Après les avoir vu jouer dans un ancien club de strip-tease en bordure berlinoise mais aussi à l’arrière d’un rade breton ancestral, je ne pouvais pas passer à côté d’une interview de Lemongrab. En ovnis du post-punk, les cinq larrons proposent des concerts tous plus zinzins les uns que les autres à travers les salles les plus crados de la capitale allemande. Après des expériences intenses de concert outre-Atlantique, Lemongrab est ultra-déterminé à jouer leur nouvel album dans toute l’Europe.

Quelques jours avant la sortie de “I spy with my little eye” et d’une fameuse release party prévue le même jour à Urban Spree, j’ai eu la chance de discuter expérimentation musicale et grosses guitares avec Gaëlle et Léonie.

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Deux Montréalaises, un Néo-zélandais, un Irish et un Hollandais forment un groupe de post-punk à Berlin. On dirait le début d’une mauvaise blague… Vous avez la chute ?

Gaëlle : On dirait une blague, c’est certain. Mais j’sais pas trop. C’est assez courant ici à Berlin les groupes formés de différentes nationalités, non ?

Léonie : C’est pas très drôle comme chute, ce que tu dis là, Gaëlle.

Gaëlle : En ce moment, tout le monde se rencontre n’importe quand, n’importe comment. Quand Léonie est arrivée à Berlin, elle ne connaissait personne. Elle s’est fait des amis dans des bars. Et c’est comme ça que s’est formé le groupe. Je l’ai rejoint et on a toujours cherché des amis avant de trouver des musiciens. Les différences culturelles sont là et ça en est devenu des blagues au sein du groupe. On se charrie sur nos stéréotypes, sur nos accents.

À part vous deux, qui vous connaissez depuis l’âge de 3 ans, vous vous êtes tous rencontrés à Berlin, exact ? D’ailleurs, elle vous apporte quoi cette ville sur votre capacité à créer la musique de Lemongrab ?

Gaëlle : Oui c’est ça, avec Léonie, on était dans le même jardin d’enfants. On a d’abord tenté le coup aux Etats-Unis et au Canada, mais le coût de la vie est trop cher. Tu gagnes vraiment peu d’argent quand tu fais des shows DIY. C’était difficile. On se retrouvait à demander au public un toit pour dormir après chaque date. On se retrouvait toujours dans des lieux pas possibles. C’était fun mais aussi difficile. A Montréal, on a vite fait le tour des salles de concert. On est allé à Berlin pour faire des tournées en Europe. C’était le moment de venir pour recréer notre groupe ! Berlin, c’est une ville où de la bonne musique est jouée partout tout le temps. En voulant élargir nos horizons esthétiques, cette ville nous apporte beaucoup. Joël et Léonie sont aussi DJs. Ils diggent beaucoup de musique. On sort aussi beaucoup. À Berlin, t’entends des DJs jouer tous types de musique. En ce moment, on travaille sur deux morceaux totalement différents du garage dont on a l’habitude. On se retrouve à faire une sorte de reggae bizarre. L’idée est d’essayer d’aller quelque part d’autres. On est constamment dans un environnement nouveau. On prend plus de risques. On se demande : “Qu’est-ce qu’on ne sait pas faire ?” et on explore. 

 

La vibe internationale du groupe te permet aussi d’écrire et de chanter dans les trois langues, française, anglaise et allemande. Pourquoi cette volonté ?

Gaëlle : C’est plus un mécanisme de créativité. Se donner des contraintes pour éviter d’arriver à la chose automatique. En anglais, ça me rappelle trop d’influences. L’allemand amène des tonalités spéciales. Et le français, j’ai toujours voulu chanter dans ma langue natale sur une musique américaine. C’est un mélange créateur de tensions intéressantes. Souvent quand on enregistre, le groupe commence à jammer avec les instruments. J’arrive, je dis un peu n’importe quoi. Puis, si ça accroche, on avance. Si ça sonne comme quelque chose qui existe alors on passe à autre chose. C’est la recherche d’un son qui nous appartient mais pas de là à dire qu’il y a un style “Lemongrab”. C’est comme rencontrer quelqu’un avec un visage familier que t’as envie d’inviter à souper chez toi.

Dans I spy with my little eye, votre dernier album, j’ai l’impression que vous partagez votre regard sur le monde depuis la serrure d’une porte.

