Elue porte-manteau lacrymal de la rentrée 2010 avec son nouvel album « Stridulum II », Zola Jesus fait pleurer de joie tous les dépressifs à taille 34 des fashion weaks. Une goutte de noirceur, des couches d’angoisses empilées en mille-feuille, l’American se servirait-elle du noir comme d’un apparel? Réponse avec l’artiste, en face à fa(r)ce.
Voilà près d’un mois que c’est la rentrée, le retour aux habitudes. Comme chaque année, l’été s’incline devant les feuilles qui commencent à tomber, chaque fois c’est un peu la même histoire: tenter de trouver l’album à la mode de l’automne hiver, celui qui fera danser au bal des squelettes. Sombre défilé de postulants tous les ans, cette année le casting a retenu Zola Jesus et son disque de survivance à l’été qui s’en va. Sur les trottoirs de Pigalle, dans ce mercredi d’entre deux saisons, un homme photographie les sex shops dans la commissure des devantures, un couple – lui et ses 55 ans de notable, elle, la vingtaine un peu perdue – pénètre dans un hôtel de passe. Drôle de quartier pour une rencontre, drôle d’époque où les urbains courent après les abysses pour oublier la profondeur.
Nika Roza Danilova est née à Phoenix, elle a grandi dans le Wisconsin puis s’est exilée sous le soleil de L.A. Sombre comme un pélican mazouté, son nouveau disque affole tous les journalistes branchés, ceux qui n’ont rien de mieux à foutre que de ne pas aller bien. Des comparatifs dithyrambiques qui la comparent à la nouvelle Siouxsie, d’autres qui lui font la cour en l’intronisant nouvelle égérie noire tristesse. Bref rappel des saisons précédentes: Bat For Lashes pour un été sans soleil en 2008, Fever Ray pour la collection printemps 2009, The XX pour l’hiver 2010 et les garçons modernes de The Horrors pour la collection homme permanente. Avant même d’avoir parlé de musique, le look. Certains parviendront à résister au temps qui passe, d’autres croupiront sur le dessus d’étagère: on a souvent le tiroir qu’on mérite.
Stridulum II, donc. Un album à manipuler avec des gants satinés en attendant d’y voir plus clair. Nika Roza chante du désespoir à s’en faire vomir tout l’intérieur du corps, Trust me est une ballade romantique désespérée post-gothique avec des claviers en orgues de barbarie, Night une incantation d’anorexiques pour défilés de chez Chanel, tout au long de l’album cette impression que la poétesse à badigeonné ses toiles de rimmel waterproof, la tristesse en étendard qui dure 24 heures comme dans les meilleures publicités pro L’Oréal. Sur l’autre versant, le plus intéressant certainement, des titres comme Tower s’imposent facilement, vision prophétique de cathédrales sorties du magma rouge sang. Difficile donc de faire la lumière sur cet album monochrome. Et chez Zola Jesus, pas facile de distinguer l’Assommoir des hosties, si vous permettez ce trait d’esprit.
La blonde évanescente est assise dans le sofa de la boutique Gals Rock, jeune prêtresse déjà rodée au jeu des entrevues. Aujourd’hui, l’audience sera longue, les journalistes nombreux à venir lui demander confession. Ah ça y est, c’est mon tour, je m’installe. Polie et conforme à l’idée qu’on se fait d’une américaine en voyage, Nika me demande si ça va:
« Pas vraiment, aujourd’hui j’ai peur de mourir »
C’est vrai que j’ai failli mourir plusieurs fois ces derniers temps, du moins ce fut mon obsession. Top 3 de mes morts présumées cette semaine:
1. écrasé par un bus en traversant place Pigalle pour rejoindre Zola Jesus.
2. tué par un rebord de fenêtre en interviewant Katerine: « attention au coup du lapin, ce serait con de mourir comme ça ». Merci Philippe.
3. apoplexie de crise d’angoisse au Stade de France blindé pour U2. « Aurais-je le temps de m’enfuir en cas d’attaque terroriste? Et si la structure s’effondrait, pourrais-je m’extirper des décombres? »
Paradoxalement, Zola Jesus ne sait trop quoi répondre. La twenty something semble encore sous le choc de sa première partie pour Fever Ray la semaine d’avant, à l’Olympia: « it was amazing, that was my first show in Paris, very positive… I think it was. ». Face au succès – médiatique, du moins – de son nouvel album, la blonde au nez crocheté et au cheveu sur la langue semble également un peu surprise, du moins excitée – un trait d’humeur américain, visiblement, ils trouvent tout « exciting », c’est dingue: « Yeah, that’s so exciting! Tu espères toujours que te chansons rencontreront le public, ce qui ne fut pas le cas pour l’album précédent. My music is very personnal, I’m very low-confidence in my creativity. ». Pas si étonnant que ça, franchement. Des codes vestimentaires qui rappellent des terrains connus (The Cure, Siouxie), une ambiance de mal-être qui colle bien à l’ambiance fin de monde, Zola Jesus n’a franchement pas besoin de beaucoup de maquillages pour coller à la tendance 2010.
