Avant la sortie d’un nouvel album à l’automne, Crépuscule, qui promet un virage italo plus dansant, l’occasion était trop belle de revoir Laura Krieg en concert à la Waiting Room et de constater avec elle que si « je ne sais pas » était ce qu’elle répondait le plus souvent en interview, ses « je ne sais pas » valaient tous les storytelling. Si Laura Krieg sait qu’elle ne sait pas tout, elle semble savoir où elle va.

Ici Londres. Stoke Newington plus exactement, le deep London en mutation à l’extrême nord de la Tamise. Laura Krieg nous a donné rendez-vous au Three Crowns, le pub anglais pur jus du club où elle se produit le soir même en sous-sol. La veille à Francfort, le lendemain à Berlin. Deux mois plus tôt à Paris au Sample à Bagnolet lors d’une soirée Pas vu, pas pris, elle avait fait un tabac, toute seule sur scène avec sa guitare, ses pédales et ses machines. Pas trop dépaysée en Europe, elle y a grandi, près d’Alicante sur la Costa Blanca, c’est à Montréal où elle réside depuis 10 ans qu’elle a branché sa gratte pour ses deux premiers disques Recherche spatiale et Vie magique. Une énergie froide et synthétique, des guitares au scalpel, une voix tranchante. Sur sa page Bandcamp on peut lire en résumé :

Laura Krieg est un moyen d’auto-défense géocritique.
Une vague froide de pop brutaliste.
une boîte à rythmes
un micro
et des paillettes argent.

Pour le reste, ça se passe ci-dessous avec une interview sans langue de bois tournée dans la poche de la veste en cuir.

Salut Laura. C’est la première fois que tu viens à Londres. Tes impressions à chaud ? 

J’ai un peu fait ma touriste en arrivant. J’ai vu les trucs à voir. Les villes européennes se ressemblent un peu. L’énergie, le monde. Plus de stress qu’à Montréal.

Comment as-tu atterri au Canada ? 

J’y avais passé 5 mois en 2013, j’accompagnais quelqu’un et j’avais adoré la ville. Je finissais mes études de communication et de littérature comparée à Barcelone.

Tu travaillais sur quoi ? 

Sur Robert Johnson, mais je n’avais pas vraiment de plan. Je voulais écrire sur la musique, à part ça je n’étais pas vraiment fixée. Quand j’ai fait ma présentation finale de maîtrise, un prof m’a dit :  «Pourquoi tu ne fais pas de la musique, toi ?» Je ne sais pas si c’était très flatteur pour mon travail universitaire, mais ça m’est resté, et au final c’était évident.

Il te fallait un déclic.

Quand je suis arrivée à Montréal en 2015 j’ai acheté une guitare, j’ai commencé à jouer chez moi toute seule. J’écoutais les Rolling Stones en boucle. Je voulais faire du blues au départ. Et puis j’ai commencé à traîner avec des gens de la scène underground, des gens qui mélangent musique électronique et cold wave, ça m’a tout de suite attirée cette liberté de faire ce qu’on veut avec des synthés sans nécessairement avoir une grande technique. J’ai beaucoup été influencée par un groupe qui s’appelle Pharmakon, ce mélange de distorsion et d’indus. Je testais des trucs dans mon coin avec GarageBand. Mais ça ne donnait pas grand chose.

« Les ingénieurs du son peuvent parfois être un peu méprisants. Peut-être, surtout, avec les filles… peut-être pas. Peut-être particulièrement en France ».

Puis tu rencontres Johnny Couteau. 

Oui, il m’a pas mal aidé au début. J‘ai commencé à jouer de la guitare dans son projet en 2015 tout en continuant à faire mes trucs de mon côté. Je suis partie en tournée avec lui en 2018 en Europe, je faisais sa première partie et je jouais en même temps avec lui, c’était mes premiers concerts. Le premier show était à Paris au Chinois lors d’une soirée Teenage Menopause. Pendant mon live, d’un coup je vois l’ingé son et un ami en train de se battre. J’ai lâché ma guitare en plein concert, les mecs de la sécurité les avaient sortis de la salle. Mon pote était allé voir le type pour lui demander de monter le son et l’ingé son lui avait répondu qu’il n’y avait pas besoin de mettre plus fort pour un truc aussi amateur.

Et ça a mal tourné… 

C’est drôle à raconter aujourd’hui mais sur le moment ça l’était pas vraiment. Premier concert de la tournée… Le même soir, Charlène Darling qui était là nous a proposé de jouer avec elle, et on a finalement terminé la tournée sur une bonne note en jouant à Paris, à l’Armony à Montreuil.

L’histoire se termine bien finalement.

Les ingénieurs du son peuvent parfois être un peu méprisants. Peut-être, surtout, avec les filles… peut-être pas. Peut-être particulièrement en France, aha ! Au concert au Chinois le mec était venu toucher à mes pédales avant le concert, c’était un peu bizarre on va dire.

Tu as l’air de beaucoup fonctionner avec les images. Qu’est-ce qui t’influence pour composer ? 

Malaria ! C’est un groupe qui m’a beaucoup influencé. Le son des années 80, minimal, punk. Le cinéma aussi beaucoup. Des scènes de films, ça me parle. Il y a le début d’un film de Volker Schlöndorff, Baal, interprété par Rainer Werner Fassbinder. Un personnage marche dans un champ en fumant une clope. J’ai des plans de films de Wim Wenders qui me viennent aussi. Comment ne pas penser à Paris Texas, Invasion of the Body Snatchers, The Rocky Horror Picture Show, Alien, Hiroshima mon amour… les exemples ne manquent pas.