Gaëlle : Le titre vient d’un jeu de tournée. Tu dois deviner ce que la personne regarde. Il répond par oui ou non. Après quoi on doit deviner ce qu’il pense. Mais les chansons de l’album racontent nos vies et des choses dont on a pu être témoin. Notamment Politics. Elle relate l’expérience d’être dans un bar où une personne vient déblatérer ses opinions politiques sans fin. C’est une expérience vécue racontée avec une distance ironique. Et comme l’ironie c’est très post-punk, j’avais envie de le sortir sans que ça soit viscéral. De toute manière, les chansons sont rarement prises avec le sens que tu leur donnes. Un de nos premiers titres, “You like to fuck”, raconte la peur d’être harcelée. C’est plutôt négatif comme émotion. Et pourtant, en concert, les gens gueulent tous en coeur “You like to fuck” sans avoir compris réellement le sens premier. Ça ne me dérange pas du tout. Chaque personne reçoit les paroles différemment. Même mes parents ont du mal à tout comprendre. Par exemple, ils m’ont toujours dit qu’ils adoraient “Flowers”, un titre assez lent. Mais je ne suis pas certaine qu’ils aient saisi le caractère sexuel du morceau.

C’est tellement masculin ce truc de “J’ai ma guitare”. Comme une extension de leurs bites.

Ça me rappelle l’histoire derrière le projet “It Doesn’t Sound Good But It Feels Awesome”. J’ai l’impression que l’expérimentation ou la non-maîtrise de certains instruments peut véritablement créer de la valeur ajoutée à la composition et au live. Est-ce toujours bien reçu ?

Léonie : On a un mode de pensée artistique très brut et avant-gardiste. Ça laisse place à quelque chose que j’ai du mal à décrire mais que les gens comprennent en général. Pas besoin de chercher trop loin.

Est-ce ce sujet que vous abordez dans le titre “Guitar” ?

Gaëlle : Non, pas du tout. Ce morceau s’est créé en jam. Tout part d’une anecdote de notre ancien bassiste. Il nous avait raconté la rencontre avec un quadragénaire collectionneur. Ce gars avait la guitare d’une star chez lui. Une ancienne légende style Prince. Il n’en jouait même pas. Il la garde sur son mur. Ça nous rend fous de se dire que nous sommes trop fauchés pour s’acheter des instruments alors qu’il existe des gens, comme ce type, qui exposent des guitares sur leurs murs sans même les utiliser. C’est tellement masculin ce truc de “J’ai ma guitare”. Comme une extension de leurs bites.

 

Justement, Lemongrab a démarré en 2016 entre filles. Vous deux et une certaine Marilou. Ensemble, vous avez appris à jouer différents instruments et à composer de la musique. Est-ce que le fait de démarrer entre filles, sans aucune expérience précédente, vous a aidé ?

Gaëlle : Définitivement ! C’est même une des raisons de vivre de Lemongrab : on apprend à notre propre rythme sans avoir quelqu’un pour expliquer comment la musique doit sonner. Notre but est d’expérimenter avec les sons. Aujourd’hui, il peut y avoir quelques tensions entre l’envie d’expérimenter intuitivement et celle de produire de la musique qui sonne bien. Mais démarrer entre filles, sans aucune expérience musicale, ça enlève beaucoup de pression. Ça nous a permis de créer notre propre son. Avec tous ces mecs qui jouent de la guitare comme les Doors ou les Beatles, les jams peuvent se ressembler. Ils savent toujours où ça va ! Jouer avec des personnes sans expérience rend la musique plus intéressante. Tu ne sais jamais où ça va atterrir. On essaye parfois de prendre des directions totalement opposées. En échangeant nos instruments en plein concert par exemple. Je suis contente de voir de plus en plus de groupes le faire. Pour expérimenter, il faut parfois s’imposer des contraintes naturelles.

Notre style ? C’est comme une chaise bancale sur laquelle t’as quand même envie de t’asseoir.

Dans cet album, il y a à boire et à manger. Du punk rapide assez crade à des morceaux plus lents et poppy, voire dansants. C’est un but de brouiller les pistes ou c’est juste le résultat logique de votre travail en studio ?

Gaëlle : Ce sont nos pistes qu’on essaye de brouiller. On écoute tellement de styles différents. On se laisse volontairement toujours découvrir la musique qu’on veut produire. Ce qu’on sort n’est pas tellement prévisible. Selon l’heure de la journée. C’est un peu comme jeter les dés et de voir sur quoi on tombe. On garde vraiment quelque chose d’intuitif. C’est quelque chose qu’on apprend. On choisit un style et on voit comment ça marche et ce que ça donne. C’est comme si quelqu’un te donne une table et t’en fais une chaise un peu bancale. Mais t’as quand même envie de t’asseoir dessus. 

https://lemon-grab.bandcamp.com/music

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