Quand l’influent humoriste Jon Stewart a annoncé dans Le Daily Show qu’il organiserait le 30 octobre le Rally To Restore Sanity à Washington, il demandait à ses auditeurs d’imaginer «un Woodstock, mais avec la nudité et  les drogues remplacés par une dissidence respectueuse ». Plus de 215 000 personnes ont finalement répondu à son appel, un public garanti sans conservateurs à quelques jours des élections de mi-mandat. Vous avez de la chance, une reporter de Gonzai était sur place, déguisée en eskimo qui fond. Dans la folie ambiante, autant dire que je suis complètement passée inaperçue.

Sur les pelouses du National Mall, là où Martin Luther King proclama son fameux I Have A Dream, plus de 215 000 Américains costumés brandissent aujourd’hui des pancartes qu’on n’oserait pas sortir dans nos manifs place de la République : Nazi Cats ! I’m Scared Of Spiders ! , Don’t hate ! Masturbate !
La veille, sur un parking à l’angle de la 8ème avenue et de la 31ème rue de New York, la file d’attente devant le bus en partance pour Washington faisait déjà le bonheur du vendeur de hot-dogs à deux dollars installé sur le trottoir. La vieille dame au regard ahuri derrière moi semble moins apprécier la bousculade. Assez fière de savoir ce qui se tramait tout en étant l’une de ces Françaises à qui on demande à l’aéroport quelles armes elle a bien pu planquer dans son sac à main, j’expliquai à la granny que le rallye de Jon Stewart prévu pour le lendemain au National Mall était la raison d’un pareil engouement pour D.C ce week-end d’Halloween. Haussement d’épaules de mamie : «Tous les week-end, des rallyes sont organisés à D.C, mais forcément, comme c’est Halloween, les gens se déguiseront comme des idiots et ressembleront plus que jamais à nos politiciens ! ». Pourtant, Grandma, je l’ai vécu de l’intérieur ce rallye. Notamment grâce à Oprah Winfrey qui offrait places VIP, billets d’avion et grands hôtels – drôle de façon d’apporter sa contribution à un évènement qui prône la modestie, hum – à tout le public présent à l’enregistrement du Daily Show où assistait l’une de mes amies. Ce que j’y ai vu, même s’il ne s’agissait que d’une réunion d’Américains « modérés », ne m’a pas paru très raisonnable. Sur la scène installée devant la Maison Blanche, j’aurais ainsi vu Cat Stevens et Ozzy Ozbourne jouer en live, sans cesse interrompus par les deux pseudos hommes politiques en collants étoilés qui animent le show : Jon Stewart et Stephen Colbert. Le genre de scène qu’on n’oserait pas couper au montage dans un film de science-fiction ; pour vous déconnecter de la réalité, même Lynch n’aurait pas fait mieux.

N’oublions pas que le rallye de Jon Stewart c’est avant tout un rassemblement pour retrouver la raison.

Rassemblement social plus que politique, d’ailleurs une preuve du savoir-faire des américains pour enterrer le débat au profit de l’entertainment : duo Sheryl Crowe et Kid Rock, warm-up de The Roots et un zapping sur écran géant qui fait défiler des images satiriques dénonçant l’exagération des médias. Et ces hélicoptères qui tournent au-dessus de ma tête pour immortaliser l’instant, retransmis en live sur différentes chaînes, dont CNN, comme j’ai pu voir dans le Diner où je mangeais mes pancakes du matin avant de rejoindre le grand raout. Mais revenons aux faits : le rally était annoncé pour midi et ne durait que jusqu’à 15 heures. Avec des horaires pareils, on y but surtout du café dans des gobelets Starbucks, parce que le tea n’est pas vraiment de la party. Cette grande fête était en effet un pied de nez aux récentes réunions Tupperware organisées par les conservateurs, particulièrement celle du 28 août sponsorisée par Glenn Beck, présentateur sur Fox News. Paraîtrait même que Moe Tucker du Velvet y était… On aurait pu lui souhaiter de se racheter en se rendant au Rally For Sanity mais… je ne l’ai pas trouvée, pas plus Lou Reed du reste, certainement plus occupé dans la forêt  Écossaise sur le tournage du clip de Susan Boyle pour sa reprise de Perfect Day. Si si c’est vrai. Mes New-Yorkais préférés n’étaient donc pas là mais j’ai heureusment pu me consoler avec la présence de nombreux hippies, de Mister T, de poulets et d’Alice au Pays des Merveilles. Concernant Glenn Beck, longuement parodié sur la scène dans les divers sketches dont je n’ai pas toujours saisi la subtilité, la pancarte d’un chic type que j’ai croisé résume tout :

«Désolé  Glenn, mais le seul Beck que j’écoute, il a deux platines et un micro ».

J’aurais dû préciser que l’intitulé complet du Rally est : Restore Sanity / Or Fear. Il est organisé comme un affrontement entre la Team Sanity et la Team Fear, menée par le comique Stephen Colbert qui débarque sur scène extirpé d’une grotte empruntée aux mineurs chiliens dans un nuage de fumée. Le soir même, dans un bar de D.C. où se réuniront une cinquantaine de personnes déguisés en Super Mario en réponse à un appel lancé sur un groupe facebook, je trouve en guise de dessous de verre un faux programme électoral de Colbert : « Si ces 30 millions de personnes veulent une meilleure couverture sociale, qu’ils se trouvent un meilleur boulot, ou qu’ils rejoignent l’armée, ou qu’ils aillent au Canada, ou prendre des vitamines Flintstones, ce n’est pas notre problème ». Même si ce grand meeting sur l’herbe est clairement satirique, on ne tape pas sur Obama, absent des pancartes mais invité la semaine même au Daily Show, en mauvaise posture comme l’ont confirmées les dernières élections.

De son coté, Stewart maintient que ce n’est pas une réunion politique mais il n’est pas venu juste le guignol. Dans un récent sondage américain, on le voit même parmi les cinq personnes les plus influentes des Etats-Unis aux cotés de Bill Gates, Kanye West, Steve Jobs et Mark Zuckerberg. Pour avoir assisté au discours final du grisonnant Jon, je serai maintenant moi-même moins étonnée qu’il se voit confier un rôle important dans la politique Américaine. Capable de rire de tout en entraînant une foule dans son délire, il se sent néanmoins obligé de s’auto-justifier en permanence; et son grand discours de clôture passe d’une fête à un film Hollywoodien trompeur du genre peu conventionnel mais qui finit sur une grande leçon de morale quand même. Je sors mon mouchoir aux allures de drapeau blanc avec le melting pot du best of Stewart : « Si l’on exagère tout on n’entend plus rien ». C’est aussi valable en musique alors celle là, je la note dans mon bloc note. « Ce sont des temps difficiles, pas la fin des temps », voilà qui fera un beau happy end. Dans les médias du lendemain, partout on voit des photos de cette femme sandwich, le slogan porté en étendard  : « It’s a sad day when our politicians are comical and I have to take our comedians seriously ».


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