Droits dans leurs bottes, les Smiths, ou disons-le plus clairement, Morrissey et Johnny Marr (qui s’intéresse aux deux autres ?) ont toujours su jusqu’à présent refuser les chèques à plusieurs zéros qui leur ont été offerts pour une reformation, même pour un concert d’une petite heure à Coachella. On ne peut pas en dire autant de Police, Genesis, et plus récemment Blur et les Libertines (en attendant Téléphone). Il y a deux semaines, l’expérience inverse fut tentée par un petit malin du nom de James Burns. Il lança une pétition visant à récolter dix millions de dollars pour que Weezer se sépare. La blague est bonne, on ne peut pas le nier.
On ne peut pas non plus ignorer l’échec cuisant de cette initiative. Jusqu’à présent, seule une poignée de dollars fut récoltée, et au passage quelques menaces de mort pour ledit James. Le batteur Patrick Wilson s’est de son côté amusé de la situation en déclarant qu’ils étaient prêts à le faire, mais pour vingt millions de dollars. Dit autrement : “on est encore là pour un bon bout de temps les mecs, mais vous nous faites marrer avec vos conneries”. Pas de quoi se faire du souci, c’est vrai, mais le texte qui accompagnait la pétition, lui, résume assez bien la situation dans laquelle le groupe se trouve aujourd’hui. Tel quel, le voici:
« Every year, Rivers Cuomo swears that he’s changed, and that their new album is the best thing that he’s done since “Pinkerton”, and what happens? Another pile of crap like “Beverly Hills” or “I’m Your Daddy”. This is an abusive relationship, and it needs to stop now. I am tired of my friends being disappointed year after year. I am tired of endless whimsical cutesy album covers and music videos. »
“Une relation abusive qui doit prendre fin”. On croirait entendre un avocat dans une affaire de viol sur mineur. Carrément. Et comment donner tort au fan transi de désespoir lorsque le groupe annonce un retour aux sources pour finalement accoucher de Hurley ? Pas désagréable par moments (le plutôt joli Hang On, le plutôt sympa Smart Girls), Hurley n’en reste pas moins l’ultime témoignage d’un dinosaure gras du bide écrivant ses refrains avec les pieds et produisant le tout avec la finesse d’un Happy Meal. Tiens, on a un slogan tout trouvé: “Rivers, t’es foutu, tes fans n’en peuvent plus”.
“Pour moi, le dernier bon disque de Weezer s’appelle “Maladroit”. Et d’ailleurs, le titre résume bien le disque. Et Weezer en général. Ce que j’aime chez eux, et ce que je pense que les autres fans aiment, c’est le côté un peu naïf et un peu, disons, laid de Rivers Cuomo. Avant, il chantait de très beaux textes sur le fait d’être rejeté, de ne pas être à sa place. J’ai l’impression que les choses ont commencé à se barrer en couilles avec le clip de Beverly Hills, tourné dans la villa de Hugh Hefner. D’un seul coup, le mec s’est mis à être fasciné par un certain style de vie, celui d’un type à la cool qui baise des groupies. Et il a voulu le chanter. Très peu pour moi”. Lui, c’est Mathias. Il a trente ans au moment de notre conversation, mais quatorze au moment de la sortie de Weezer (1994), et donc seize l’année de la sortie de Pinkerton (1996). Un âge ingrat certes, que les paroles réconfortantes d’un binoclard mal dans sa peau rendirent semble-t-il un peu supportable. Il aimait bien Weezer avant. Il n’aime plus trop aujourd’hui. Il ne souhaite pas que le groupe se sépare et continue malgré tout de guetter avec une pointe d’impatience (mêlée à un soupçon de méfiance) les nouvelles livraisons. Il est un peu dégoûté, Mathias. Et il ne semble pas être le seul. Estelle a le même âge. Elle aurait pu être la petite amie de l’époque de Mathias. Ils avaient en tout cas en commun le même amour pour le combo de Los Angeles : “J’ai écouté Hurley, et je me suis juré que l’on ne m’y reprendrait plus. Mais je dis ça depuis Make Believe. Donc va savoir. Aujourd’hui je crois que je suis plus fascinée par Rivers Cuomo que par sa musique. Ce qui est assez triste d’ailleurs. Car quand tu regardes sa carrière, il y a à la fois des tubes comme Island In The Sun, mais aussi des choses très sombres, très intimes, comme sur la compilation de raretés qu’il avait sorti. Et malheureusement, il y a aussi ces espèces de chansons toutes guitares en avant, produites à l’américaine, et ça, je n’adhère pas”. À ces regrets viennent s’ajouter le témoignage de Thomas Vandenberghe, journaliste rock et comédien: “Certains de mes potes n’aiment rien de Weezer après Pinkerton. Moi je m’y retrouve dans certains disques, même si Raditude est de loin leur pire. Mais Rivers Cuomo a conscience du fait qu’il perd certains fans. Ce n’est pas qu’il s’en fout, mais c’est comme ça. Il fait aujourd’hui absolument ce qu’il veut, et c’est totalement louable. Et paradoxalement, avec le web et la tournée Hootenanny sur laquelle il invitait les gens à venir jouer avec le groupe sur scène, il n’a jamais été aussi proche de son public. À l’époque de l’album vert, tu ne devais pas croiser son regard. Tu vois que dans son rapport intime avec les fans, les choses ont bien changé. Il n’a jamais été aussi proche d’eux”. Un paradoxe tant ce qu’il chante aujourd’hui n’a jamais été aussi loin de la réalité du quotidien – à moins que ton quotidien se résume à arpenter les rues de Beverly Hills une bouteille de champagne à la main et ton Stetson vissé sur le crâne.
