Thomas Gabriel Fischer, alias Tom Gabriel Warrior, est une légende vivante du heavy-metal extrême. Il en est l’un des guitaristes-chanteurs-compositeurs les plus influents depuis le début des années 1980. Avec Hellhammer, puis Celtic Frost, il a gravé en compagnie de son alter-ego le bassiste Martin Eric Ain parmi les plus mythiques des Tables de la Loi musicales du genre. Il n’a depuis jamais arrêté, revenant avec parcimonie avec des disques d’une qualité immense, que ce soit avec le grand retour de Celtic Frost en 2006, Triptykon ou encore Triumph of Death, dont un album live sort ces jours-ci chez BMG. 

Thomas Gabriel Fischer est né en Suisse en 1963, et va rapidement être fasciné par le heavy-metal de la fin des années 1970, puis celui de la nouvelle vague anglaise. Parmi les simples qu’il ramène de Londres, il y aura le choc ultime : le premier single de Venom, In League With Satan, trio de Newcastle qui va poser les bases de l’extrémisme heavy-metal.

Ses parents sont séparés. Il vit entre un père réparateur de motos et pilote à Zurich, et une mère vivant dans un petit village pittoresque de la campagne suisse. C’est un véritable paysage de carte postale, mais la vie de Thomas et de sa mère célibataire attire les rumeurs et la méchanceté des villageois, ainsi que des autres gamins de l’école. Le jeune garçon est souvent seul à la maison, entouré de dizaines de chats, sa mère compensant ainsi son manque affectif. Elle alimente financièrement le foyer en faisant de la contrebande de diamants depuis l’Afrique du Sud, et risque donc à chaque voyage de se faire arrêter à la frontière. Thomas vit donc dans l’angoisse du non-retour potentielle de sa mère. Il devient vite autonome, mais malgré toute sa bonne volonté, ses vêtements pourtant propres empestent l’urine de chat. Son physique chétif ne fait qu’aggraver son isolement dans la cour d’école et dans le village. La musique, les bandes dessinées et les romans de science-fiction deviennent son refuge psychique, puis son monde tout entier.

L’idée d’un groupe

La colère sourde gronde dans son corps, et malgré l’attache citadine qu’il conserve du côté de son père, il finit par être fasciné par le monde nocturne, les grandes forêts de conifères de montagnes qui entourent la maison de sa mère, et le vent qui y souffle comme un chant possédé et inquiétant. Venom, mais aussi les premiers Iron Maiden, Saxon, Motörhead, Witchfynde alimentent la sève d’une musique unique. Il veut créer un trio dans l’esprit de Motörhead et de Venom, et porter plus loin et plus fort cette fusion. Il ne s’agira pas seulement d’être bruyant et sataniste comme Venom, ou rock’n’roll jusqu’à la limite comme Motörhead. Tom Fischer veut créer en musique un nihilisme unique, démoniaque, glacial, pénétrant comme le souffle de la mort.

La scène rock suisse est d’une petitesse terrifiante. Elle se limite littéralement une poignée de jeunes gens qui se connaissent tous, se croisant aux concerts des uns et des autres ou de ceux, rares, des groupes étrangers. Seul Krokus permet d’espérer de voir plus loin que le canton du Valais. Tom Gabriel Fischer réunit autour de lui Jörg Neubart à la batterie et Urs Sprenger à la basse et au chant. Première étape : se trouver des surnoms agressifs dans la lignée de Venom. Tom Fischer devient Tom Warrior, Sprenger Steve Warrior, et Neubart Bruce Day. Le trio pose vêtu de cuir, de chaînes, de ceintures de cartouchières et de vestes à patches. Rapidement, les musiciens commencent à ajouter du maquillage blafard sur leur visage : du fond de teint blanc, du khol noir pour les yeux, donnant une expression cadavérique.

