Elle ressemble à quoi la vie d’un cowboy à Brooklyn ? Il était sympa Lou Reed ? L’attachant troubadour country Turner Cody a répondu à nos questions existentialistes et nous a aussi livré quelques leçons de songwriting.

Turner Cody, vous l’avez peut-être déjà vu ou entendu sans savoir qui était ce grand monsieur avec sa gueule de hipster avant l’heure et de barde norvégien. Il est apparu sur la scène new-yorkaise en 2000 avec un premier album autoproduit et une citation dans la compilation « Anti-Folk Vol.1 », celle qui a également lancé la non-carrière de son ex-colocataire Adam Green et de son pote Jeffrey Lewis. En solo ou en tenant la basse pour Herman Dune, il a trimballé ses ritournelles douces-amères sur de petites scènes européennes pendant toute une décennie. Jacques Audiard a choisit son Corner of My Room comme pierre angulaire de la bande-son de Un Prophète, Grand Prix du Jury à Cannes en 2009. Malgré tout, il reste cruellement méconnu dans un pays qui n’a jamais bien compris la country et pour qui troubadour rime avec Charlie Winston.

Grâce à un bandcamp bien fourni et aux efforts du label lyonnais Echo Orange, il est quand même possible de mettre la main sur son imposante discographie. « Plans & Schemes », son onzième LP, est sorti l’été dernier. Comme d’habitude, il regorge de délicieux anachronismes et de ballades mélancoliques dans un New York laissé en héritage par Lou Reed et Ramblin’ Jack Elliott. Alors comme on aimerait que plus de monde sifflote ces belles mélodies, on est parti à la rencontre du jeune papa, tout juste sorti de la maternité.

« Plans & Schemes » est un joli paradoxe : il sonne à la fois comme s’il avait été produit dans un studio de Nashville en 69 et comme si tu nous le jouais en direct, juste devant nous.

C’est marrant parce que ce qui sonne live sur cet album n’a pas toujours été enregistré live. Et vice et versa. Pour réussir à capturer cette ambiance décontractée, il faut que la musique le soit, qu’elle swingue. Ma Stratocaster était reliée à la fois à la console et à un ampli et, à part sur Hold On To et No Direction, on n’a pas eu besoin de retoucher à ma voix et à ma guitare. C’est Dan Myers qui était aux manettes, c’est lui qu’il faut remercier pour cette cohérence sonore.

La plupart des chansons de l’album ont pas mal voyagé avec toi, en tournée. À quel moment tu décides qu’elles sont assez mûres pour finir sur un album ?

Je ne pense pas qu’une chanson puisse vieillir, arriver à maturité. C’est toujours sympa de roder un morceau sur scène avant de l’enregistrer mais ce n’est pas une règle absolue non plus. La moitié de « Plans & Schemes » vient de mon répertoire scénique, je ne voulais pas qu’elles restent obscures pour toujours. Mais il fallait avant tout qu’elles aient leur place sur l’album, pas seulement que je les juge prête pour la postérité.

« Je préfère largement qu’on m’associe à la country plutôt qu’à la folk ou, pire, l’antifolk ».

À l’image d’un Willie Nelson ou d’un Townes Van Zandt, tu arrive toujours à tirer le maximum d’émotions avec le minimum de moyens. Juste une brève histoire et quelques accords. La méthode à la fois simple et très précise du bon songwriter country. C’est un héritage qui te parle ou tu refuses toute étiquette ?

Je préfère largement qu’on m’associe à la country plutôt qu’à la folk ou, pire, l’antifolk. La musique country, c’est une longue et riche tradition d’écriture à laquelle je peux m’identifier. Bien sûr, je parle de types comme Hank Williams ou Townes Van Zandt, pas de Billie Ray Cyrus ! C’est plus facile d’écrire une bonne chanson que de travailler dix heures par jour à l’usine. Plus amusant aussi. Une fois qu’on a chopé la technique, c’est comme assembler un puzzle. Sauf que choper la technique, ça prend du temps, beaucoup de temps.

Le thème récurrent dans ta discographie, c’est la solitude. L’aliénation. So Alone en est sûrement le plus bel exemple à ce jour. C’est un sentiment que tu trimballes toujours avec toi ou que tu dois revisiter quand tu écris ?

Oui, j’aime bien comment sonne les mots lonely, alone, loneliness, ce sont des termes que j’affectionne. Quand je parle d’aliénation, c’est plus ironique parce qu’il s’agit d’un terme aussi universel que subjectif. Et en 2016, ce sentiment est plus fort que jamais. New York n’est pas vraiment synonyme de vivre ensemble, de communauté. C’est une ville de solitaires.

Est-ce que le bonheur est l’ennemi d’un songwriter aussi mélancolique que toi ?

