Sur la petite carte du rock néo-zélandais, et en dézoomant un peu, sur celle du rock d’en bas à droite sur la mappemonde, il y a The Datsuns (un peu finis), Connan Mockasin (un peu cramé), Tame Impala (un peu trop gros) et Unknown Mortal Orchestra. Moins méconnus que le nom ne pourrait le laisser supposer, Ruban et son Orchestre livraient récemment avec « Multi Love » un petit tsunami funk qui tranche d’avec les comptines gratouillées des groupes indie précités. Coup de semonce dans l’océan pas si Pacifique !

Cinquième roue du carrosse d’un attelage qui n’en compte même pas trois de convenable, Unknown Mortal Orchestra se retrouve en ce milieu de décennie sur le bas côté du rock néo-zélandais. La première place, squattée par le son Tame Impala, mélange de réverb et de refrains à la Lennon chantés dans un tuba dodécaphonique bariolé, ne laisse pas grand chose aux outsiders. Loin d’être une injustice, appelons juste ça la chaîne alimentaire.
Parce que dans tout combat, aussi modeste soit-il, il faut un perdant, et que Céline Dion l’a bien (ou mal) chanté, les derniers ne sont pas toujours les premiers, le groupe de Ruban Nielson continue pourtant d’avancer dans son étrange réalité avec un nouvel album qui donne l’impression d’entendre les Jackson Five produits dans une salle de bain par… Kevin Parker. Ca boucle la boucle et ça en bouche un coin. Et pas le plus obtus. Au delà de la sauce qu’on aimerait faire monter pour opposer les uns aux autres, « Multi Love », bien qu’affublé d’un nom débile, est un disque qui groove poliment, pas méchamment ; en tout cas admirablement. Ce n’est certes pas la Motown version Berry Gordy ; il n’y a ni gros culs noirs qui transpirent sur la platine, ni perruque afro ou booty shaking; tout se passe en sourdine, c’est léger. Mais indiscutablement, il y a un changement dans la discographie de ce groupe sous-coté, et même mieux que ça : un petit bras d’honneur à la profession, aux fans de la première heure et à la dictature invisible imposée par l’industrie Indie qui veut qu’un groupe mal fringué et sans pognon soit condamné à toujours faire la même chose en moins bien.

« Marre de jouer des solos démodés pour le fun »

Avant d’en arriver là, Ruban, le leader à la tronche de cake asiatique, a fait comme tout le monde : il a fait ses débuts dans l’anonymat, et sans orchestre. C’était au printemps 2010. Sans conviction, il commence par poster innocemment une chanson sur son Bandcamp, Ffunny Ffrends, rapidement repérée par les quelques bloggeurs munies de deux oreilles en état de marche. « Moi quand j’ai posté ce morceau, j’étais sûr que tout le monde allait détester ! ». Dans la grande pièce de l’hôtel qui nous sert aujourd’hui de confessionnal, Ruban a le succès modeste. Et de fait, depuis les débuts du groupe, il l’est. Attiré par l’odeur du clic et certainement aussi, un peu, par l’étrangeté de ce rock pygmée qui ne ressemble alors à aucun autre, Fat Possum, mythique label du Mississippi spécialisé dans le Blues, signe finalement le groupe en 2011, avant qu’un autre poisson encore plus gros, Jagjaguwar, ne se jette sur la bête de peur de rater les Beatles à patchouli qu’on nous vend depuis avec ce retour du Garage américain qui n’en finit plus d’être sirupeux et désincarné.

Mais alors, question : comment faire pour avancer quand votre bagnole originale a été pompée par des dizaines de mécanos en manque de chansons et que vous galérez sévère à vous faire entendre ? Réponse : en changeant de bagnole. Ce que Ruban, au grand dam de son entourage, va s’atteler à mettre en branle avec l’accouchement de « Multi Love », où l’on trouve autant de clins d’œil au « Innervisions » de Stevie Wonder (l’intro de Extreme Wealth and Casual Cruelty) qu’aux arrangements sixties de Burt Bacharach (Necessary Evil, qui fait penser à une version aquatique du Walk on by de Dionne Warwick). Déroutant.
Le déclic est venu d’un coup de fil quand Ruban s’est vu proposer d’enregistrer des guitares pour le prochain album de Frank Ocean, à Miami. Il y passera trois jours, baigné dans le R&B et la chaleur moite des culottes de retraitées botoxées, en ressortira avec la conviction qu’Unknown Mortal Orchestra ne peut pas se contenter d’un énième album de rock indie et que l’avenir du groupe se dessine à l’horizon(tal). Traduction : avec une pincée de soul au fond du slip, loin des prêchi-prêcha servis par l’Indie parfaits pour rassasier trois anorexiques, mais incapable depuis des lustres de faire danser les gens. « Oui c’est vrai j’adore le rock concède-t-il, mais j’ai aussi été grandement influencé par Sly and the Family Stone ou Stevie Wonder, la soul, le R&B des 60’s, D’Angelo, bref toute la musique black ». Ca s’entend à trois pâtés de maison. Au point que face au virage musical, même son groupe commence à flipper et appelle le manager pour être sûr que tout sera OK (et que plus concrètement, Unknown Mortal Orchestra ne se fera pas rendre son contrat d’artiste). Hey les mecs, on ne fait pas du groove sans casser des clavicules !