Quoiqu’en dise Nika (« I don’t know… I don’t think so, no »), The XX ou The Horrors ont ouvert la voie à ses musiques champêtres Waterloo VS Paris Plage, elle qui a débuté son groupe à seize ans ne semble pourtant avoir qu’un seul objectif, éveiller les consciences: « I write songs to make people more aware, I think a lot of people write songs about… yeah, fake feelings. Me, I’m just writing about things that I think important to people to ask themselves. I just want to start a dialog, that’s my goal. Especially in america, people just don’t ask questions anymore and to me it seems quite frightening ». Superbe perche pour ma question punching-ball. Fille d’une Amérique puritaine et disciple d’un rock épouvantail & manucure, croit-elle davantage en Zola ou en Jésus? « I don’t know. Zola was arevolutionnary, Jesus was a revolutionnary. So… I love both, but I’m not a religious person ». Nika botte en touche, 21 ans et déjà l’art de manier la langue comme un tube de rouge à lèvres. Fascinante carrière d’une artiste angoissée qui préfère se cacher plutôt que d’ouvrir complètement son trench couleur mort.
Gamine de la campagne élevée dans la périphérie redneck, l’enfance Zola Jesus n’est pourtant pas si éloignée de celle de ses anti, Britney Spears et Lady Gaga. La même ambition, la même quête du pouvoir, le même égo qui déborde et dévore. On l’imagine Nika, son enfance à triturer des poupées sur-maquillées en écoutant les Cramps, The Cult et les Pistols: « My childhood? It was lonely, but not sad lonely. I lived in the country. I had a strong family values and my family was very close and they provided me all the love, the care that I needed. So I didn’t need friends ». La comparaison au post-punk ongles désincarnés de Siouxsie, pour sûr, ça lui fait craquer les doigts à la Nika: « Well… Ca donnerait des angoisses à n’importe quel musicien, j’ai vraiment envie d’apporter quelque chose de nouveau au public, j’essaye vraiment, et Siouxsie est déjà une icône, plus personne ne pourra copier sa musique, elle a fermé la porte derrière elle. Cela effraie les gens de ne pouvoir mettre une étiquette sur un nouvel artiste ». Ajoutons que démuni d’étiquette, certains vêtements peinent à trouver acquéreur; pas facile de fourguer son vintage sans code barre.
Voilà une vingtaine de minutes que Nika et moi n’avons rien de spécial à nous dire. Sur la dernière ligne ondulée, j’apprends qu’un nouvel album est prévu pour le printemps 2011 mais « qu’il faudra attendre sa sortie pour en savoir plus », que Zola Jesus tournera encore aux Etats-Unis dans les semaines à venir. Demain, d’autres journalistes lui demanderont encore d’où lui vient ce nom de groupe, elle se répètera encore à l’infini, petit corbeau monstrueux prêt à jouer le jeu du cirque promotionnel. Sa plus grande angoisse? « Mourir sans avoir eu le temps de tout dire. I could die in a day, I could die in a plane. Je pourrais mourir aujourd’hui même en me faisant écraser par un bus, no one knows… ». En sortant de la boutique, j’ai regardé des deux cotés avant de traverser. « La mode renait de ses cendres chaque année » me suis-je dit, la faucheuse attendra bien encore un peu.
Zola Jesus // Stridulum II // Souterrain transmission
http://www.myspace.com/zolajesus
12 commentaires
« Voilà une vingtaine de minutes que Nika et moi n’avons rien de spécial à nous dire. »
Ben ouais. En même temps, au vu des réponses, j’imagine les 5 ou 6 questions posées (en mode Jeopardy):
-Comment c’était Fever Ray ?
-Tu penses quoi de The XX ou The Horrors ont-il ouvert la voie ?
(Plutôt Zola ou Jesus ?
-Pour quoi écris-tu des chansons ?
-Parle nous de ton enfance.
-Et les comparaisons avec Siouxise, qu’en penses-tu ?
-Ta plus grande angoisse?
Si t’avais (un peu) bossé, t’aurais su que Stridulum II est piqué au film nommé… Stridulum. Le ciné la influencée. la philo, aussi, y parait. Mais en quoi…
Que l’album ne fait qu’allonger le maxi du même nom, paru en mars, avec 3 vraies-fausses nouveautés.
Qu’elle fait beaucoup de disques splittés (avec Burial Hex, L.A. Vampires…) sur différents labels assez passionnants (Sacred Bones, pour n’en citer qu’un.)
