C'est drôle, parce que lorsque sont sorties en 2003 les compilations Mutant Disco et N.Y No Wave, le terme 'dance punk' était sur toutes les lèvres. Pourtant, ZE Records avait été le label le plus excitant à l'orée du passage des années soixante-dix aux années quatre-vingt, avant de se relancer fraichement en 2002. 'The most fashionale label', pour reprendre Face Magazine, allait être la synthèse de ce qui faisait alors bouger les fesses des New Yorkais(es), partagés entre No Wave d'un côté et Disco de l'autre.

Le Punk n’était plus qu’une farce, il était déjà nécessaire d’aller plus loin que du « mauvais Chuck Berry joué trois fois plus vite » (Lydia Lunch, Teenage Jesus and the Jerks). Eno Brian venait de sortir No New York, et ZE allait devenir le label de cette nouvelle scène..  Mais en 2003, donc, si on voulait son bol d’action et frémir un peu, il fallait voir du côté de Brooklyn. Là où les anciens migrants allemands ou porto-ricains voyaient débarquer depuis quelques années l’underground New Yorkais. Manhattan ? « Trop cher ». Alors, tout le monde a déménagé vers les friches industrielles plus au sud et plus précisément autour de Bedford Avenue, à Williamsburg, parfois aussi appelée Hipsterville.

Hipsterville, de quoi annoncer la fausse couche de ceux qui avaient la meilleure presse à l’époque ?

On parlait du premier Liars, They Threw Us All In A Trench And Stuck A Monument On Top, de Dance To The Underground de Radio4 ou du Tigre qui pouvait alors être considérés comme des vétérans dans la bande des nostalgiques de Bush Tetras. Mais surtout, James Murphy faisait la une, que ce soit à travers les groupes signés sur DFA comme Black Dice ou son LCD Soundsystem. Tout le monde était derrière, à commencer par le site FREEwilliamsburg qui depuis dix ans soutient à peu près tout ce qu’enfante Brooklyn, qu’il manque quelque chose à ces mecs ou pas. A la tête du site, Robert Lahan, l’auteur du Hipster Handbook. Bref, voilà ce qui était ‘deck’ il y a quelques années.  Giuliani était déjà passé par là pour virer les SDF, remodeler la ville et envoyer les fainéants se faire foutre. New New York. Plus rien à voir avec celui de Willie (John Lurie) dans Stranger Than Paradise de Jim Jarmusch ou celui de Downtown 81 avec Jean-Michel Basquiat.

De Williamsburg, lorsque l’on emprunte aujourd’hui le pont qui porte le nom du quartier vers le Lower East Side, là où s’étalaient sur les murs les premiers travaux de Basquiat, tout est devenu bien sage. Rasés les immeubles en ruines, aseptisé le Hip-Hop et terminé la No Wave. Un terme aussi fourre tout et débilitant que Nu Rave. Dans ce film, on voit ou écoute Arto Lindsay, Tuxedomoon, Kid Creole, James Chance ou Steve Mass, du Mudd Club ou jouaient souvent DNA ou les Contortions. D’ailleurs, le producteur exécutif de Downtown 81 n’est autre que… Michael Zilkha, le Z de ZE Records.

Un petit milieu sans qui la vielle nouvelle vague des six dernières années n’aurait jamais existé. ‘Same old Shit’.

Dans son autobiographie Strange – Punks and Dunks and Flicks and Kicks, Richard Strange se souvient de sa rencontre avec Zilkha et Cristina Monet à Manhattan. « Ils étaient jeunes, un couple glamour des quartiers chics qui venait de voir le concert. Le mec, plutôt petit et encore ado avec ses épais cheveux noirs et bouclés, à la peau mate, se présenta sous le nom de Michael Zilkha, et sa compagne, exquise, comme étant Cristina Monet […] Il m’offrit une somme dérisoire en avance, m’assurant que tout l’argent se ferait sur les royalties. De retour à Delancey Street je racontais à Mark Josephson ce qu’il avait à me proposer et se mit à rire à gorge déployée. ‘C’est tellement typique des riches’ dit-il. ‘Il est riche?’ demandais-je, pensant logiquement que personne ne pouvait devenir si riche avec Was (Not Was) ou Suicide, et Mark m’expliqua que le père de Michael était Selim Zilkha. Je le regardais niaisement, le nom ne me disait absolument rient. ‘Il possède Mothercare et la Banque de Zurich!».

Quand Cristina rencontre Michael Zilkha dans les bureaux du Village Voice où ils travaillent en tant que critiques, l’ancien élève de l’Université d’Oxford comme il sera écrit sur le faire-part de leur mariage vient juste de monter son label avec Michel Esteban, le E de ZE rencontré via John Cale. Lorsque l’on tape son nom sur Google, on ne trouve pas grand-chose mis à part quelques lignes de ci de là. Pas de photos non plus, à l’inverse de Zilkha qui n’a vraiment pas l’air de faire son âge probable, cinquante ans, à l’aise dans ses chemises blanches. C’est à lui, pour en revenir à Esteban, venu des Arts-Graphiques, que ZE doit ses disques avec damiers sur fond jaune. Les taxis New Yorkais, symboles s’il en est pour les étrangers tombés amoureux de la ville. Lorsqu’il arrive à New York pour la deuxième fois, il vient de quitter sa boutique rue des Halles, Harry Cover et a emmené avec lui Lizzy Mercier. Deux ans plus tôt il créait Rock News pour couvrir la scène qu’occupaient Patti Smith ou Television, et était revenu en même temps qu’Elodie Lauten. Pendant que la France faisait des Bippp, lui s’occupait de dealer avec Island pour faire distribuer ses disques de blanc-becs nourris à toute la musique black de la Grosse Pomme.