Quand Tame n’Impala, les souris dansent

« Ma religion, ce n’est pas le rock’n’roll » dit-il. Ruban concède aussi sans torture une saine dévotion pour Jimmy Page, mais de là à devenir la nouvelle icône aux couleurs délavées de la génération United Colors of Benetton du psychédélisme, Ruban laisse ça à d’autres. A commencer par Connan Mockasin, l’autre star locale néo-zélandaise quelque peu étouffée par ses foulards en taffetas depuis que « Caramel » s’est gauffré (sic), et surtout à Kevin Parker, homme orchestre (re-sic) de Tame Impala dépassé par le succès de « Innerspeaker » et dont les premières bribes tombées du disque suivant (« Currents », à paraître en juillet) ne cassent pas trois pattes à un rescapé de Woodstock.

Entendons nous bien : à priori on n’a rien contre l’ami Kevin Parker. Et à moins qu’il ne lui prenne l’envie de s’inscrire sur la liste Front National des prochaines élections régionales, nous non plus nous n’aurions rien contre le fait de le programmer en soirée, voire même de sortir ses disques – bref : de faire de l’argent sur son dos. A vrai dire, si les récentes productions de Tame Impala se retrouvent aujourd’hui au premier rang d’un injuste procès [1], c’est parce qu’elles nous laissent la cramouille un peu sèche et que le regard mi-Droopy mi-aborigène de Parker, s’il suffit aujourd’hui à remplir les festivals à gobelets consignés, ne pèse plus très lourd au rayon fanfrelucheries psychédéliques. De là à en conclure que le Tame Impala cuvée 2015 est devenu un produit dérivé Pitchfork © à peine bon à faire danser les salariés du cool précaire qui se donnent tous la main en baragouinant quelques Pater Noster modernes à base de #SELFIE #JESUISGRAPHISTE et autres #MUSICFROMOPENSPACE… Il y a là, tout de même, le sentiment qu’on est une petite poignée à s’être fait estourbé. Et que si le soleil se lève encore demain, ce ne sera pas sur la chambre du petit Kevin.

Get back to UMO

La recette d’Unknown Mortal Orchestra pour ne pas être noyée dans la masse ? De l’aveu du leader, « une combinaison d’influences jazz, de changements d’accords avec un son lo-fi ». Une recette si parfaite qu’elle accouchera, sur la période 2010-2015, de groupes bâtards, au sens illégitimes, calquant la production de leurs albums sur ceux d’Unknown Mortal Orchestra, respectivement parus en 2011 (« Unknown Mortal Orchestra ») et 2013 (« II »). A partir de là, les options étaient peu nombreuses et « Multi Love », à sa manière, est une réponse du berger à la bergère : va te faire foutre. « Fallait prendre un risque, se réinventer : jouer du rock de blanc pour des blancs ne m’excitait plus, et les singles passés à la radio, aussi catchy soient-ils, me semblaient vidés de toute mélodie ».

Okay, pause. A ce stade, on a bien compris que l’objectif de Ruban n’a jamais été pas de choper une MST dans un mosh pit du premier rang avec une groupie n’ayant pas encore testé les serviettes hygiéniques. Le but, of course my dear, n’est pas non plus de placer ses comptines dans des publicités lucratives où les filles ont des règles bleues et les mecs des avant-bras de la taille du cou de Vin Diesel. Le Grrrrrrrral de Ruban, comme de tout véritable musicien, c’est de faire des bons disques qui s’écoutent du début à la fin. Je sais, dit comme ça, ça a l’air un peu con, un peu désuet, ça ne passe pas la barrière d’une écoute en streaming sur les écouteurs iPhone ; ça ne remettra pas non plus d’aplomb le trou de la couche d’ozone, mais cela a au moins le mérite de défendre une démarche artisanale qui se joue de tout teasing Youtube qui nous font rapidement débander une fois l’album sorti.

Bonne contre mauvaise foi

Loin de se contenter du succès des deux albums précédents et du fait qu’il dispose d’une page Wikipedia rédigée en Anglais (WOAH), Ruban a retrouvé avec « Multi Love » l’insécurité des débuts, quand il postait ses démos sans savoir qui les écouterait. « Là encore j’étais loin de penser qu’il y aurait un public pour ce R&B psychédélico-je-sais-pas-quoi ! ». Sans qu’il se batte pour la postérité et en dépit d’une carrière ininterrompue depuis six ans, Ruban semble avoir conservé cet été d’hébétude face au succès, avec l’impression que la police du bon goût surgira tôt ou tard d’une poubelle pour marquer la fin de la récréation. Et à défaut d’être devenu connu, son orchestre mortel suit sa route, en parallèle de l’artère principale qu’on nommera, pour aller plus vite, le consensus mou de Monsieur Toulemonde : « Quand je compose un truc satisfaisant, je suis toujours surpris : d’où ça vient ? La talent, où le génie si l’on veut, relève peut-être de l’inconscient. Philip Glass parle d’une ‘’rivière musicale underground’’, David Lynch d’une pièce cachée où se fabriqueraient ses films, lui attendant que la pièce s’ouvre pour les capturer… Je fonctionne un peu pareil avec Unknown Mortal Orchestra. Quand les musiciens commencent à chier dans la colle, souvent c’est parce qu’ils croient être les véritables auteurs de leurs chefs d’œuvre alors qu’en fait ils ont simplement perdu la connexion spirituelle avec leur monde intérieur. Ca, c’est ma religion ».

