Imaginez qu’en exhumant le corps d’un vieil oncle vous tombiez sur un cadavre encore vivant fringué comme un danseur disco. C’est en peu de mots l’effet procuré par cette chronique martienne que fut la Library Music française tout au long des années 1970. Et comme les services de police n’avaient jusque là jamais réussi à identifier le corps de ces 'musiciens à l’image', le deuxième volume de ‘Cosmic Machine’ a tout l’air d’une résurrection bis repetita.

Quand on parle de Library Music, on se sent toujours un peu obligé d’expliquer de quoi on parle. Ou plutôt de qui, puisque [instant pédagogie] il est ici question de ces requins de studio aux physiques souvent dégueulasses qui, tout au long des années 1970, composèrent à la pelle des génériques pour la télé, la radio, la pub, parfois même le cinéma ; quoi qu’il en soit, à chaque fois avec un dessein commercial qui fera longtemps ricaner les esthètes, quitte à ranger un peu trop rapidement ces mélodies faciles au rayon musique d’étagère. Comme on me fait signe dans l’oreillette que mon speech d’intro était un peu trop long, je rends l’antenne à Cognac Jay et on se retrouve juste après la réclame sponsorisée par Leon ‘Crazy’ Zitrone.

Grâce à ce révisionnisme aigu typiquement français qui, de Robert Faurisson aux Inrocks redécouvrant des trésors cachés qu’ils ignoraient superbement à leur sortie, la Library Music a comme un coup de boost au niveau des mollets depuis que Youtube permet de redécouvrir à peu près tout et n’importe quoi. Plus c’est obscur et mieux c’est. Moins votre voisin connaît la phase électronico-chelou de Nicolas Peyrac avec la B.O. des 7 jours de janvier (1979) et plus vous montez les marches de l’auto-suffisance. Et parce que la Library française, historiquement l’une des meilleures au monde, est passée du sous-genre rigolard qu’on écoute en fin de soirées à celui plus prestigieux de compilations pour Diggers à haut ranking sur Discogs, tout le monde se bouscule au portillon. Et là, c’est comme à l’entrée des discothèques, beaucoup d’appelés, peu d’élus.
Manière de dire que le premier volume de ‘Cosmic Machine’ était complètement foiré et donnait l’impression d’être un abécédaire pour les nuls, à la fois comique pour le tracklisting méga cramé (Bernard Fèvre, Patrick Juvet, Cerrone) et machine à fric pour l’opportunisme à surfer sur la tendance. Avec ce volume 2, c’est un peu plus que ça. Si l’on imagine que les ventes du premier volume ne se sont pas révélées assez décevantes pour qu’on en reste là, il faut bien avouer que les morceaux aujourd’hui proposés mettent la barre un peu plus haut. Déjà parce que loin d’être un revival 100% Library, ce nouveau tome ouvre un peu les portes et se veut plus guide vers les musique étranges que simple annuaire d’époque de la musique à l’image. On trouvera donc des habitués de l’illustration sonore comme Roger Roger (Vadrouillard 3) ou The Peppers (figure de proue de Tele Music avec le hit de supermarché Pepper Box) mais aussi de véritables étrangetés futuristes comme le Moonshine de Stereo (1985), un sublime Ruitor de Richard Pinhas extrait d’un disque dont on ignorait l’existence (‘East West’, 1980, avec une pochette de Druillet) ou encore la bonne blague du clubbing avec Rosebud, un projet de covers disco des morceaux de Pink Floyd avec l’inénarrable Jannick Top à la basse. Toi-même tu sais.

Tout cela est évidemment mille fois plus recommandable qu’une intégrale des faces B de Justice et devrait vous permettre d’épater Martine du service comptabilité à la pause déj – bravo vous êtes devenu un Digger. Si tout ce battage vous écœure au point d’hésiter à remettre L’Affaire Louis’ Trio en version wavecore sur la platine – RIP Hubert Mounier, toussa – direction Born Bad pour le deuxième volume – décidément – de la collection Space Oddities consacré à Roger Roger et Nino Nardini, tous deux passés de la Muzzak à l’expérimentation à un âge pourtant très avancé. Un poil plus abstrait que ‘Cosmic Machine vol. 2’, mais parfaitement représentatif du nuage gazeux qui survola la France tout au long des années 1970.

https://youtu.be/JUgC1Rk-vEo

Ah, et puisqu’on en est à faire la réclame des musiques de réclame, impossible de refermer cet article consacré aux génies du dimanche sans évoquer la publication en juin d’un énorme livre dédié à l’histoire de Télé Music ; pour beaucoup le label fondateur de la Library française et qui, avec Sauveur Mallia, Bernard Estardy ou Pierre Bachelet dans ses rangs, reste l’un des plus beaux accidents que la France ait jamais enfanté. Après le dépouillage des anciens entrepôts de EMI par les Diggers, laissés à l’abandon par un vigile peu scrupuleux, et la vente d’une partie des archives de Radio France, ces actualités vieilles de quatre décennies tendent à confirmer que la Library est loin d’être morte. Et que le passé a un bel avenir devant lui. Au prochain épisode, nous découvrirons peut-être comment les Daft Punk ont fait carrière grâce à un tube d’Italo Disco datant de 1983.

Cosmic Machine vol. 2 // Because
Space Oddities : Studio Ganaro (feat Roger Roger, Nino Nardini & Eddie Warner) // Born Bad
Tele Music : anthologie 50 ans // Sortie le 9 juin aux Éditions Sforfando

4 commentaires

  1. Le titre de Bernard Fevre sur la #1 était une exclu (un titre de 1977 jamais sorti), donc pas vraiment « cramé » 🙂
    Mais si vous vouliez dire que Fevre compte parmi les references évidentes de la library, on est bien d’accord 🙂

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