Les trois se nomment Hellhammer et trouvent une salle de répétition dans un bunker anti-nucléaire d’un village voisin à celui de Tom Fischer : Birchwil. Les villes et villages suisses sont alors tous équipés de ce genre d’équipements dans la perspective d’une potentielle guerre nucléaire liée à l’affrontement plus ou moins chaud entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique. Parfaitement isolés de par leur épaisseur de béton, situés sous les bâtiments publics comme les écoles et les mairies, ils sont parfaits pour des groupes bruyants souhaitant jouer fort. Celui de Birchwil est loué pour une somme modique et va devenir le Grave Hill Bunker. Le nom est tiré du trajet nécessaire à Ton Fischer pour s’y rendre à travers la forêt, sur un petit sentier montant jusqu’au village de Birchwil. Il restera le nom du lieu de répétition de tous les projets de Tom Fischer jusqu’à ce jour, le bâtiment et son bunker initial ayant été rasé il y a une petite dizaine d’années.

Hellhammer | TheAudioDB.com

Des cassettes mythiques et un mini-album définitif

Hellhammer capte deux premières démos au Grave Hill Bunker nommées Death Fiend et Triumph Of Death. Les enregistrements datent du 10 et 11 juin 1983. On y trouve que des titres originaux enregistrés dans le plus strict dénuement technique. Cela n’empêche pas Hellhammer de les commercialiser, avec des pochettes inquiétantes et glauques : un logo dégoulinant, des références à la mort et à Satan. En vérité, le son n’est pas si mauvais. Tous les instruments sont audibles, même le côté amateur de la prise de son ne semble pas atténuer la violence de la musique. Ces deux bandes vont devenir des Tables de la Loi pour le black-metal norvégien pionnier, qui voit dans cette violence brute et saisie sans aucun fard la quintessence de l’esprit.

Sur la troisième bande nommée Satanic Rites et captée entre le 2 et le 4 décembre 1983, la formation de Hellhammer a bougé. Tom Warrior en est devenu le chanteur en plus du guitariste. Bruce Day en est toujours le batteur. Steve Warrior a par contre été écarté pour Martin Eric Ain, un jeune garçon encore mineur aux idées puissantes, et qui va devenir l’alter-ego magique de Fischer. Il n’a que seize ans.

A force de s’acharner, Noise Records finit par repérer Hellhammer. Le label est allemand et a vu le jour à Berlin en 1983. Il signe alors ses premiers groupes. Parmi eux, on trouve Running Wild, Grave Digger, et bientôt Kreator. Hellhammer est leur première signature de heavy-metal extrême. En à peine plus d’un an, le trio s’est forgé une aura et une imagerie totalement unique, faite de photos en noir et blanc signées Martin Kyburz. Les musiciens posent avec des armes blanches, des tenues noires ornementées de ceintures de cartouchières et de bracelets de force cloutés. Ain et Fischer se griment toujours le visage afin de se donner un air cadavérique. Les poses sont volontairement outrancièrement agressives, dans leur local de répétition ou dehors dans la neige, annonçant les futures poses mythiques du black-metal norvégien de la décennie suivante. Fischer dessine le logo et la future pochette. Lui et Ain trouvent également leur slogan-clé : Only Death Is Real. Hellhammer est un groupe nihiliste et macabre, mais contrairement à Venom ou d’autres formations proto-thrash comme Destruction, rien ne semble feint chez eux.

Du 2 au 7 mars 1984, le trio grave six morceaux, dont quatre sont publiés le même mois sous le nom de « Apocalyptic Raids ». Les deux titres oubliés verront le jour en 1990, faisant de « Apocalyptic Raids » un mini-album de vingt-sept minutes. La qualité sonore est évidemment bien meilleure que celle des trois premières cassettes. La rigueur musicale a également progressé, et Hellhammer délivre un heavy-metal speed et thrash d’une brutalité et d’une noirceur jamais entendue jusque-là. Les riffs de guitare sont distordus au possible, graves, grondant et gargouillant comme une bête enragée. Le chant est l’avenant, et il est lui aussi novateur. Tom Fischer produit une voix gutturale, à la fois rugissante et grognante comme un démon. Bruce Day utilise énormément la double grosse caisse, inspiré par celle de Phil Taylor dans Motörhead. Martin Ain apporte une basse profonde, aux lignes amples, qui seconde à merveille la guitare infernale de Fischer.

