Quatre Vikings swingers dont on ne sait pas grand chose débarquent des clubs branchés de Copenhague et investissent les salons avec leur son aussi futuriste et raffiné que dansant et élégant. When Saints Go Machine sert sa Konkylie culture sur un plateau d’argent. Le poulpe apprécie mais se presse le citron pour en extirper une huile essentielle, à la Süskind.
Rien à faire, il est aussi difficile de trouver ne serait-ce qu’un petit bout d’élément de biographie sur Nikolaj Manuel Vonsild (chant), Jonas Kenton (synthétiseur), Simon Muschinsky (synthétiseur) ou Silas Moldenhawer (batterie), que de poser une étiquette sur la musique de When Saints Go Machine. C’est super frustrant mais à bien y entendre, ces gars-là n’ont certainement pas appris la musique entre deux tournées d’ecstasy dans les clubs de Copenhague. Ils manient trop bien les rythmes, les textures, les harmonies, la dynamique, pour qu’on ne les considère que comme une vague réminiscence de Modern Talking survitaminés par au moins 20 ans d’études à l’IRCAM. Pour moi, When Saints Go Machine réussit un vrai tour de force : allier la complexité des structures musicales que l’on peut entendre dans la musique classique, à l’attractivité de la musique de club. Alors, plutôt que de développer des arguments musicologiques qui n’intéressent personne, faisons plutôt confiance à notre nez en compagnie de Süskind.
Copenhague, 24 juin 1984
Le Kongelige Teater a donné la veille une représentation unique de La Contrebasse, pièce en forme de monologue de l’écrivain et scénariste allemand Patrick Süskind, présent pour l’occasion dans la capitale danoise. Le succès a beau être au rendez-vous, cela n’enlève rien au stress. De la peur au bide se transformant en joie du succès, puis le grand vide lorsque tout s’arrête. Alors rien ne vaut une nuit passée dans le bouillon sonore d’une discothèque branchée, à siroter quelques cocktails pour se laver l’esprit, canaliser son trop-plein d’émotions. Il est 7h du matin. Les yeux dans le brouillard, Süskind erre sur le port et dans ses pensées, puis suspend sa marche devant la statue de la petite sirène. Acte banal répété inlassablement par des milliers de touristes idiots. Pourtant cet instant revêt pour lui un tout autre aspect. Dans sa tête les images se bousculent, il repense a Andersen, La Contrebasse et son long monologue, les mélodies un peu vulgaires entendues dans la nuit, mais aussi a son dernier roman, Le Parfum, qu’il finit de corriger avant son édition prochaine.
La petite statue l’intrigue. Il imagine que cette sirène a peut-être été vivante un jour, son chant fascinant n’ayant d’égal que sa beauté. Elle aurait pu être changée en pierre, et sa voix volée par quatre Vikings pilleurs de musique dans un rite incantatoire dédié au dieu Thor, sur fond de chants gutturaux. Gravée à jamais dans les sillons d’une poterie, comme on conserve les huiles essentielles dans des fioles de verre, son chant aurait traversé les âges pour satisfaire la croyance d’une secte obscure cherchant à fabriquer la musique parfaite, universellement irrésistible, attirant et hypnotisant les foules, les réduisant à jamais à l’état d’esclaves. Cette musique devait être fabriquée à partir d’échantillons sonores essentiels, prélevés depuis la nuit des temps jusqu’à nos jours. Süskind délire, mélange les sons qui hantent son cerveau à ses huiles parfumées. Il entrevoit déjà les bases d’un nouveau roman qui mettrait en scène, 35 ans plus tard, quatre Vikings swingers dont les compositions attireraient les foules et toucheraient enfin au but. Aidés par un Baldini transformé en vieux chercheur de l’IRCAM à la retraite, devenu après des années de recherches intensives le gardien fou des précieuses reliques sonores. De ces multiples extraits de symphonies, percus africaines, chants médiévaux, les quatre grenouilles combineraient les textures sur des machines puissantes, entrelaçant leurs mélodies, fondant leurs spectres fréquentiels jusqu’à trouver la parfaite harmonie. Redonneraient aux humains l’envie de célébrer les éléments naturels : Parix serait l’eau, Jets serait la pierre, The Same Scissors le feu et Add Ends l’air. Les When Saints Go Machine débarqueraient de leur drakkar transformé en conque pour accomplir la prophétie, faire danser les foules asservies sur des musiques aussi dansantes qu’intelligentes.
Süskind sourit, reprend alors un peu ses esprits et pense que son éditeur l’attend à Zurich dans quatre heures. Il ne sait pas encore ce que va devenir Le Parfum, peut-être rien, mais il a au moins dans la poche un truc sérieux.
Paris, 24 juin 2011
Le Parfum a été un énorme succès et les When Saints Go Machine ont bien débarqué sur nos platines. Le résultat est conforme à l’attente, même s’il reste encore beaucoup de mélanges à faire avant d’arriver au truc ultime. Le jour où les quatre Vikings se feront dévorer par leurs fans en plein concert, ils auront vraiment réussi. C’est ce qu’on appelle le parfum de la revanche, et c’est tout ce qu’on leur souhaite.
When Saints Go Machine // Konkylie // K7
http://www.whensaintsgomachine.com/