Des guerriers de la nuit aux mitaines cloutées qui trainent leur ennui dans un décor urbain de béton fluo. Du souffre, le feu du napalm, le réveil du grand Styx, des autodafés de Frank Zappa : voilà le programme que nous dévoile le duo Il Est Vilaine. Conversation avec un groupe moderne, qui entend bien régner sur Paris.

À la question «  Mais qu’est ce que vous voulez vraiment »? Le duo Il Est vilaine pourrait répondre: «We want to be free, we want to have a good time and we want to be loaded ». Ce dialogue de Peter Fonda, issue du classic de bikersploitation The Wild Angels de 1967 n’a pas été samplé par hasard par Primal Scream et Sir Andrew Weatherall sur « Screamadelica ». Car de la génération rave de 1988 à la génération Instagram de 2015, les préoccupations sont les mêmes. À cette France sclérosée et rancie qui se bouscule pour voir un David Bowie au musée, le groupe Il est vilaine propose de revêtir les couleurs de la RAGE.

Le duo techno est intéressant car il est composé de deux générations : Florent, la vingtaine, sort régulièrement en club et s’est immergé dans la culture techno récemment. Simon, lui, la trentaine est un vétéran : Il connu les premières raves, les premiers acides, le Pulp. A eux deux, ils ont créé l’entité Il Est Vilaine. Ils m’ont reçu avec du saucisson dans leur studio-bunker, à l’entrée des catacombes, la nuit. C’est leur première interview. On a discuté ensemble des soirées qu’ils font dans l’underground parisien avec des travestis, de Suicide, des raves, de trance, des racines de la techno en France, du business de la nuit, et même d’Emmanuel Top…

Pour commencer, comment est né Il est Vilaine ?

Simon :Florent et moi on s’est rencontrés un soir dans un club, derrière les platines, début 2014. Et j’ai halluciné car ça faisait longtemps que j’avais pas entendu quelqu’un qui passait des sons qui me correspondaient, qui me plaisaient. Et puis du coup, bah voilà, on s’est dit qu’on allait essayer de faire du son dans le studio.

Florent: On s’est croisés une fois ou deux avant, on avait des potes en commun, mais sans jamais vraiment sympathiser plus que ça. Dans une soirée en général tu vagabondes un peu. Ça c’est fait vraiment spontanément, il m’a invité à boire un coup, j’ai vu le studio, j’ai dit « ouah, putain c’est cool tous ces synthés ». Et puis voilà, ça c’est lancé comme ça. En une soirée, on a fait la track Scandal ensemble.

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Simon: On a adoré ce qu’on a fait ensemble. On fait de la musique un peu sauvage, avec un esprit rock, une certaine attitude. On s’est trouvés les même influences, les mêmes envies. Par exemple, sur nos morceaux on imaginait des sortes de chevauchées sauvages complètement psychédéliques. On aime le surréalisme tout les deux, les choses qui sonnent un peu différent. Même dans la composition des morceaux, leur structures, ne respectent pas du tout les fameuses mesures 4/4. Tout ce coté sauvage, ça nous a mené naturellement à Il est Vilaine. Le nom Il Est Vilaine, c’est un délire qu’on s’est tapé un soir.. .

Florent: … nous n’en dirons pas plus.

On a même des vestes à paillettes à 1000 dollars

Ca vient d’où cette imagerie pop sortie des Guerriers de la nuit, Street Of Fire de Walter Hill ?

Simon: On s’est acoquinés avec Apollo Thomas, un graphiste, qui a commencé à nous faire des illustrations et à délirer sur l’image du groupe avec nous. Apollo, c’est vraiment le troisième membre du groupe. Il a été dans le coup assez rapidement et a commencé à faire des espèces de motards, des décors de ville de nuit. Du coup on s’est imaginés avec des vestes de bikers, et Apollo nous a dessinés… Et c’est une copine, Christelle Noel, qui nous a customisé ces vestes. Donc voilà, maintenant tu vois, on est parés, on a même des vestes à paillettes à 1000 dollars, ah ah !

Il part me montrer une veste de biker, avec floqué au dos « Il est vilaine » comme les Hell’s Angels, avec des paillettes..

Florent: À mon sens, Il est Vilaine nous permet d’être moins sérieux.

Simon : Ouais, même si on fait ça hyper sérieusement. Sur le maxi, il y a un morceau qui s’appelle Lame de fond, qui est une espèce de messe cosmique un peu techno, avec un psaume de St Thomas, avec ses paroles « ne mentez pas » en boucle. On finit en général avec ce track-là, et il y a Florent qui est devant et qui…

Florent: Ah ah ah !