 

Les structures des morceaux sont basées sur des architectures de riffs simples, inspirés du punk. Les solos sont inexistants, chose impossible à l’époque dorée des shredders du heavy-metal américain et anglais. Cela n’empêche pas la construction de titres au long cours comme Triumph Of Death et ses presque dix minutes entre incantation sépulcrale et riffs proto-doom-metal. Fischer joue également beaucoup avec les larsens contrôlés, créant une atmosphère saisissante. Il développe aussi en début de ce morceau un chant particulier, fait de plaintes, de grognements et de cris d’agonie, et qui préfigure bien des albums à venir de death-metal et de black-metal, mais aussi de bien d’autres sous-genres métalliques plus ou moins symphoniques et théâtralisés.

Le gel celtique

Dès l’enregistrement du EP terminé, Fischer et Ain se sentent frustrés. L’écoute des bandes révèlent qu’ils sont arrivés au bout d’un premier voyage intellectuel et sonore absolument radical. Fischer a accompli sa prophétie du 3 février 1984. Ce jour-là, lui, les Hellhammer et la petite bande de copains qui gravitent autour d’eux se rendent pour voir pour la première fois sur scène les grands Venom à Zurich. Le show est gargantuesque, plein de pyrotechnie et de symboles sataniques outranciers. Les Venom déçoivent cependant la petite équipe, Fischer en premier. Ils ne semblent pas possédés comme toutes leurs déclarations passées pouvaient le laisser penser. Ils sont en fait et avant tout des amuseurs. Ils assurent un spectacle certes réussi, mais leur satanisme n’est qu’un moyen de se faire remarquer. Dès lors, toutes leurs musiques et surtout leurs textes sonnent comme creux. Le trio donne ensuite une conférence de presse, et les Hellhammer y assistent. Fischer prend alors à partie le bassiste-chanteur Cronos. Il lui dit avec une grande franchise ce qu’il a sur le coeur : Venom n’est qu’un groupe de rigolos qui trompe ses fans, mais lui et son groupe Hellhammer vont publier un disque réellement imbibé de cette âme morbide. Et Venom sera alors balayé vers la sortie. Cronos, pris de cours, accuse le coup avant de ricaner nerveusement et de répondre qu’il verra bien ce que vaut ce disque. Un mois plus tard, « Apocalyptic Raids » sort et envoie Venom au tapis. Curieusement, le trio de Newcastle sortira l’excellent « Possessed » en 1985, doté de morceaux d’une violence inouïe, speed, avec un son sale, mais qui n’aura pas totalement la stature de l’âme infernale de Hellhammer.

CELTIC FROST : DANSE MACABRE - Metal Obs' Magazine

Au printemps 1984, Tom Fischer et Martin Ain décident de faire évoluer leur concept. Le concept proto-Venom de Hellhammer est désormais dépassé. Il faut passer à une musique plus riche, plus construite, laissant libre cours aux visions des deux hommes. Afin de convaincre Noise de les suivre, ils décident d’écrire une lettre explicitant leur vision qui se décline comme suit.

Le nouveau groupe, toujours un trio, s’appellera Celtic Frost, un nom plus en adéquation avec leur vision nocturne et hivernale. Deux mini-albums serviront de bases de lancement, préparant à un premier album définitif nommé « To Mega Therion » qui sera illustré par une œuvre de H.R. Giger, peintre suisse à qui l’on doit notamment le dessin du monstre des films de « Alien », mais aussi dès 1973 celui de la pochette de l’album « Brain Salad Surgery » du groupe Emerson Lake And Palmer. Fischer a noué des liens amicaux avec Giger, et le premier vrai album de Celtic Frost sera donc illustré par ce dernier. Le disque suivant se nommera « Into The Pandemonium » et sera illustré par la vision de l’Enfer du peintre flamand Hieronymus Bosch. Le troisième volume sera définitif et se nommera « Necronomicon », inspiré de l’oeuvre de H.P. Lovcraft. Impressionné par une telle conviction, Noise signe Celtic Frost.

