Une pochette qu’on croirait tout droit sortie du site américain Daytrotter. Et puis ce nom étrange, Twin Peaks. Un nom qui fait peur et laisse craindre de longues nappes de synthés mollassonnes à la Badalamenti. Pour les plus jeunes, Twin Peaks, c’était d’abord une série sur la 5. La défunte 5, qui laissa ensuite la place à Arte. La 5, une chaîne de télévision des années 1980 montée par Jérôme Seydoux et Silvio Berlusconi qui ne s’est pas encore fait choper pour excès de bunga bunga. Grâce à cette chaîne où culture rime avec… pas grand chose, la 5 aligne au kilomètre des séries américaines low cost (Supercopter, Sheriff fais moi peur, Wonder Woman, K2000, Tonnerre mécanique,…) et des émissions de jeux dont les présentateurs deviendront « légendaires » (Nagui, Christian Morin, ce genre de génies). La 5, c’était enfin la chaîne où l’irrésistible Jean-Claude Bourret présentait le 13h avant de sombrer quelques années plus tard dans de fumeuses théories extra-terrestres. Bref, la 5, c’était probablement avant que tu naisses. Et c’était du lourd.
Au milieu de tous ces programmes discount trôna donc pendant quelques mois une série réalisée par David Lynch, en passe de devenir l’icône barrée des 90’s. Quand Twin Peaks sort, cet Américain né dans le même bled du Montana que Steve Albini a déjà 44 ans ainsi qu’Elephant Man et Blue Velvet à son actif. Twin Peaks, ovni télévisuel où Bowie fit par exemple une apparition assez cocasse, fut malheureusement diffusée en France en Version Foireuse (VF). Traduction : perte garantie de 50% du charme original de l’affaire. Malgré tout, ce diamant brut fort mal doublé brillait sans peine au milieu d’un océan de bouses et Lynch incarnait alors l’homme qui tombe à pic pour redorer le blason de l’objet série. Chaque semaine, une partie de la France se passionne et tente de répondre à la seule question existentielle du moment : mais qui a tué Laura Palmer ? En deux saisons (1990-1991), Lynch renouvelle le genre et Twin Peaks tend rapidement à devenir un simili mythe de l’ère moderne. Libre à vous d’ailleurs de regarder en 2017 la troisième saison qui vient d’être annoncée par Showtime.
Aujourd’hui, Twin Peaks est aussi un groupe américain. Un groupe de pop. Avec un nom lourd à porter qui laisse craindre le pire tant les productions de Julee Cruise ou d’Angelo Badalamenti, responsables et coupables des musiques de la série, résistent à grand peine au temps qui passe. Dès Walk to the one you love (évidemment le premier morceau de l’album et le premier single – qu’on arrête de nous prendre pour des courges, nous sommes en 2016 et la nécessaire efficacité prime tout ou presque), Twin Peaks rassure pourtant très vite son petit monde et confirme que ce troisième album écrase ‘Sunken’ et ‘Wild onion’, ses deux prédécesseurs.
Voilà donc un merveilleux petit disque pop, digne de ceux des oubliés Cosmic Rough Riders, voire des Sugargliders (musclés de chez Sarah records). Alors, il faut le dire, l’écrire, le hurler à ton voisin. Inutile de tourner 36 heures autour de la platine, la musique de Twin Peaks (le groupe du jour, donc) n’a rien d’extra-terrestre. Non, ici tout est aisément identifiable ou presque : des grilles d’accords piquées chez les Stones et à peine maquillées, des mélodies qui transpirent le MGMT des débuts, des harmonies pop respectées à la lettre… Nous sommes en lieu sûr, les chaussons sont confortables et le pays de l’expérimentation ne figure pas sur le GPS du groupe. Pourtant, là où d’autres tombent trop souvent dans un côté « déjà vu, déjà entendu, remballez le matos il n’y a rien à voir », Twin peaks fait un sans faute inexplicable. En 13 titres d’environ 3 minutes, le quintet fait le job et évite avec classe un enterrement de jeunes-vieux chez pôle emploi.
Originaire de Chicago, Twin Peaks a jusqu’ici toujours été associé à une scène influencée par feu les sixties. Nommer leur précédent LP « Wild Onion » (les férus des Beach Boys apprécieront le clin d’œil) avait permis de souligner cette influence à coups de stabilo. Rien de nouveau avec ‘Down in heaven’, Cadien James, chanteur et guitariste, ne s’est pas subitement découvert une passion débordante pour la techno hardcore ou l’EDM. Il aurait même une petite tendance à focaliser sur une année bien précise, 1968 et cite comme influences notables des blockbusters comme le ‘White album’, ‘Village green preservation society’ ou encore ‘Beggar’s banquet’. Inutile de vous mentir, tout ça s’entend beaucoup sur ce disque. Mais ne gêne pas. Et même si le classic-rock t’échauffe généralement les lobes et te donne envie de défoncer du jeune à coups de Teppaz, avoue quand même qu’il y a pire influences revendiquées que les Beatles, les Kinks ou les Stones.
1968, c’est aussi la redescente du Summer of Love. L’année N+1. Le besoin de se poser un peu après un été débridé. La nécessité de retrouver des mélodies moins alambiquées, plus immédiates. Grand consommateur de Ripolin, Twin peaks en rajoute une couche, mais toujours avec élégance : Love is all around des Troggs sur un Wanted you qui contient aussi de faux airs de Felt, un côté Monkees sur My boys et pas mal d’autres. Résumons notre pensée. Jusqu’ici, Twin Peaks méritait la médaille d’or du groupe le moins sous-estimé puisque ses deux albums précédents n’avaient pas marqué grand monde. ‘Down in heaven’ remet des piles dans quelques montres à quartz et les amateurs de belles mélodies devraient s’y pencher de plus près. Le côté psyché un peu brouillon des deux albums précédents disparaît au profit d’un disque plus accessible, presque mainstream. Bienvenue chez les pros, même si ça fait mal au cul. Un côté plus lisse et moins amateur probablement dû à l’apport du vieux de la vieille John Agnello, vétéran du mix et qui a déjà officié auprès de Kurt vile, Dinosaur jr, Sonic Youth, Madrugada et pas mal d’autres qu’on vous épargnera pour cette fois.
Autre changement sur ce nouvel album, l’arrivée du clavier de Colin Croom, désormais cinquième membre officiel du groupe, change radicalement la donne et offre plus de profondeur au groupe. Complètement obsédé par les Stones des sixties (il n’écoute quasiment que ça), Croom n’a de cesse d’essayer de reproduire ce fantasme sonore. Enregistré en un mois l’été dernier chez un ami du groupe, en plein Massachuchets, le disque distribue des tracks monstrueusement efficaces (les somptueux You don’t, Cold lips et le fantasque Butterfly) ou simplement réussies (les très Supergrass Walk to the one you love et Wanted you). Au final, cet album aussi surprenant que l’autoroute d’un départ en vacances se révèle étonnamment au moins aussi agréable que le séjour à l’arrivée. Faisons simple : ce truc tourne en boucle dans mon salon depuis sa réception et je n’arrive pas à comprendre pourquoi. Certainement pas parce que le chanteur porte des chaussettes blanches dans son clip. Et si Laura Palmer était encore bien vivante ?
Twin Peaks /// Down in heaven // Communion records/ Caroline international
http://music.twinpeaksdudes.com