Simon: …Attend mais c’est mortel – il faut que tu vois ça : Florent hurle littéralement « NE MENTEZ PAS » avec une putain de reverb’ avec le track super véner derrière. Les gens ça les rend complètement malades !

Vous en faites souvent des lives ?

Simon : On nous propose plus des dj set. Là on a fait un live pour le collectif les Travalators, qui comme son nom l’indique est un collectif de travestis et de gays, super cool, au Club 56. Un tout petit club pourri, avec un son mais vraiment pourri, t’as même pas idée tellement c’est pourri, ça fait peur. Mais par contre il y a une ambiance, avec des mecs à poils, des nanas hystériques. Mais bon on aspire aussi a faire des scènes plus grosses, pas que des caves avec des sons pourris…

Florent: Mais c’est souvent là que c’est le plus drôle quand même. Il y a une réelle promiscuité, les gens se lâchent beaucoup plus. Le public n’est pas juste planté en train de te mater mixer, c’est vraiment une communion.

C’était un choix de sortir le maxi en vinyle ?

Florent: Disons qu’avec l’artwork d’Apollo qui allait bien, on s’est dit que c’est vraiment dommage d’avoir juste une petite vignette sur ton ordi. Et en plus du niveau du son, l’objet par lui même ne passe pas à la trappe. Tu prends l’exemple tout con : quand t’es devant ton ordi sur Beatport, au bout de 20 tracks t’en peux plus. Là, une sortie physique ça passe moins inaperçu.

Simon: Après sur le son par lui même il faut savoir qu’on a bossé sur le maxi avec Jérôme Caron (connu pour ses productions sous le nom de Blackjoy, nda) qui possède une démarche identique à la notre : du pur analogique. On a mixé le maxi chez lui. Sur cet EP, tout le process de production, de mixage et même de mastering est réalisé dans le respect du son analogique. Ça été mixé en Angleterre chez Optimum.

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Le vinyle est pressé à combien ?

Simon : 250 exemplaires. Ils sont presque tous partis, il doit juste en rester quelques uns.

Parlez moi de vos influences.

Florent : Beaucoup rock, new wave, post punk. J’ai été éduqué au rock par mon père, qui est musicien. Et aussi musique africaine, parce que j’ai été élevé dans un milieu où ma grand mère était marié avec un Malien et a vraiment participé à l’émergence et au développement de la musique africaine en France. Gamin, j’étais souvent dans des festivals, il y avait des bœufs à la maison avec des artistes africains assez connus. Après mes premières claques personnelles, c’est le rock’n’roll, mais plus la new wave, le coté plus sombre, ensuite le post-punk. La techno, j’y suis arrivé beaucoup plus tard, par le biais de potes, et à force de trainer dans des afters.

Et les artistes Techno qui t’ont mis la tête dedans ?

Florent: Le moment où je suis tombé dedans, et je me suis dit qu’il fallait que je creuse, c’est quand j’ai écouté des artistes comme Boris Brejcha, avec un morceau comme Wellenreiter. Je m’en souviens comme si c’était hier, en after complètement déglinguée. À me dire: « mais putain, c’est quoi ce morceau, il me le faut». J’ai commencé a écouter de la techno avec ça.

Contrairement à quelque chose d’installé comme le rock’n’roll, on parle assez peu de la culture techno. C’est pour ça que j’insiste sur la genèse, comment vous vivez cette culture, comment vous vous êtes immergé dedans. Vous avez un studio, vous vous impliquez, c’est de l’argent, c’est du temps…

Simon: C’est intéressant ce que tu dis, mais je pense que c’est un truc générationnel aussi. Moi, je suis plus âgé que Florent, et quand je l’écoute parler j’ai pas l’impression que c’est un mec de 25 ans. J’ai l’impression que soit il a mon age, soit il est plus mûr. Regarde : j’ai la fille de mon associé du label, elle a 18 ans, elle sort tout le temps, elle connait tout les djs, les classiques, etc. Elle nous dose tout les trois en musique électronique. Un jeune d’aujourd’hui, il n’a pas ce cheminement du rock, des influences. Moi quand je suis né, il n’y avait pas de techno. Ça n’existait pas. Je suis né en 74, et à part Kraftwerk il n’y avait rien. Ce que tu racontes, c’est hyper intéressant, car maintenant tu as des kids qui vont te dire : « moi j’ai toujours écouté de la musique électronique ». Alors que moi je ne pourrais pas dire ça !

Florent: C’est ce qui nous a rassemblés aussi. On était sur les mêmes influences un peu weirdos.

Grandir avec le top 50 et le Velvet Underground… 

Et toi Simon, tes influences ?