Le trio désormais complété par Stephen Priestly à la batterie enregistre le EP « Morbid Tales » en octobre 1984. C’est une nouvelle déflagration sonore et intellectuelle. Le disque reprend en rouge le logo créé par Fischer pour Hellhammer, surmonté de ce nom énigmatique. Il est composé de six morceaux redoutables, dotés d’un groove nouveau, à la fois plus souple et plus impressionnant. Il fusionnera bientôt avec le second EP, « Emperor’s Return », enregistré à peu près à la même époque, mais publié le 15 août 1985. Priestly, venu en dépannage sera cependant rapidement remplacé par un batteur stable. Il sera américain et se nommera Reed St. Mark. Plutôt looké à l’américaine, l’animal semble plutôt destiné aux ballades glam-metal. Mais dès que ses baguettes se poseront sur ses caisses pour Celtic Frost, il va instantanément devenir la vraie pulsation du groupe. Il a la furie et l’instinct en lui, et il devient instantanément le vrai troisième membre de Celtic Frost, réussissant par miracle à se placer dans la fusion intellectuelle de Fischer et Ain.
Lorsque « To Mega Therion » sort avec sa pochette signée H.R. Giger le 27 octobre 1985, Celtic Frost s’impose sur tous les plans. Il a effectivement respecté ses engagements dans le courrier à Noise, à la lettre près. Malgré l’apparition de tempêtes sonores remarquables comme Metallica, Slayer, ou Anthrax, Celtic Frost reste un groupe unique et à l’avant-garde du nouveau heavy-metal extrême, aux avant-postes de la férocité sonore. « To Mega Therion » devient l’un des albums charnières de la scène, emmenant clairement le genre vers le death-metal et le black-metal.

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Celtic Frost va poursuivre sa prophétie jusqu’au disque suivant, qui sera un nouveau chef d’oeuvre : « Into The Pandemonium » en 1987. Sur ce nouvel album, le trio défriche des kilomètre-carrés de sous-genres Metal, du doom plaintif au speed-metal symphonique. Le travail de composition et de construction de Fischer, Ain et St. Mark est une véritable prouesse. Même leur reprise de Mexican Radio du groupe electro-pop-dark Wall Of Voodoo est fascinante. Les glapissements infernaux de Fischer rendent la chose plus puissante et possédée. Ce second vrai album de Celtic Frost est une véritable mine d’or créative. Il est de notoriété historique que chaque morceau de cet album a été à l’origine d’un genre Metal ou d’un groupe. Mais aucun n’a su distiller avec autant de maestria un venin aussi particulier que celui de Celtic Frost.

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L’imprévisible déchéance

Doté de deux albums d’une puissance artistique hors du commun, le petit combo suisse est devenu via la presse heavy-metal international une sorte de légende montante. Celtic Frost sort rapidement de son petit circuit suisse et ses environs pour des concerts vers le mirage anglo-saxon. La Grande-Bretagne puis les Etats-Unis sont visités, avec le guitariste Ron Marks en complément scénique. Celtic Frost commence à s’assurer une position de pionnier-inventeur génial qui bouscule quelque peu la production anglo-saxonne. Mais à la sortie de la tournée américaine de 1987, rien ne semble émerger en terme de décollage commercial, car Noise ne semble pas s’intéresser plus que cela à la promotion de Celtic Frost, à la musique moins évidente que celle du speed-metal germain de l’époque, comme celui de Helloween.

