prince pour moi c’est du jazz, c’est aussi bien que Little Walter et Benny Goodman. Le mec des Stray Cats, Brian Setzer, il a fait un orchestre de jazz à tomber par terre. Un Big Band comme dans les années 30, mais avec un son actuel et il cartonne aux Etats-Unis. Je dois en avoir un disque, on essaiera de le trouver, mais avec tout ce bordel…

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Avec la pochette de l’album « Sarcelles-Lochères » j’ai tout de suite pensé à Dali, mais plus particulièrement à « Pink Moon » de Nick Drake… Le gars était inconnu à l’époque, il est mort jeune.

Moi j’ai juste fait le collage à l’intérieur. Je l’ai même plus le vinyle, il me reste que la pochette. Je crois qu’on me l’a fauché quand je faisais une radio locale chez moi, Radio Bigarreau. On ne diffusait pas bien loin.

Avec les radios web aujourd’hui, ça aurait été plus simple.

Oui, c’est sûr. Y’avait des types qui nous captaient dans le Gard, mais pas plus loin. On a commencé à la libération des radios en 81 et on a tenu jusqu’en 96. On avait une émission qui s’appelait Baise-en-ville, du nom des petits sacs.

Pour en revenir à « Bruits et Temps Analogues », il y a quand même un sentiment d’inachevé quand on l’écoute plusieurs fois. On se dit « c’est dommage », que vous auriez pu aller plus loin. Mais j’ai cru comprendre que pour vous, la musique, c’était en une fois, qu’il ne fallait pas y revenir dessus. 

« Le jazz, c’est comme les bananes, ça se consomme sur place » C’est de Sartre. Cinq minutes avant le studio, on ne savait pas ce qu’on allait faire. On a improvisé.

« C’est un disque karaoké »

Quelque part, on peut appeler ça du snobisme à la française. Comme si l’envie de faire était plus importante que le produit fini. Après, le reste ne vous intéresse plus. C’est romantique, mais on oublie avec le temps.

La musique a été volé aux gens. C’est peut-être une idée romantique oui, mais à l’époque, la musique était jouée par les gens. Le boucher du coin venait faire son morceau le samedi soir au bal. Les artistes ont volé la musique au gens, comme pour les morceaux traditionnels, folk, etc.

Pour ma génération, c’est inconcevable. Aucune maison de disque n’accepterait de publier un album inachevé aujourd’hui. Les Pink Floyd, ils ont sorti 4 ou 5 albums avant d’avoir du succès.

Oui, dans les premiers Pink Floyd, y’a le barjot, Barrett. Ca laissait les trucs en suspens, et de la place pour l’imagination. Je suis pas fan de tout ce qui est super carré. J’adore ça à écouter, mais à concevoir, ça m’ennuie. J’aime quand on laisse des choses en l’air, un peu comme dans la littérature aussi. Je voulais que les gens puissent aussi emmener un peu d’eux-mêmes, dans leur imagination. « Bruit et temps analogues », c’est un disque karaoké.

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Il est sorti pour la première fois en 1976. Un an plus tard, c’était la déferlante punk.

Le punk c’était marrant, mais musicalement pas terrible. La démarche était intéressante, un peu comme avec Red Noise, dix ans plus tôt.

Oui mais si on va dans ce sens, le Velvet Underground aussi c’était punk. Dans les années 90 on parlait de Lo-Fi, je trouve que c’est plus approprié.

Ca, pour être Lo-Fi, on l’était. On a fait l’album en une journée.

Vous étiez les protégés de Jean-Paul Sartre.

Ma mère était l’une de ses petites amies, elle lui a fait écouté et il avait aimé. Il m’a évité d’avoir des problèmes en Hollande quand je me suis fait arrêter à la frontière avec 100 grammes d’Afghan.

J’ai envie de vous tenir responsable de l’inexistence du rock prog en France. Un seul album tout de même… Vous auriez pu persévérer, faire votre « Dark Side Of the Moon ».

Je ne vais pas dire que j’en suis le précurseur, mais le home studio c’est devenu une institution maintenant. Et on s’y est tous mis pour les mêmes raisons je pense. Dès que les machines électroniques sont arrivées sur le marché, j’ai tout de suite été fasciné parce que je pouvais enfin faire de la musique tout seul, parce qu’il me manquait ce côté Napoléon pour diriger un groupe. A un moment avec Red Noise, on a presque réussi à faire de la musique (rires). On arrivait à se comprendre, ça tournait. A partir de là, il fallait diriger tout le monde, donner des prérogatives, etc., je détestais ça. J’ai toujours admiré des mecs comme Frank Zappa. Avec lui, c’était au doigt et à l’œil. The Master ! Avec des machines comme le ARP 2600, le premier synthé que j’ai acheté, c’était un monde nouveau. Ce que je faisais, c’était plus proche de la musique contemporaine, ou expérimentale, que de la pop. J’étais parti dans un truc où il n’y avait plus de rythmique. J’adore les samples et les boucles, mais ça m’emmerde au bout de deux minutes, j’ai envie que ça change. J’ai fait deux concerts dans le Festival de science-fiction à Metz. Le laser, ça m’a fasciné.