Simon : Comme je suis le petit dernier, c’est surtout une de mes sœurs qui avait des influences pop, toutes les merdes du top 50. Alors je renie pas du tout ça, au contraire. Et par une autre de mes sœurs, le côté contre-culture avec le Velvet, Nick Cave..

… En même temps que le top 50 ?

Simon : Oui, en parallèle : le top 50 et le Velvet. Du coup schizophrénie totale, parce qu’au final je peux adorer tant des trucs vraiment mainstream et faciles que des trucs très très barrés. Ce qui m’anime en fait, ce n’est pas la recherche du bon goût, c’est plutôt la recherche de l’émotion.

Comment t’es arrivé dans la techno ?

Simon: Quand j’étais plus jeune j’avais un groupe de rock en fait. Et la techno j’y suis arrivé plus tard. C’était le tout début de la techno en France, début 90’s, j’allais entrer à la fac, et il y avait des teufs où je me pointais avec ma guitare, on fumait des pétards et on jouait. Il y avait un batteur, un bassiste et tout. Et puis un jour, on fait une teuf dans une baraque, et il y a des mecs qui ramènent des platines, et vraiment tu sens qu’ils s’éclatent. Et ça dure et ça dure, et moi je suis là avec ma pauvre guitare, j’essaie de faire des solos par dessus et je sens que je les fais chier ! Ça avait l’air vraiment cool mais pour moi, à l’époque, c’était pas de la musique, c’était vraiment étrange.
Donc, j’ai commencé comme on commence un instrument : j’ai acheté deux platines, je suis allé à la Fnac, c’était les débuts de F.com (label de Laurent Garnier, nda), et j’ai acheté mes premiers disques. Je m’en souviens c’était un truc d’ambiant qui s’appelait Dune, les premiers Borealis. J’avais aucune idée de ce que j’achetais en fait, j’en avais rien à branler. Pour moi c’était pas de la musique c’était juste un truc qui fallait mélanger ensemble et tu faisais entrer les gens en transe. Donc, j’ai commencé par de la transe. Bonzai records, de la Goa..

Florent: … ah ouais, carrément ! (rire moqueur)

Tu faisais dans la trance Israélienne alors ?

Simon: … Voilà, et là je me dit pourquoi j’en ai parlé, ça va être écrit, ah ah ! Mais en fait avec le recul, je me souviens d’un artiste qui m’avais scotché à l’époque : c’est Emmanuel Top. C’était entre la transe et de l’acid ce qu’il faisait. C’était énorme. C’était sur des disques Attack records. Je me souviens de Dj Chloé, à l’époque elle ne mixait pas encore, et je passais des disques d’Emanuel Top, elle m’a dit qu’elle avait pris une claque avec ces tracks. C’était des morceaux de fou, comme de l’acid, à part que c’était pas à 120bpm, ce qui serait plus raisonnable… D’ailleurs, plus le temps passe plus les disques se ralentissent. Maintenant t’as des mecs comme Joaquim qui font des edits de disques de trance juste en les ralentissant vers 109bpm, ça donne des trucs complètement acid du coup. Et un mec comme Emmanuel Top, putain j’adore ce qu’il faisait, et j’adore toujours. D’ailleurs, j’ai les disques juste là, si vous voulez je vous les fais écouter parce que..

Florent: non, non ça va aller… (rires)

Simon: Ah ! Ah ! bande de salauds. Alors voilà, ça c’est mon entrée dans la techno. Et ensuite j’ai découvert le courant minimal, le tout début, Steve bug avec son « Lover boy », Dan Ghenacia, Traffic records. C’était le tout début des free party, avec les soirées Mental Confusions au Gibus le mercredi soir. J’ai perdu quelques neurones là bas. Il y avait les Psychatrix qui venait mixer, et..

Florent : Putain tu te faisais des sacrées soirées, dis donc…

Simon:… Non mais attend: Les Psychatrix, c’était un collectif anglais qui est venu s’installer à Paris faire des teufs, les technivals. Et ce sont les premiers à avoir investi la capitale et avoir amené du son techno. À l’époque j’écoutais Manu le malin, Micropoint, du hardcore. Donc encore une fois, j’ai toujours été super gourmand en terme de son. Jusqu’à ce que je commence à réaligner mes goûts premiers, du rock un peu déviant, du post punk avec la musique électronique. Avec le projet Il Est Vilaine, j’ai l’impression de me libérer, c’est vraiment un truc hyper jouissif pour moi. J’ai l’impression de tout mettre dedans.

Florent: On a un coté assez rockab’ dans notre esprit, mêlé au côté électronique pure et dure du synthé. On a eu un commentaire des mecs de Picadilly, les vendeurs de disques, qui pour nous introduire nous on comparé à Suicide, ce que je trouve très flatteur.