Entre-temps, Tom vole la compagne en date à son ami Martin Eric Ain. Elle s’appelle Michelle Villanueva. C’est une splendide brune aux cheveux longs et aux formes sculpturales. On va éviter ici le parallèle avec Yoko Ono mettant fin à la carrière des Beatles. Cependant, la jeune femme va bien engendrer la brutale fin de la fusion intellectuelle entre Fischer et Ain, pour de simples mais douloureuses raisons de trahison amicale et de séparation amoureuse.
Désormais dépourvu de l’essentiel Martin Eric Ain, le Frost se recompose avec des musiciens anciens et nouveaux. Du côté des vétérans, on voit revenir Stephen Priestly, qui fut le batteur sur les deux premiers EPs historiques de Celtic Frost. Curt Victor Bryant prend la basse, et Oliver Amberg, ex-Coroner, s’occupe de la seconde guitare. Pour ce nouvel album, ce n’est pas moins que le grand Tony Platt qui s’occupe de la console, et qui a officié pour AC/DC, Samson, Trust mais aussi Bob Marley And The Wailers (« Catch A Fire » en 1973) et les Sparks (« Kimono My House » en 1974).

Electric Buffalo: CELTIC FROST 1988

L’album attendu mêle craintes et attentes. Il n’obtiendra que de la déception. Celtic Frost brise brutalement l’ascension artistique qui était la sienne depuis 1983 avec un album plus convenu, cherchant à séduire un plus large public. Il se nomme « Cold Lake ». Il rompt définitivement le pacte constitué par la lettre à Noise.
Conscient de son erreur, Fischer reprend rapidement en main musicalement Celtic Frost. Avec le même équipage que « Cold Lake », il propose « Vanity/Nemesis » en 1990. Le disque retrouve une bonne partie de l’esprit du Frost de l’époque de « Into The Pandemonium ». Elément supplémentaire qui est à mettre au crédit de ce quatrième véritable album : le retour de Martin Ain à la basse en toute fin de sessions d’enregistrement. Si sa participation est mineure, c’est bien toute la crédibilité de Celtic Frost qui est de retour. Cela ne suffira cependant pas à relancer durablement la carrière du groupe. Il est dépassé en noirceur et en violence par le thrash-metal et le death-metal américain, ainsi que par les débuts du black-metal norvégien. Celtic Frost passe ainsi du statut de précurseur génial à groupe has-been en deux petites années, la faute à un faux-pas musical qui aura brisé son ascension.
Fischer et Ain décident de mettre fin au groupe après des années de galère, et partent chacun dans leurs directions. Chez Ain, la musique va devenir secondaire. Il fait le choix d’ouvrir un bar musical, et rejoint professionnellement le monde de la nuit. Fischer poursuit dans la musique avec notamment Apollyon Sun, mais rien ne semble vraiment émerger de ses projets musicaux, comme si, pour la première fois, il semblait perdu.

Le retour de la bête

Tom Fischer et Martin Ain ne se perdront jamais vraiment de vue. Au milieu des années 2000, le bassiste montre son envie de refaire sérieusement de la musique, et il ne le conçoit pas autrement qu’avec Celtic Frost. Le guitariste se montre un peu réticent au départ. Pour lui, le Frost est de l’histoire ancienne et la page est tournée. Deux arguments vont cependant jouer dans la balance. D’abord, un nouveau public international a découvert le groupe et ses disques grâce à internet, et la réputation de Celtic Frost est littéralement celle d’un groupe culte. Ensuite, l’histoire de la formation s’est terminée sur un constat d’échec, un peu misérablement, alors que les deux hommes y avaient mis une passion qui les amena à des sommets artistiques hors-normes. Une reformation serait l’occasion de rétablir le statut de Celtic Frost.

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Un album est publié en 2006 : « Monotheist ». Si le son a évolué par rapport aux années 1980, il est un incontestable chef d’oeuvre. La musique est une sorte de doom-metal de platine et d’ébène, à la densité flamboyante. Celtic Frost part en tournée dans la foulée, et découvre qu’il est littéralement révéré partout où il passe. Fischer et Ain découvre des fans avec des pochettes du groupe tatouées sur le dos ou sur les bras. C’est un grand moment, qui fera l’objet d’un documentaire nommé « A Dying God ». Il est aussi le point final de la reformation, Ain et Fischer n’étant pas d’accord sur la suite des évènements : le premier veut ralentir le rythme des tournées pour conserver du temps à ses autres activités, Fischer veut pleinement relancer la machine et profiter des vents favorables pour enfin asseoir Celtic Frost parmi les grands groupes de heavy-metal. La séparation sera officialisée le 9 avril 2008 par un communiqué douloureux. Le groupe aura néanmoins réussi à clore son histoire sur un sommet artistique et public.