Bizarrement, alors qu’un certain consensus prend forme au sujet de la qualité toute relative des dernières productions de Weezer (et ce sans qu’à aucun moment le mot “merde” ne soit employé, presque un exploit), Rivers Cuomo, lui, reste ce grand frère un peu bizarre, le meilleur pote attendrissant, en retard socialement mais malgré tout si réconfortant lorsqu’on l’a à ses côtés. Alors, on lui pardonne à peu près tout. Et lui ne se rend plus compte. La notion de ridicule ne lui est apparemment pas familière. Difficile de faire moins crédible que Rivers chantant en duo avec Lil’ Wayne des trucs comme “I can’t stop partying, I got to have the cars, I got to have the jewels”. Quant au dernier album, mentionnons cette pochette (cool pour une poignée, de mauvais goût pour la majorité), l’équipe de Jackass chantant sur le single Memories, un morceau du nom de Where’s My Sex ? (Spoiler : il se pose vraiment la question tout du long) et une reprise en bonus du Viva La Vida de vous savez qui. Le dossier prend forme. Les documents à charge sont légion.
Malgré tout, la question reste posée : à quel moment les choses ont-elles commencé à déconner?
Thomas VDB a sa théorie : “Je pense que depuis qu’il est marié, qu’il fait de la méditation, le mec est heureux. Et il veut le dire. On n’a plus affaire au jeune torturé des débuts”. La souffrance comme moteur créatif donc. Moteur quelque peu en panne. Un autre début de réponse se cache dans la déclaration du décidemment très bavard Patrick Wilson, qui se vantait en 2005 d’avoir bénéficié de près d’un million de dollars de budget pour réaliser Red Album (peut être l’une de leurs plus mauvaises livraisons) là où leur premier opus en avait coûté dix fois moins. Weezer s’est fait bouffer par une machinerie plus grosse que lui, éblouir par les strass et les paillettes. Sans tomber dans la psychologie de bas étage, ces deux explications restent rationnelles, et sonnent comme des évidences. Mais peut-on vraiment en vouloir à un gamin attardé comme Rivers Cuomo, d’avoir envie de croquer un peu de cette pomme qu’est la vie de rock star ? Pas vraiment. À l’image d’un Mark Zucherberg dépeint ces jours-ci comme un nerd prenant sa revanche sur les élites dans The Social Network, l’éternel adolescent pas cool qui s’est retrouvé confronté au succès avec son groupe a aujourd’hui décidé de devenir un personnage. D’être super cool. De devenir quelqu’un. Quelqu’un d’autre. Quitte à vendre son cul et à gagner plus de fans en perdant ceux de la première heure. Qui bien sûr se considèrent comme les “vrais” fans de Weezer. Une espèce en voie de disparition.
Illustration pour Gonzaï: http://www.weeklyhorrors.be/
Weezer // Hurley // Epitaph
http://weezer.com/
21 commentaires
Le jour où j’ai entendu la reprise de Coldplay, mon cœur – et probablement celui de toutes les filles à moitié japonaises – s’est mis à saigner. Mais les nostalgiques hardcore de Pinkerton sont aussi relous que Rivers Cuomo perdu dans le 1er degré et l’égocentrisme. Okay, Pinkerton est le meilleur album de Weezer, et Dookie est le meilleur album de Green Day, et Kurt Cobain a écrit l’album Live Through This, et peut-être qu’il faudrait passer à autre chose.
Pas d’accord avec toi Elise. La pétition a refait parlé du groupe il y a peu et la question posée ici est donc d’actualité.
En plus, tu dis que ton coeur a saigné avec la reprise de Coldplay: tu n’es donc pas totalement passé à autre chose toi non plus.
Perso je ne suis pas fan de Weezer, mais j’ai en effet des potes qui le sont, et partagent la même tristesse au sujet de ce groupe.
Non non, je suis d’accord avec l’article, et avec la déception des fans – dont je fais partie – de Weezer. Ce qui m’agace en revanche, c’est l’affirmation récurrente, depuis 2000, que le groupe n’a plus rien composé de valable après Pinkerton (rapport à la citation de Thomas Vandenberghe). C’est un peu radical à mon sens : ce n’est pas parce que c’est leur meilleur album qu’il faut rester bloqué dessus, et rejeter en bloc ce qu’ils ont fait par la suite.
