A ceux qui pensent que la procrastination se résume à remettre au lendemain ce que l'on peut faire le jour même, Tuscaloosa répond avec un deuxième album... quinze ans après le premier. Avoir le luxe du temps et du silence, deux notions salvatrices et presque inconnues du monde 2.0 dont ils sont antérieurs. Un début d'explication sans doute…

Ils ont un âge où les désillusions sont devenues des résignations. Lorsqu’on n’a pas pris le train dans les 90’s, à quoi bon lui courir derrière alors qu’il va si vite ? Non, il vaut mieux attendre le prochain et décorer la gare. « Comme une guerre froide » est donc le résultat de ce lent processus, lucide et pessimiste dans la plus pure tradition française. Le temps a servi à travailler le son pour lui donner une personnalité identifiable (2 bons points d’un coup!), une touche. La lignée de Kat Onoma saute aux oreilles, ainsi qu’une accointance avec Mendelson. Tiendrait-on un des nombreux représentants de cette fameuse exception culturelle française qui se connaît si mal ?

Il est clair que cette scène particulière accueillera facilement Tuscaloosa pour en grossir les rangs. On pourra leur trouver des airs de Bashung distordu; un goût prononcé pour les obsessions cycliques du Krautrock qui ici résonnent comme les répétitions d’un névrotique. Beaucoup de croisements probables tout en évitant la consanguinité. Chapeau pour un groupe qui vient de cette lointaine Lorraine.

« Comme une guerre froide », ça s’interprète. Tuscaloosa est né dans l’axe Longwy-Nancy, soit en plein dans la vallée de la mort industrielle, le fantôme de la richesse et d’un glorieux passé dont on a les preuves qu’il n’était qu’un mirage. Une guerre froide, c’est se battre contre des fantômes et des chimères. La vallée de la Fensch, berceau de la musique du groupe, a eu pour chimère nombre de promesses (Gandrange, Hayange…); et pendant que les habitants les écoutaient, émanant de quelques politiciens locaux (ou des Présidents successifs), les effets de la mondialisation fermaient les usines dans leurs dos. L’impression que plus personne n’a de prise sur rien a grandi jusqu’à remplir une masse qu’on ne voit plus, des invisibles et désertés, désertant à leur tour les bureaux de vote de ceux qui les ont oublié.

Ce qui est vrai pour la société l’est aussi pour la musique, et notamment pour un groupe né quand le disque se vendait encore, à une époque où certains n’avaient même pas besoin de faire des concerts pour vendre (c’est fou hein?). Sortir un album en 2015, d’autant plus quand c’est avec une musique ne suivant aucune tendance, c’est bien une guerre froide. Une guerre sans véritable ennemi ni véritable allié, une guerre qui ne dit pas son nom, qu’on n’a pas déclaré mais dont tous se revendique comme victime.

Tuscaloosa // Comme une guerre froide
https://tuscaloosa.bandcamp.com/

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