Simon : C’est hyper flatteur. Tu veux du saucisson ?

Je veux bien une petite tranchette, oui. La suite, c’est quoi ?

Florent: Il y a un deuxième maxi qui est prêt, qui est mixé, qui doit sortir on ne sait quand encore. Là, on attend une réponse d’un label anglais. Si ça se fait pas on se produira nous même. Mais on aimerait bien avoir une visibilité un peu plus grande. Sinon, on est sur un edit/remix d’un morceau obscur d’EBM, à l’origine juste une voix et et une bassline acid : Captaz par le groupe Velodrome, qui est typiquement le genre de morceaux qui attend d’être ressorti dans les bacs.

Moi j’ai toujours été mal à l’aise avec le clubbing. Quand j’étais plus jeune et que je découvrais la techno, je ne trouvais personne pour m’accompagner voir des djs qui se produisaient dans ma ville. Arrivé devant le club, je me faisait « pointer » à l’entrée parce que j’avais pas de New Balance aux pieds et que j’étais seul. Je me retrouvais devant un problème : j’achetais les maxi-vinyles de ces artistes, je connaissais les labels, mais je ne pouvais pas les voir jouer. À coté de ça, je voyais des mecs avec des chemises violettes qui n’y connaissaient rien et qui entraient dans le club accompagné de deux filles. Tout ce business allait à l’encontre des influences post-punk prônées par ces artistes. C’est quelque chose de normal pour vous, ou c’est juste le business de la nuit?

Simon : Non, non, ç’est pas normal, c’est pas le business. Ça devrait pas être normal ce que tu dis. Nous, on organise des soirées quelque fois, où on invite des djs. Mais c’est vrai que ce qu’il nous faut c’est un lieu où on peut vraiment faire des soirées, où la politique de la porte c’est nous qui décidons. Faire rentrer des gens, accompagnés, pas accompagnés…

…. New Balance ou pas New balance…

Simon : : Voilà, des gens qui viennent vraiment pour faire la fête, pour écouter du bon son, pour s’éclater. Moi ce que je voudrais c’est que l’exigence soit sur les djs qui passent la musique pas sur le nombre de meufs qu’il y aura dans la soirée où le nombre de connards qui prennent des bouteilles de rosé.

Florent: Tu prends la période du Pulp, c’était typiquement un lieu ouvert. C’était un lieu alternatif. Ça représentait la mixité du public et de la musique. Tu pouvais aller à une soirée, il y passait de la new wave, et après t’avais de l’electroclash et de la techno. Et on manque cruellement de ce genre de lieu. Les personnes qui y allaient ne se disaient pas : « on va se faire un set techno, ça va être super ». Non, ils y allaient ; il y avait un effet de surprise.

Maintenant n’importe quelle pétasse qui tiens un blog peux faire la dj.

Simon : En fait, on manque d’endroits rock’n’roll à Paris. Au Pulp, la politique de la porte était super cool. Le truc c’est que c’était petit alors c’était blindé très rapidement, il y avait la queue. Mais tout le monde pouvait rentrer. Le samedi soir , c’était pour les filles uniquement, donc le gros soir c’était le jeudi. C’était le début des selectors, mais les bons selectors. Maintenant n’importe quelle pétasse qui tiens un blog peux faire la dj. Ce sont des gens qui n’ont rien à foutre derrière les platines.

Florent : On est dans une culture du show off : tu te fais un réseau et t’as envie de mixer pour la fashion week. Après t’as deux aspects dans la fashion week : t’as des mecs comme Dior ou Saint Laurent qui ont envie de faire émerger cette culture qui est a priori inhérente à l’actualité. Ils ont envie de la développer car pour eux c’est un courant moderne, c’est une vrai démarche. Après tu as le coté « réseau » où tu vas mixer pour des soirées de lancement d’une marque et là c’est plus le même discours. Des mecs qui ont rien à voir avec la choucroute et qui sont là parce qu’ils ont un putain de réseau, ou bien c’est des it-girls parisiennes un peu mignonnes qui connaissent rien à la zik mais on s’en branle parce qu’elles ont deux millions de likes sur leurs photos Instagram.

Simon : Il y a quand même un truc qui est en train de changer : les jeunes ont envie de trucs sincères et vrais. Ils se tournent de plus en plus vers les origines de la house, et ça c’est bon signe. Toi aussi, revêt les couleurs d’Il est Vilaine et­ rejoins-nous pour la révolution. On t’attend.

Il Est Vilaine // Scandale EP chez Dialect Recordings.
Illustration : Gerard Love

http://ilestvilaine.bandcamp.com/releases

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