Le but était de sortir du schéma classique «refrain/couplet/refrain/pont/refrain»

Oui complètement, je m’en soucie pas. Je n’ai pas été éduqué à ça.

C’est le format radio qui a réduit la musique à ce schéma.

Oui, 2 minutes 50. Et les ricains aussi. Quand le microsillon est arrivé, on a pu faire de la musique hors format, on avait une plus grande liberté. C’est aussi en rapport avec le temps d’attention de l’auditeur. Au-delà de 3 minutes 30, il passe à autre chose.

On fait des morceaux d’une minute aussi qui créent le désir.

Oui, moi à une époque j’achetais des albums juste pour une intro, en sachant que le reste était nul. La dernière fois que je me suis fait escroquer, c’est l’album de Duffy. La petite blonde qui a fait un tube. Le reste de l’album est à chier.

Oui, Mercy. Je suis sur que Duffy a samplé un orgue de Manzarek

Oui c’est possible. « Come on baby light my fire ! »

Je vous aurais bien vu composer pour Gainsbourg. Une suite à Melody Nelson ou L’homme à la tête de chou. Vous connaissez Jean Claude Vannier ? Il est à l’origine de tous les arrangements. L’enfant assassin des mouches c’est très expérimental, ça vous plairait.

Gainsbourg, je l’ai connu quand mon père travaillait chez Philips. Ca remonte au tout début de sa carrière, l‘époque Poinçonneur des Lilas. Le premier 25 cm, Du Chant à la une, l’album Confidentiel, c’était bien ça.

« J’aime beaucoup l’auto-tune »

La pochette de « Temps et Bruits analogues », est-ce qu’elle a un sens ?

Elle est de Georges Lacroix. Je voulais un truc bizarroïde. C’était fait pour illustrer un livre de science-fiction. Il l’a un peu amélioré, et puis finalement on l’a pris. C’est une bête qui est dans la tête de la jeune femme. La bête, la machine, contrôle l’humain. Comme disait Nedli Edstack, « The machine is more perfect than you, the machine is more perfect than you. If it isn’t, you refine it ».

Est ce qu’il reste des choses à faire dans le jazz selon vous ?

Le jazz prog, le jazz rock c’était pas mal quand même, y’a encore des choses à faire. Le jazz aujourd’hui on peut le trouver partout, du moment que ça swingue, peu importe l’étiquette qu’on lui colle. J’aime aussi quand il n’y a pas de rythme, mais là c’est pour l’exploration des sons. Le synthétiseur, on l’a très vite intégré mais pour les mauvaises raisons. Je suis encore sidéré de voir des publicités pour des synthétiseurs vantant celui qui a le meilleur son de piano. On s’en fout, moi je veux des sons que je ne peux pas faire avec un piano justement, sinon j’en achète un. C’est un peu ça la base de la musique d’ascenseur, Brian Eno a fait un album – « Music for Airports » pour pousser la démarche jusqu’au bout. J’aime beaucoup l’auto-tune, mais on l’utilise mal.

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Peut-on dire que plus jeune, vous aviez une vision du futur et que malheureusement, rien ne s’est passé comme prévu ?

Tout a été ramené dans le rang, le synthétiseur n’est pas exploité comme il le devrait. Bon je ne parle pas des groupes allemands. En 84, j’ai acheté un Atari Mega ST4, c’était un ordinateur d’une vraie révolution avec un disque dur de 30Mo, c’était énorme pour l’époque, IBM ils étaient à 48 Kilo octet. Atari Ils ont inventé le jeu vidéo après, des vrais précurseurs.

Vous avez écouté quoi, de 68 à aujourd’hui ?

J’écoutais tout. Led Zeppelin, Hendrix, les Animals… Eric Burdon a fait plus tard les New Animals, je les ai vus en première partie d’Hendrix, y’avait un light show incroyable, du coup Hendrix, c’était presque un peu fade après. Sinon quoi, Ten Years After, les Doors, Alvin Lee. Après en France, on avait Vince Taylor.

Oui ! Il cartonnait qu’en France, Taylor. On a inventé toute une histoire, on l’a vendu comme « numéro 1 aux Etats-Unis » alors qu’il n’avait jamais marché là-bas.

Oui, et puis en France il est venu concurrencer Johnny. Tout de suite, ca n’avait pas la même gueule. Taylor, il jouait dans des salles municipales, avec un vieux Citroën en tournée, le matos déglingué. Il avait que des emmerdes, c’était vraiment rock’n’roll au moins.

C’était un choix de n’exister nulle part médiatiquement ?

Pour vivre heureux, vivons caché…

Patrick Vian // Bruits et temps analogues // Réédition vinyle chez Staubgold

3 commentaires

  1. salut
    ca fait 40 ans que j habite a apt et je ne savais pas que patrick etait la, j ai son album effets et temps depuis bien lontemps dans ma collect, dis moi peut on te rendre visite?belle journee

  2. Merci pour cette rencontre, j’ai vu plusieurs fois Red Noise, aux Halles, à Paris (dans les sous sols !) et puis rencontré un jour Daniel Geoffroy , le bassiste et Jean Claude Cenci le saxo, ils étaient venu chez moi, on avait fait style un boeuf et ils avaient du partir discrétement, le voisin nous attendait avec son fusil…

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