Oui, je vois ce que tu veux dire. Thomas admet qu’il y a du bon un peu partout sur leurs disques après pinkerton, mais la plupart des gens rejettent le tout en masse. et c’est dommage, car il y a du très bon, de l’excellent même
Mouais.
Je propose de remonter le débat d’un niveau: Weezer c’est chiant depuis le début.
La nasse pour repêcher tout ces groupes ayant commencé en 1994 n’est hélas pas assez grande.
Ha ! intéressant !
mais difficile de mettre à la poubelle tout weezer et tout oasis (deux groupes nés en 1994).
Wouah, dans la longue longue liste des groupes qui n’ont jamais croisé mon chemin il y a bien celui-là : Weezer. Donc voilà j’ai strictement rien à dire, si ce n’est de saluer la qualité du papier que voilà. Nico, on s’offre mutuellement le café lundi aprem.
C’est vraiment un article de menteur.
Nico Prat, on sait tous que c’est un grand fan d’Oasis, il n’hésite pas à le dire dans ses articles.
Et ce qu’il dit sur Weezer s’applique totalement à Oasis.
Les deux ont fait deux bons premiers disques avant de se complaire dans un rock gras du bide (selon ses propres mots). Mais il préfère taper sur Weezer et trouver Liam et Noel cool. Quelqu’un peut m’expliquer ?
À quand un papier « Oasis: Brit Pop Têtes de Noeuds » ?
Il suffit d’écouter la discographie de Weezer à l’envers pour percevoir l’évolution du groupe.
J’approuve totalement. ça résume bien le sentiment des fans de la première heure (dont je fait partie).
weezer est l’exemple à ne pas suivre, et on aurait pu parler de plein de groupes, mais eux sont vraiment l’exemple parfait
Weezer a écrit certaines des plus belles pop songs des années 90. Ce que cet article ne mentionne pas.
Réécoutez Pinkerton, ou le premier album. Le reste n’a pas d’importance finalement.
J’ai découvert weezer à travers les articles de thomas VDB. J’ai commencé par le bleu, puis par made believe. Un veritable achevement mélodique quand on y pense. puis le vert. En fait j’ai écouté pinkerton en dernier. Mais je n’aime pas hierarchisé.
Et quand bien même oui, j’ai de la déception quand je découvre les nouveaux albums, je n’arrive pas à en vouloir à Rivers Cuomo. L’article propose une théorie vraiment valable. Rivers cuomo aurait troqué une vie pour une autre. Mangé la pomme jusqu’au trognon.
Ses deux compilations solos sont bonnes. La seconde est tout simplement excellente.
Je crois que les fans de weezer sont parmi les plus « hardcore », à défaut de trouver un meilleur thème, peut de groupe peuvent se revendiquer d’avoir un « weezerpedia » ou des sites de fans à foison. L’histoire du groupe est tellement documentée que l’on peut s’étonné qu’aucun bouquin ne soit encore sorti sur ce groupe.
Merci Gonzaï pour l’article
Tu aimes Makes Believe ?
J’aime make believe. et je crois que cet album illustre parfaitement le probleme de weezer et ces fans. trop de gens bloques sur les premiers opus (sans dire que tu l’es). Mais il y a dans cet album une partie de tout ce que je peux aimer dans le rock « adolescent »: les ballades superbes (hold me, peace)les riffs grandioses (pas la peine de citer)… et la voie de rivers cuomo. dont le travail de songwriter est…minimaliste (oui certaines paroles sont a chier).
j’aime make believe, c’est un genre de plaisir coupable, mais plus plaisir qu’autre chose.
J’ai repense a cet article hier soir, et autre chose m’a frappe: leur evolution en live. c’est quand meme frappant de voir Rivers au micro seulement, pat wilson a la guitare et le bucheron blond dont le nom m’echappe a la batterie.
Ils feront tout pour ne pas s’ennuyer. tant mieux tant pis.
Et je vais aller les voir a la nouvelle orleans. Apres, je peux devenir adulte
(pardon pour le clavier sans accent)
oui je vois ce que tu veux dire. perso je n’aime pas make believe, mais je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine sympathie (je ne sais pas si c’est le mot) pour l’album rouge
J’ai relu plusieurs fois cet article, et je trouve le parallèle avec The Social Network très audacieux, et très vrai.
Donc bravo.
Tous ces fans de Weezer sur Gonzaï, c’est assez improbable … C’est quoi, une réunion de fans qui auraient Googlisé « Qui est le méchant monsieur qui a tappé sur Papa Cuomo? ». Non allez, je ne crache pas sur l’album bleu mais ça manque quand même un peu de subeutilité.
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