La page de Celtic Frost définitivement tournée ?

Une fois la séparation actée, Fischer se lance dans son plus gros projet après Hellhammer et Celtic Frost : Triptykon. Groupe totalement nouveau, il poursuit l’esprit des deux premiers ensembles avec une musique nouvelle. L’ami H.R. Giger apporte sa patte artistique aux pochettes de « Eparista Daimones » en 2010 et « Melana Chasmata » en 2014. En plus de leurs qualités musicales indéniables qui le remettent sur le devant de la scène, Tom Fischer devient avec son groupe l’unique détenteur de l’esprit Celtic Frost. Cela permet à Triptykon de tourner abondamment.
La mort, qui est toujours bien réelle, vient ensuite frapper à la porte du guitariste. Le 21 octobre 2017, Martin Eric Ain meurt brutalement d’une crise cardiaque à seulement cinquante ans. Fischer accuse sérieusement le coup. Son frère d’âme vient de s’éteindre, et c’est une partie de lui-même qui vient de partir. La sincérité touchante ne va pas uniquement se traduire en mots, mais aussi en actes et en musique. Le premier sera la finalisation d’un requiem destiné à Celtic Frost, débuté à l’époque de « Into The Pandemonium », et qui fut remis sur le métier à plusieurs reprises par les deux hommes. Etait-il la base du troisième album amené à s’appeler « Necronomicon » ? Il sera finalisé par Fischer, et fera l’objet d’une interprétation en direct au Roadburn Festival lors de son édition 2019 par Triptykon accompagné du Metropole Orkest, ainsi que d’une sortie physique en 2020 sous le nom de « Requiem » en plein coeur du premier confinement covidien.

Parallèlement à Triptykon, Fischer décida de fonder un nouveau groupe nommé Triumph Of Death. Là encore, tout a une logique chez lui. Si Triptykon est la poursuite de ses recherches musicales, Triumph Of Death se veut un hommage à son œuvre passée, comme pour fermer une nouvelle boucle créative. Il était tout simplement impossible moralement de remonter un Celtic Frost. Cela aurait été une insulte pour l’esprit du groupe et celui de Martin Eric Ain, cette formation étant l’intime fusion des âmes de ce dernier et de Fischer.

Il y avait une autre option : Hellhammer. Bien évidemment, repartir sur la route sans Steve Warrior, Stephen Priestly ou Bruce Day aurait été aussi une trahison, sans parler de Ain, qui enregistra le mythique EP « Apocalyptic Raids », et avec qui fut évoqué la résurrection du trio originel peu de temps avant sa mort. Cependant, en termes de boucle artistique, un point travaillait Fischer : Hellhammer n’aura jamais les honneurs de la scène. Le trio répéta longuement au Grave Hill Bunker, mais n’eut jamais l’opportunité d’une tournée, même ne serait-ce que quelques concerts dans un club. Il faudra attendre Celtic Frost pour cela. Fischer trouva donc intéressant de lancer un groupe capable de jouer la musique de Hellhammer sur scène afin de ranimer cette musique culte mais qui n’eut jamais la possibilité d’être joué devant un public. Triumph Of Death aura ce rôle.
Dans cet objectif, Fischer assemble un quatuor portant le nom de la seconde démo de Hellhammer. Alessendro Comerio à la batterie, Michael Zech à la guitare, et Mia Wallace à la basse constitue le premier Triumph Of Death avant son remaniement vers 2019. Zech est remplacé par André Mathieu, Wallace par Jamie Lee « Slaughterwytch » Cussigh, et Comerio en 2021 par Tim Iso Wey.
Depuis Triptykon, Fischer apprécie les bassistes féminines, dont le jeu est à chaque fois impressionnant de précision et de brutalité. Jamie Lee Cussigh ne fait pas exception. Panthère de cuir noir ondulant sous les spots les mâchoires serrées, sa basse Rickenbacker gronde comme celle d’un Lemmy Kilmister appréciant Cronos de Venom. Iso Wey impulse un tempo précis et puissant,et André Mathieu équarrit du riff sanguinaire avec une volonté maniaque. Tom Fischer n’a plus qu’à poser sa voix grondante et ses chorus infernaux et noirs sur ce béton musical.