On te classe souvent dans la dark-wave. Qu’est-ce que ça t’inspire ? 

Je ne trouve pas ça très subtil en fait. Il y a des choses dark dans ce que je fais, okay, mais il y a aussi des choses plus lumineuses. Je mélange différents styles, du noise, de la cold, de l’italo disco. Je n’arrive pas à définir ma musique.

Pourquoi ne chantes-tu pas plus en espagnol ?  

J’ai fait un morceau en espagnol, mais je trouve ça difficile de chanter dans ma langue natale. J’essaie de chanter en français parce que j’aime beaucoup la langue et je trouve ça plus original. C’est peut-être plus facile de chanter dans une langue qui n’est pas la tienne, il y a quelque chose de plus mystérieux de chanter dans une langue qui n’est pas celle que tu as apprise à l’école. J’avais un copain Français, puis à Montréal, c’est comme ça que j’ai appris.

Il y a quelque chose de très urbain dans ta musique. Pourtant tu as grandi à la campagne.

Oui près d’Alicante et je m’ennuyais beaucoup. J’aime beaucoup la ville. Je trouve ça beau. Marcher la nuit dans la ville quand il n’y a personne. Je ne sais pas. Il y a quelque chose de l’ordre de la science-fiction. La campagne, c’est beau aussi, mais il y a trop de silence. J’ai besoin du bruit de la ville pour me sentir chez moi.

Faut-il être mélancolique pour faire de bons morceaux ? 

J’aime beaucoup la mélancolie. Ce n’est pas nécessaire, la rage est une émotion qui fonctionne aussi très bien dans la musique, mais je trouve que c’est beau la mélancolie. Je comprends pas trop les gens qui ne le sont pas, c’est comme si la personne n’était pas tout à fait complète. Savoir la garder comme une amie, ne pas être écrasé par ça mais en faire quelque chose de moteur, l’accepter, je ne sais pas… il y a des journées moins amusantes que d’autres, mais se dire que c’est cool quand même. J’avais lu un truc de Julia Kristeva : Soleil noir (qui est également le titre de l’un des morceaux de son nouvel album, Ndr). Transcender sa mélancolie, en faire quelque chose, ça me parle beaucoup.

« Faire de la musique, c’est sûr que ce n’est pas juste faire un job où tu es payé directement. C’est un investissement qui ne donne pas de résultats immédiats, tu peux travailler sur une chanson pendant des mois et puis finalement ça ne donne rien. »

Faire de la musique est-ce une manière d’échapper au monde du travail ?

C’est du travail aussi, une autre forme de travail qui requiert une certaine rigueur, tu as tes propres horaires, tes propres règles, ce n’est pas forcément facile. Mais c’est sûr que ce n’est pas juste faire un job où tu es payé directement. C’est un investissement qui ne donne pas de résultats immédiats, tu peux travailler sur une chanson pendant des mois et puis finalement ça ne donne rien ou alors tu finis par tout changer, mais après le truc va rester, peut-être pas pour toujours, mais au moins pour un temps. Ça aussi c’est beau.

Quand je suis tombé sur ton morceau Fin du travail, vie magique, ça m’a fait penser à un slogan situationniste. Guy Debord, ça te parle ?  

Oui mais je ne connais pas assez. Je lisais Maintenant du comité invisible, il y avait une photo d’un graffiti où c’était marqué “Fin du travail, vie magique”, je savais pas quoi chanter, j’avais pas d’idée, j’ai ouvert le livre et j’ai vu ça et je me suis dit voilà je vais chanter ça.

N’ayons pas peur de le dire : les artistes sont des voleurs.

Aha ! Oui, sans doute. En tout cas ça m’a aidé à écrire ma chanson. Il y a plein d’autres choses à faire dans la vie que de travailler. Travailler à des choses qui ont du sens, je trouve ça plus intéressant que le travail salarié. C’est compliqué parce qu’on vit dans une époque horrible où c’est difficile pour la majorité des gens de payer un loyer, de se nourrir. Il y a une espèce de publicité constante sur ce qu’est la vie, comment on est censé être heureux en travaillant et en consommant, alors qu’en fait tout ça c’est une espèce de mythologie : devoir travailler pour avoir ça, puis pour avoir autre chose et encore autre chose. La réalité c’est la misère économique, culturelle, c’est l’horreur.

Est-ce que tu connais la date de la fin du monde ? Qu’on puisse s’organiser…

Je pense qu’il y a des gens qui travaillent pour que ce ne soit pas demain matin. Mais c’est pas possible de continuer à vivre comme ça, de consommer toutes nos ressources, tout le monde le sait.

Tu penses que tu vas faire de la musique toute ta vie ? 

Je ne sais pas… J’ai pas de plan de carrière. Je me dis toujours “ok, on va voir ce qu’il se passe”. (Elle sourit). Tout ça m’amuse beaucoup. Ce que je suis sur scène, c’est moi et c’est pas moi en même temps. C’est une partie de moi j’imagine. On verra. Je vais essayer de tenir encore un an au moins. Je file, j’ai mon soundcheck pour ce soir.

https://laurakrieg.bandcamp.com/album/vie-magique

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