Je viens d’avoir un gamin alors, en ce moment, je ressens plutôt de la joie, de la satisfaction. Pas de quoi écrire une bonne chanson country donc. Mais je me dis qu’il y a un temps pour chaque chose et que la solitude ressurgit toujours, à un moment ou à un autre. Elle ne disparaît jamais vraiment.

« Lou Reed je l’ai souvent croisé dans la rue aussi mais je n’ai jamais osé lui parler. »

Quand Lou Reed est mort, j’ai pensé à tes chansons. À celles de Jeffrey Lewis, d’Adam Green, de tous ceux qui ont repris le flambeau. Son esprit est toujours avec toi ?

Une fois, au théâtre, j’étais placé juste à côté de lui et de sa femme, Laurie. Je l’ai souvent croisé dans la rue aussi mais je n’ai jamais osé lui parler. Jeff et Adam lui parlait parfois. En tout cas, il est avec moi à chaque fois que j’enregistre un album. Il sera toujours là.

Je mentionne Lou Reed parce que « Plans & Schemes » me rappelle un peu « New York », sa lettre d’amour à la Grosse Pomme. Que ce soit Deep in the Heart of Brooklyn ou Girl From Coney Island, la ville est un personnage central dans tes chansons les plus émouvantes. C’est difficile d’être un cowboy solitaire à New York ?

New York, c’est un catalyseur de drames. Plus tu vis ici longtemps, plus il devient dur de distinguer les véritables drames de la vie de ceux engrangés par l’atmosphère urbaine, très rageuse et intense. Une bonne source d’inspiration pour un artiste mais pas un environnement très sain pour son quotidien. J’imagine New York comme une force malveillante et sociopathe. Comme une toile idéale pour peindre tous les excès imaginables. Et peut-être qu’aux yeux d’un français, je ressemble à un cowboy mais, aux yeux d’un vrai cowboy américain, je ressemble surtout à un hipster new-yorkais !

« C’est dur pour moi de maintenir un mode de vie indie-rock mais, d’un autre, tu peux écouter toute ma musique gratuitement. »

Tu joue de la guitare sur quelques titres de « Manhattan », le nouvel album de ton ami Jeffrey Lewis. Tu es resté en contact avec ta vieille bande, et à l’écoute de ce qu’ils produisent ?

J’adore « Manhattan ». Je pense que c’est le meilleur album de Jeffrey, surtout au niveau du son. Les morceaux sont géniaux, en particulier The Pigeon, son hommage au Raven d’Edgar Allan Poe. Elle devrait faire date. Et oui, je fréquente toujours la vieille bande. Adam a écrit de super chansons pour sa comédie musicale, « Aladdin » (ndlr : financée par ses fans et prévue pour le printemps). James Levy vient de produire mon prochain EP, « Other Forms of Boredom » et joue avec des groupes très contemporains, Lola Wolf et Reputante. Je suis toujours très proche de David Herman-Düne (alias Black Yaya) même si on ne se voit pas assez à mon goût. J’ai trouvé son disque incroyablement bien enregistré, un bel exemple de son incessante progression musicale.

C’est un peu frustrant d’être un fan français de Turner Cody. Tes albums sont difficiles à dénicher, tu ne viens pas souvent nous rendre visite. On aurait pu croire que ton inclusion à la bande-son de Un Prophète aurait changé la donne mais non. Comment expliquer cette impasse ?

J’aimerais avoir une vraie réponse à cette question. J’ai cru moi aussi que ça allais s’arranger avec ce film mais le destin en a voulu autrement. C’est peut-être un mal pour un bien parce que je suis convaincu que mes meilleurs albums restent encore à venir. Le streaming a pas mal modifié le modèle tournée/disquaire, pour le meilleur et pour le pire. D’un côté, il est devenu plus dur pour moi de maintenir un mode de vie indie-rock mais, d’un autre, tu peux écouter toute ma musique gratuitement, quand tu veux. Et, qui sait, il suffit de peu de choses pour que toutes les oreilles du monde occidental entendent une bonne chanson… J’adore partir en tournée et, si c’était possible, je viendrais en France au moins une fois par an. Paris est ma deuxième ville favorite. Ce qu’il s’est passé en novembre était vraiment triste. J’ai joué au Bataclan avec Herman Dune et j’ai un ami qui habite pas loin, à Oberkampf. Ca m’attriste de savoir que fumer et boire un café est désormais une source de tracas pour les parisiens…

Quoi de prévu en 2016 ? Des jours meilleurs ?

Un EP, “Other Forms of Boredom”. Un 45 tours, “The Kingdom of Heaven”. Et un LP, “Hiding In Plain Sight”. Tout ça sera disponible en streaming et en téléchargement gratuit. Et si tout va bien, il y aura quelques petites vidéos…

Turner Cody // Plans & Schemes // Echo Orange
http://www.turnercody.com/

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