Un album live inespéré

Le principe de Triumph Of Death était avant tout de satisfaire les fans de la musique des années 1980 de Tom Warrior Fischer avec des concerts réguliers mais choisis. Triptykon demeure la bête permettant les évolutions musicales nouvelles, même si un pas de côté, entre nouveauté et histoire, fut fait avec le « Requiem ». Triumph Of Death a été conçu pour le heavy-metal brutal, et la scène reste son plus bel espace d’expression. Pendant cinq ans, le quatuor n’évoluera que dans ce cadre. Il fallut d’abord stabilisé le nouvel ensemble, et l’éprouver sur scène plusieurs mois, en fait près de deux ans. Est-ce que cela était nécessaire ? Connaissant l’homme, Fischer ne laisse rien au hasard. Et vu le résultat, il a indiscutablement raison. Car « Resurrection Of The Flesh » est un disque démoniaque et fervent à plusieurs égards.

D’abord, il y a le maître, Tom Fischer, alias Tom Gabriel Warrior comme à la grande époque des démos de Hellhammer. Sa patte à la guitare n’a absolument pas changé. Elle s’est bonifiée en précision et en originalité, même si cela peut sembler être des subtilités d’amateur de heavy-metal doom noir. Il est doté d’un répondant à la guitare impressionnant, et s’attache à magnifier des démos encore juvéniles mais à la force musicale incontestable. Sa voix, patinée mais toujours redoutable, a même gagné en grain et en profondeur lyrique.
André Mathieu assure un travail de guitare rythmique impeccable, avec LE son qui convient parfaitement à la musique de Hellhammer. Tim Iso Wey est un batteur précis et puissant. Quant à Jamie Lee Cussigh, elle délivre la foudre sonore avec une basse à la fois virtuose et sauvage. Elle est la révélation artistique de cet album, d’autant plus qu’elle occupe le poste du regretté Martin Eric Ain. Tous trois ont compris l’esprit et la force glaçante de cette résurrection de la musique de Hellhammer.

Un nouveau chapitre sonore définitif

Ce set live est capté sur trois dates : Hell’s Heroes Festival à Houston au Texas, USA, le 23 mars 2023, le dark Easter Metal Meeting de Munich le 9 avril 2023, et au SWR Barroselas Festival à Barroselas au Portugal le 30 avril 2023. Triumph Of Death est l’une des têtes de ces affiches, ce qui lui permet de développer un set complet d’une heure, sur la base, rappelons-le, de trois démos et un EP culminant à six titres.

Le disque est conçu comme toutes les rééditions Noise de Hellhammer/Celtic Frost : un digipack avec un gros livret et le CD dans un bel étui, ou un double album vinyle dans un bel écrin. Tom Fischer a toujours voulu offrir la meilleure représentation sonore comme esthétique de son œuvre. Il a aussi toujours voulu que les vérités soient rétablies. Ainsi capotera sa collaboration avec Noise/BMG lors de la réédition des albums de Celtic Frost en 2019, Fischer se retirant du projet lors de la phase finale lorsqu’il découvrit que ses textes avaient été remaniés, notamment quand il évoquait ses déboires avec le label, et son manque de soutien financier pour que Celtic Frost décolle en Europe et aux Etats-Unis. Finalement, l’homme obtiendra gain de cause pour le superbe coffret « Danse Macabre » en 2022, où il put s’exprimer comme il le souhaitait dans le livret.

