Avant d’être le boss du label le plus cool de la planète, Vik Sohonie était journaliste. Et ça se sent. Avec Ostinato Records, il s’est donné pour mission de partir à la recherche des trésors oubliés de ce monde. Quelques compilations à succès plus tard, on se devait bien de vérifier s’il n’avait pas pris la grosse tête.

Ostinato Records c’est le nom du label qui a remis la lumière sur Mogadiscio. La Capitale somalienne – autrefois surnommée « la perle de l’Océan Indien » – était à l’honneur avec « Sweet As Broken Dates : Lost Somali Tapes from the Horn of Africa ». Une mixtape de titres rares des années 70-80 dénichés par Vik Sohonie, le fondateur de ce label new-yorkais. Un travail de fouille récompensé en 2017 d’une nomination aux Grammy Awards; « rien que ça » comme on dit dans les open space de concepteurs rédacteurs.

Depuis son heure de gloire, le digger ne s’est pas reposé sur ses lauriers pour autant. Il a continué à déterrer des pépites méconnues du grand public. Le principe étant presque toujours le même : un pays, une mixtape, du bon son. Après avoir parcouru une partie du continent africain (Cap-Vert, Somalie, Soudan, Sénégal), Vik s’est replié en Thaïlande, pays de son enfance. Bien installé dans son salon, verre de rouge à la main, il a accepté de répondre à nos questions.

Salut ! Tu peux te présenter ?

Je suis Vik Sohonie, fondateur d’Ostinato Records. Je suis né en Inde, mais j’ai vécu aux Philippines, en Thaïlande, à Singapour, puis aux Etats-Unis.

Tu faisais quoi avant d’être le boss d’un label de musique ?

J’étais journaliste. J’ai travaillé pour Reuters, entre autres. C’est d’ailleurs en étant journaliste que j’ai eu envie de lancer une maison de disque.

Tu peux nous expliquer ce changement de voie ?

En 2014, j’en avais ma claque du journalisme. La vision du monde qu’ont les médias occidentaux, je n’en pouvais plus. Je parle surtout des médias britanniques et américains. Quand ils parlent de l’Afrique ou de l’Asie, c’est presque tout le temps en négatif. Je ne partageais pas la même image. Je me suis dis :  « la meilleure façon de raconter ces histoires, c’est par la musique ». Si le son est bon, ça met tout le monde d’accord, pas de discussion. Vu que j’étais journaliste et que je connaissais un peu les rouages de l’industrie musicale, je n’avais plus qu’à combiner les deux. C’est ainsi que deux ans plus tard, est né Ostinato Records.

Ostinato Records, ce n’est donc pas seulement une maison de disque ?

Pour moi, en plus d’être un label, on est un média, on partage notre point de vue. C’est une sorte de journalisme. Le but étant de raconter des histoires par la musique. La musique m’apprend souvent bien plus sur un pays que son journal télévisé. Pour se plonger dans un patrimoine culturel, il y a deux portes d’entrée : la musique et la bouffe. J’ai donc choisi la première. 

Vous avez publié votre premier disque « Tanbou Toujou Lou: Meringue, Kompa Kreyol, Vodou Jazz, & Electric Folklore from Haiti » qui est une compilation de musique haïtienne. Pourquoi Haïti ?

Comme je disais avant, je ne supportais pas la couverture médiatique de certains pays. Haïti était un bon exemple. Tout le monde pense qu’il y a une pauvreté extrême, que c’est dangereux, … Pour y être allé, je peux vous affirmer que c’est safe, les gens sont adorables et la bouffe est bonne. Ce qu’on voulait, c’était humaniser Haïti et dire aux gens « allez-y » !

Après, vous êtes allés au Cap-vert, en Somalie, au Soudan, puis récemment au Sénégal. Toujours avec le même but ?

Oui, bien sûr. Si vous regardez une carte, on part de l’Ouest pour aller à l’Est. On ne choisit pas au hasard. On va préférer des histoires qui n’ont pas beaucoup été rapportées au monde occidental. On a tendance à oublier que la Corne de l’Afrique a été un des plus gros centre de commerce international. A travers la musique somalienne, vous ressentez l’influence du monde entier, c’est magnifique. On dit que tous les chemins mènent à Rome, moi je dirais plutôt qu’ils mènent tous à la Corne de l’Afrique.

« Avec cette crise mondiale, je dois avouer que l’industrie musicale me déçoit beaucoup. En Europe et aux Etats-Unis, on a plein de labels qui bossent avec des artistes africains, et on les laisse tomber. »

Désormais, vous signez des artistes. Pourquoi cette nouveauté ?

Pour continuer l’histoire. Avant, on ne sortait que des sons anciens. Maintenant, nous voulons trouver des artistes qui ont un pied dans le passé et l’autre dans le présent. Des gens qui respectent leurs aînés. Le premier groupe qu’on a signé vient de Djibouti. C’est une musique moderne qui sonne comme la musique somalienne des années 70. Si vous voulez, c’est un peu comme un livre : vous devez lire le chapitre un pour comprendre le suivant. Là, on est en train d’écrire le chapitre 2.

Sinon, t’écoutes toujours autant de musique ?

Tu veux dire pour le boulot ou pour le plaisir ? Je vais t’avouer un truc. Quand tu lances ta maison de disque, tu commences à écouter différemment la musique. C’est plus vraiment du plaisir, c’est du boulot. Tu cherches des artistes à signer !

Et c’est quoi les critères pour que t’aies envie de signer ?

Que ce soit fantastique, tout simplement ! Et que ça ne ressemble à rien de déjà fait.

Mais il y a bien un truc que t’écoutes juste pour toi, non ?

Oui, le Hip-Hop. Les classiques de New-York, Mos Def, Nas, Wu-Tang, … Tous les sons que j’aimais gamin. Je ne sais pas si c’est lié à la pandémie, mais il n’y a pas grand chose dans les tendances actuelles qui m’a transcendé. Si je veux me détendre, fumer un joint, boire du vin, je vais me mettre un vieux son rap et c’est bon, tout roule. Plus sérieusement, c’est une musique avec tellement d’influences. Elle te permet d’apprécier les autres styles. En fait, je ne serais jamais penché sur la musique d’Haïti, si je n’étais pas passé par la case Hip-Hop. On va peut-être sortir un disque de rap avec Ostinato, ce serait une bonne idée.

Un dernier truc à ajouter peut-être ?

Oui, juste un truc ! Avec cette crise mondiale, je dois avouer que l’industrie musicale me déçoit beaucoup. En Europe et aux Etats-Unis, on a plein de labels qui bossent avec des artistes africains, et on les laisse tomber. L’accès au vaccin est inexistant dans le continent. Les artistes ont besoin du vaccin pour faire des tournées. Tout le monde est bloqué la-bas. Ce sont des employés de cette industrie. J’aimerais que ceux qui en ont le pouvoir se bougent pour les aider.

Pour tout écouter chez Ostinato, c’est par là. 

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