A la fin, on ne sait plus si le Père Ruban s’adresse à nous ou quelqu’un d’autre. En cas de doute, relisez le papier, et si la révélation tarde à venir, contentez d’une dernière prophétie : « à priori, pas de guitares sur le prochain disque d’Unknown Mortal Orchestra ». Comme les amplis de tournée, Dieu soit loué.

Unknown Mortal Orchestra // Multi Love // Jagjaguwar
http://unknownmortalorchestra.com/

Unknown-Mortal-Orchestra-Davcom

[1] Injuste parce qu’à côté de la progression des armées de Daech en Syrie ou du pataquès autour du dernier album de Foals, Tame Impala garde, comme aurait dit Brian Jones, la tête hors de l’eau.

5 commentaires

  1. Tres bon en album en effet ce dernier Unknown mortal orchestra. Personnellement ca me fait parfois penser a Ween. Par contre ce n’est pas bien grave mais je croyais que Tame Impala ils etaient australiens…

  2. Dit comme ça, je comprends mieux. Démarche louable, OK. Mais rien à faire, ce disque n’arrive pas à la cheville du précédent. Ca marche vraiment fort pour Tame Impala, le groupe qu’à chaque fois que j’y pense, je vois Kirsten Dust dessinée dans la lumière descendante d’un doux soir d’été ?

  3. nononononon
    Cet article est rempli d’approximations.

    Tame Impala NEO ZELANDAIS ?? Serieux mais vous bitchez sur Pitchfork, c’est également un sport que je pratique avec une délicieuse véhémence, mais au moins eux relisent leurs articles.
    Sérieux une faute de contenu pareil pour un gros nom de la presse indie comme vous…. si j’étais la préfécture jvous aurais foutu une fermeture administrative.

    ce mec n’est pas du tout un putain d’illustre inconnu et UMO n’est pas son 1er fait d’arme. Il n’a pas commencé en 2010 en Nouvelle Zélande.
    Ce mec était le cerveau d’un groupe qui s’appelait Mint Chicks, une perle d’indie rock vraiment classe.
    Tout est sur wikipedia, quand même. Le groupe a gagné tous les award possible en Nouvelle Zélande pour ça entre 2001 et 2009.
    https://www.youtube.com/watch?v=DCMUXMh7yFI

    ça fait un sacré bail que ce mec ne vit plus en Nouvelle-Zélande mais à Portland, depuis les début de UMO justement…

    Quand à leur nouvel album. Franchement, c’est sucré, mais je crois que je préfère vraiment encore ça à II, ce truc insipide, tellement insipide, mièvre, outrageusement délicat, boring, chiant, atrocement mou, plat et au succès malheureusement (et logiquement?) plus vaste que pour leur 1er album. L’indie pop dans tout ce qu’elle a de plus cheezy.

    Leur 1er disque est absolument génial, plus fort, plus brut, la prod est mirifique, et c’est un puits d’idées sans fond, joué avec une gouache qu’on ne retrouve sur aucun autre disque. Il ne se passe pas une semaine sans que je ne l’écoute, et contrairement à ce qu’on peut lire parfois, non, leur groove et leur touch funky sont déjà présents depuis des années dans leur zik, il n’y a qu’à écouter « How Can U Love Me », du 1er album, tout y est, et je l’écris en pesant chacun des signes qui constituent cette affirmation : ce morceau, ainsi que Ffunny Ffriends est un des meilleurs morceau paru dans l’indie des années 2010-2015.

    Bref, merde quoi, merde.
    Content de les voir revenir, ou plutôt repartir, dans des directions non balisées, et de les voir de nouveau tracer hors-piste, c’est la qu’ils sont le meilleur. Mais le nouvel est malheureusement inégal. Quoi que « Can’t keep checking my phone » a une bonne gueule de leader de mes charts perso pour un moment.

    1. A écriture approximative, lecture approximative. Je copie-colle le chapeau : « Sur la petite carte du rock néo-zélandais, et en dézoomant un peu, sur celle du rock d’en bas à droite sur la mappemonde ». EVIDEMMENT que Tame Impala n’est pas néo-zélandais, on le sait…

  4. Je suis en train de mater un live, le type fait un solo de trois plombes !? Et les piquets applaudissent ?! Bien sûr le mec est faux derrière mais ça va, c’est gentil.

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