TRIUMPH OF DEATH - Resurrection Of The Flesh 2LP w/booklet – Duplicate Records

Fischer bénéficiera aussi d’un certain avantage : celui d’être désormais signé au sein d’une major, BMG, aux capacités de promotion bien plus importantes que le petit label Noise à ses débuts. C’est sans doute ce qui l’a en partie convaincu de sortir ce live, qui allait bénéficier d’une publicité solide, et d’une réalisation à la hauteur de ses ambitions. Comme pour les rééditions de Hellhammer et Celtic Frost, « Resurrection Of The Flesh » bénéficie d’un beau livret de photos, prises sur scène lors des dates de 2023. La prise de son est elle aussi grandiose, tout comme l’interprétation. La musique de Hellhammer est réinventée, on lui découvre une nouvelle ampleur.

Ce sont pourtant bien les titres mythiques du trio séminal qui sont joués, avec seulement d’infimes réarrangements qui sont surtout dus à la solidité musicale des quatre membres de Triumph Of Death. Tom Gabriel Fischer n’est bien sûr plus le jeune garçon tâtonnant encore avec sa guitare, et son jeu s’est considérablement enrichi en quarante ans, bien qu’il retrouve sans faillir l’interprétation de ses morceaux mythiques. Il est parfaitement secondé par trois jeunes gens entièrement dévoués à la cause, et le résultat est explosif. Jeune sexagénaire, Tom Fischer dispose d’un timbre équivalent à celui de « Apocalyptic Raids » ou des deux premiers EPs de Celtic Frost, une petite touche plus rauque en plus. Sa voix n’a pas perdu un pouce d’expressivité obscure.

Les titres qui bénéficient de cette nouvelle interprétation sont indiscutablement ceux des trois démos de 1983. Si ils perdent leur patine sauvage liée à la folie de la jeunesse et ce côté sale qui a tant inspiré le black-metal de Darkthrone ou Mayhem, on découvre ou redécouvre des chansons d’une qualité de composition impressionnante pour d’aussi jeunes musiciens à l’époque. Maniac, Crucifixion, Reaper, Messiah, Revelations Of Doom ou Triumph Of Death sont littéralement propulsés dans une nouvelle dimension qui les modernise sans leur faire perdre la moindre once de leur âme d’origine. « Apocalyptic Raids» est évidemment le nerf du set, puisqu’il est le seul vrai disque de Hellhammer, par ailleurs réédité, contrairement aux démos. elles devront attendre le travail de remasterisation de Tom Fischer en 2008 et la double compilation nommée « Demon Entrails » qui réunit l’ensemble des bandes avec une pochette dessinée par le guitariste dans l’esprit de « Apocalyptic Raids ».

En fin de set, Triumph Of Death offre une version redoutable de Visions Of Mortality, un des premiers titres de Celtic Frost capté à l’automne 1984, et qui fut composé lors des derniers mois d’existence de Hellhammer. Triumph Of Death, le morceau-titre du nouvel ensemble, le morceau-fleuve de Hellhammer, est lancé en fin de set pour treize minutes de terreur heavy-metal entre death, black et doom-metal. Il est incontestablement précurseur de beaucoup de choses dès sa publication confidentielle en 1983. Cette interprétation possédée, longuement travaillée en répétition, dispense une impression de terreur glaciale. Jamais un musicien n’a été aussi possédé par son art que Thomas Gabriel Fischer, et plus encore lorsqu’il était secondé par Martin Eric Ain. Mais la bête, même seule, est capable de provoquer des vibrations tectoniques. Ce véritable cauchemar mis en musique va venir à bout de fans pourtant rompus à l’exercice de la magie noire de Fischer et de son univers. Les applaudissements sont aussi fervents que recueillis. Le maître a fait revivre le monstre mythique Hellhammer en compagnie de ces trois suppôts de choix.
Thomas Gabriel Fischer osera-t-il faire revivre la musique de Celtic Frost de cette même manière, en live ? Fera-t-il enfin la paix avec l’album « Cold Lake » en lui donnant une seconde chance après une remasterisation dont il a le talent ? L’homme est un mystère, mais toutes ses décisions ont une logique à la précision d’horloge suisse. Alors que le temps défile, des mécanismes peuvent encore s’enclencher. Et seul Tom Fischer en a la clé.

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