Pas question de t’apprendre ton hobby, hein, c’est bien que t’en parles, tout comme je suis content que Noise ou Magic en aient parlé. Pour les Inrocks, on attendra…
Mais là, tu restes dans les lieux communs, et tu lui reproches de n’avoir rien à dire. La faute à tes questions creuses, peut-être ? En début d’année, Noise l’avait interviewée. Elle y paraissait bien plus intéressante. C’est qu’elle répondait à des questions un peu plus intéressantes, aussi.
C’est pas une attaque personnelle, Thomas. Juste une remarque (que j’espère) constructive, en passant.
Sur la référence au film, merci je le savais. Mais les questions systématiques sur l’explication des noms, du choix de titres, c’est un peu fatigant je trouve, et cela n’apporte pas toujours quelque chose.
Mais t’as peut-être raison mon vieux, dans la globalité du commentaire.
De l’autre coté, ça fait un mois que le disque tourne chez moi et j’ai longtemps hésité avant d’écrire une ligne dessus, encore plus à me déplacer pour une rencontre. La raison de l’interview, et les mots – les questions n’expliquent pas tout, c’est que j’arrivais pas à m’enlever de la tête que cette musique sonne du flamby retourné. C’est bien fait, c’est gentiment triste mais rien ne reste véritablement. La rencontre est donc venue pour confirmer mon interrogation. Egoïstement, j’y ai trouvé mes réponses mais m’abstiens bien d’une conclusion générale qui prouverait que j’ai raison objectivement.
J’ai du mal à savoir ce qui est le pire dans le motif d’une interview: se pâmer d’avoir découvert la nouvelle sensation made in L.A. ou venir chercher des réponses personnelles.
Putain, faut arrêter de réfléchir pour rien. La question c’est juste : est-ce que tu prends plaisir à écouter ce disque ? Moi oui. Et au lieu de disséquer des choses qui n’ont pas lieu d’être, je me serai borné à dire en quoi cette musique est belle. « Tout artiste est coupable jusqu’à preuve du contraire », disait l’autre. Mais faut pas non plus voir des coupables partout !
« Torturez l’artiste », comme disait Goebel (non, l’autre). Au moins elle saura pourquoi elle chouine.
Nous par contre on sait pourquoi on baille.
par pitié, tirons la chasse abrégeons ses souffrances et celle de mes oreilles dans la foulée. Et ce clip, parce qu’il s’agit bien d’un clip ? ou d’un cauchemar sous néon.
Kikou le Bester,
petit mot pour te remercier de la decouverte, je ne connaissai pas et je trouve cette Zola bien sympatique et en soit, cela est déja un bon point.
A plousse ma caille 🙂
Encore de l’ersatz, caractéristique de ce que le showbiz ne sait plus que faire : ici vendre aux jeunes dépressifs qui n’avaient pas l’âge dans les années 80 pour gober des micropoints en écoutant Siouxsie. Foutez moi ça au caveau & restez immobile.
Sacred Bones records. Daily Void. The Eclipse of 1453.
Il y a deux mois, j’étais enthousiaste en partie à cause de la belle voix grave de la demoiselle et sûrement aussi à cause des références Cure/Siouxsie. J’avoue qu’aujourd’hui, je n’écoute plus du tout. Donc, tu avais raison, ce n’était sans doute qu’un feu de paille (ou alors c’est lié au fait que tout ça manque encore un peu de maturité, elle n’a que 20 ans, quand même).
Chère Disso,
merci. Je me sens désormais moins seul.
Coupons la poire en deux: c’est un feu de paille qui manque encore de maturité.
Le look en dit long sur elle. Se présenter en 2010 avec des oripeaux gothiques tout en ressemblant comme deux gouttes d’eau à Lydia Lunch, ce n’est pas anodin. Son album est dans le top 50 2010 de Pitchfork : la hype fonctionne mais avec moi, ça n’a pas opéré, son disque m’est aussi tombé des mains. Ce côté grande prêtresse irrite : on dirait Liz Frazer meets Andrew Eldrich et ces deux artistes m’éxaspèrent.
Quant à sa façon de botter en touche quand on lui parle de Siouxsie, c’est assez amusant car contrairement à elle, les Banshees n’ont jamais fait une musique monolithique. Leurs singles étaient pop avec des refrains entraînants : leur best-of en est une illustration. Je doute fort que Zola Jesus soit un jour capable d’en faire de même et de transcender les genres en attirant à elle un public varié. Zola est jeune certes mais à 20 ans, Siouxsie avait déja sorti un single pop punk lamé or avec un motif oriental « HOng Hong Garden ». J’ai cherché un morceau pop imparable sur son disque mais y’en a aucun.