Notamment ce que l’on a nommé un jour le Disco.

Encore une fois, un truc de hipster. Peter Shapiro dans Modulations parle de ce réseau underground new yorkais où tout se passait dans des lofts, des soirées privées. Pour les gays, blacks, latinos et jeunes gens à l’affût, il s’agissait d’une alternative au rock et au funk. Une célébration des paillettes en éblouissant sans complexe ce qui faisait fantasmer Lou Reed ou Bowie. Comme tout, ce genre qui ne faisait pas encore rire avait son lot d’inventeur. Aux côtés de Moroder, on trouvait Arthur Russell, New Yorkais vénéré de nos jours, aux travaux jamais vraiment finis et mort du sida. Sous le nom de Dinosaur, il enregistre Kiss Me Again. Ou encore Larry Levan, des producteurs qui transformaient un genre caricatural en quelque chose de magique. La musique de danse, populaire, peut aussi servir de chemin de traverse à l’expérimental. On ne peut difficilement écouter ZE30 et zapper ce qu’il y avait de l’autre côté du label: Lydia Lunch, DNA ou Alan Vega et son rêve d’enregistrer un titre de rockab’. ZE partait de ce que Genesis P-Orridge appelle de la ‘musique d’esclave’ enracinée dans le Rhythm And Blues, mais malgré les hoquets passait volontairement à côté du kitsch 50s à la Thriller, la chaîne de vélo étant déjà bien loin pour la moitié de Suicide. En fait, on pourrait même dire que Vega fait virer sa version du rockabilly au grotesque, pleine de tics mais surtout bourrée d’ironie. Tout ce qu’était finalement Kid Créole, grâce à qui ZE goûtera au succès international, et alors aux royalties. Si les sixties se regardaient derrière les yeux pas encore sous Wayfarer mais teintés d’idéalisme Dylanien, que les seventies croulaient sous la révolution féminine, il ne restait plus aux années 80 que la caricature pour souffler à côté du nouveau créneau.

Money=power=money, l’autre New York.

Kid Creole est l’incarnation du mâle en rut sous son Borsalino et Cristina la désinvolture sexy de Disco Clone/Is That All There Is ?.Ceux là, avec James Chance et les autres, se retrouvent au Blank Tapes Studio de Bob Blank où il n’était pas rare de croiser Sun Ra ou les musiciens de Chic. Une chance que n’avait pas Gang Of Four. Aux manettes, on trouve aussi August Darnell la déclinaison civile de Kid Créole impossible à faire passer pour Sylvester (oui, You Make Me Feel Mighty Real). Ce qu’ils enregistrent : de potentiels tubes disco en cherchant à faire exploser le genre de l’intérieur et répandre la création au ras du dancefloor avec entre autres Aural Exciters et Spooks In Space. Des effets comme on pouvait en entendre à l’UFO Club sur des musiques trop dance pour le punk moyen en qui on voyait alors… le futur d’un rock déjà dépassé. La Mutant Disco, MC5 Vs Funkadelic. Zilkha, depuis retourné dans l’industrie des éoliennes, rêve surtout de produire Suicide pour qu’ils torturent un peu ce qui fait danser au Paradise Garage.  Sans lui, pas de Alan Vega/Martin Rev : Suicide en 1980. L’année d’après sort Mutant Disco sur laquelle se trouve beaucoup de cette bonne musique. Comme sur ZE30, d’ailleurs, la compil’ anniversaire. Anniversaire de la naissance du label, bien sûr. On fête rarement les morts dans l’ombre plusieurs années après par chez nous. Et puis, la fin de la compagnie est confuse. En 82, Esteban voit les choses tourner au vinaigre quand the Face désigne son label comme étant le ‘most fashionable’.  ZE tiendra encore deux ans. En 1984, Cristina sort Sleep If Off, mais la recette sent déjà le moisi.

Peut être le constat d’Esteban est le même que celui de Murphy deux décennies plus tard alors que l’on commence à peine à parler de dance punk un peu partout. Emulation. Récupération. Déclin. Fin.

Aujourd’hui, que dire mis à part que ZE a raté la date anniversaire de quelques années seulement ? Qu’en 2009 La Roux vaut mieux que Michael Dracula en promo pack avec une réédition Flashback? C’est déjà du passé. Je relisais il n’y a pas longtemps Please Kill Me, en pensant que si ZE avait acquis un tel statut, c’était justement pour d’autres raisons qu’une paire de fables bâties sur un tas de poussière.

ZE30 // 1979-2009 // Strut Records (La baleine)
http://www.zerecords.com/2010/

3 commentaires

  1. Bon article, bourré de très bonnes références. Ça me fait dire qu’on a encore un moyen de foutre notre pied au cul de tous ces jeunes cons « branchées » qui s’y connaissent autant en musique que moi en maçonnerie… Pour peu que ces jeunes cons puissent lire des articles de ce genre…

    ‘Fin Bref, merci pour ça S.G.

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