« Les gars sont ok pour une interview. Tu es sur la guest-list aussi ». Pas de rendez-vous précis et les autres e-mails sont restés sans réponse. Pas de numéro de téléphone non plus : let’s see ! Plus besoin d’emploi du temps : Gonzaï l’arrache.
The Underworld, une petite salle dans un quartier branché de Londres. Ouverture des portes à 19h00. La queue est déjà assez longue. Le vigile toise tout le monde du regard et recale les guests qui voudraient éviter l’attente. Certains s’énervent : « You have to wait, he said. Fuck him ! », d’autres se contentent de hausser les épaules. Il est 19h15 quand apparaissent devant moi les escaliers menant au sous-sol d’un énorme bar. Je demande au guichet si quelqu’un connaît Darren, le seul contact que j’aie avec le groupe. On me répond par la négative. Je descends. Rayon merchandising sur la droite. J’aperçois un barbu au crâne rasé qui est occupé à écouler les derniers T-shirts fille, taille XS, à l’effigie du groupe. Je me présente, bingo : c’est bien Darren. Il me dit de patienter, un des membres ne devrait pas tarder à venir voir se qu’il se passe au stand.
Jeremy Galindo, le guitariste, vient à ma rencontre quelques minutes plus tard : « On va faire ça maintenant, en backstage. Suis moi. » Nous tombons sur un autre vigile qui refuse de me laisser passer parce que je n’ai pas de pass. « Il est avec nous ». Je découvre alors les loges, étouffantes et glauques. Alex Bhore, le batteur, me salue puis m’offre une bière que j’accepte avec plaisir. Chris King, le second guitariste, est introuvable. « Sûrement au bar. » affirme Jeremy. Donovan Jones, bassiste/claviériste, nous rejoint et s’installe sur un canapé bleu cradingue, entre ses deux partenaires. Ils ont tous des cernes profondément creusés mais restent souriants. Pendant ce temps, Eaststrikewest, une des premières parties, commence à jouer.
Lorsqu’on jette un coup d’œil à votre tournée européenne, on remarque que vous n’avez aucun concert programmé en France. C’est volontaire ?
Alex Bhore (A.B.) : Non. Nous venons d’assurer quelques premières parties sur la dernière tournée de Deftones, et nous avons dû repousser nos dates françaises, à Paris et Lyon je crois. Nous jouerons en France l’année prochaine.
La sortie de votre prochain album, Tunnel Blanket, est prévue pour le printemps prochain. Allez-vous privilégier vos nouvelles compositions ce soir ?
Jeremy Galindo (J.G.) : Oui, mais pas seulement les morceaux de Tunnel Blanket. Nous allons également jouer les chansons de l’EP que nous venons de sortir : Moving On The Edges Of Things. Mais le premier album (sorti en 2008, NDR) sera également joué. Okay on a des morceaux assez longs mais finalement pas tant que ça, donc nous allons jouer nos compos plus anciennes aussi.
D’ailleurs l’EP Moving On The Edges Of Things ne contient que deux titres. Pourquoi les avoir séparés de l’album ?
A.B. : Disons que Tunnel Blanket sera un album plus sombre et plus travaillé que ce que nous avons enregistré auparavant. Nous avons pris plus du temps, et puis le line-up a changé au début de cette année (Andrew Miller, batteur, a quitté le groupe) et cela a affecté notre rythme de travail. Enfin leur rythme de travail, car c’est moi qui ai remplacé Andrew. Sortir un EP avant l’album nous a permis de poser une première pierre tous ensemble, de nous relancer en tant que groupe avant d’aborder le plus gros du boulot.
Ce ne sera pas trop déroutant pour vos auditeurs habitués à votre son typé post rock, alors ?
J.G. : Cet EP est très différent de l’album car deux titres servent à poser un cadre, ce qui change de nos morceaux, d’ordinaire progressifs. Sur le site de Magic Bullet Records, notre label, on peut lire que cet EP constitue une rupture brutale dans notre discographie. Notre musique reste majoritairement progressive mais nous avions envie de travailler un autre type de son. Nous voulions aussi changer nos habitudes, ne pas être forcément là on où nous attend. Nous adorons toujours les déflagrations après un lent tempo mais ce n’est jamais intéressant lorsqu’on reste fixé sur un seul et même schéma. Ceci dit This Will Destroy You reste un groupe de rock instrumental qui aime les progressions au cours d’un morceau. Surtout en live.
A.B. : Moving On The Edges Of Things est plus orienté ambient music que rock, c’est vrai.
« Ambient », c’est exactement l’adjectif qui m’est venu à l’esprit à la première écoute. Ça sonne plus Boards of Canada que This Will Destroy You, non ?
A.B. : Il y a quelques ressemblances oui. C’est un groupe que nous affectionnons beaucoup, à vrai dire. Comme eux, nous cherchons maintenant à être très méticuleux sur la portée de notre son, à la manière de s’approprier un espace, comme une salle de concert par exemple. Outre Boards of Canada, nous avons beaucoup écouté Squarepusher, Autechre, de la musique classique et du jazz. Beaucoup de morceaux de percussions, et puis Stars of The Lid tourne assez souvent aussi.
Aucun autre groupe plus proche de vous ?
J.G. : Pas vraiment. La musique instrumentale nous touche dans tous les styles. Nous n’écoutons pas systématiquement du post rock. Nous ne nous sommes jamais dit « Tiens on va faire ce son-là ». Nous avons joué tout simplement ce qui correspondait le plus à ce que nous voulions exprimer sur scène.
Et les paroles ? Toujours pas au programme ?
J.G. : Non. C’est une manière de faire que nous ne maîtrisons pas. Nos tous premiers morceaux étaient destinés à être chantés mais nous avons choisi de devenir un groupe instrumental car nous n’arrivions pas à intégrer correctement des paroles sur nos compositions. Ça ne collait pas du tout. Du coup, nous sommes restés au rock instrumental.
Vous venez tous du Texas, une terre de rock assez traditionnel. L’exception notable étant Explosions In The Sky. Est-ce une région prompte à accueillir une nouvelle scène rock, plus ambitieuse ?
D.J. : Pour nous en tout cas c’est une région qui nous inspire, car bourrée d’endroits bizarres, contrastés, inégaux… Nous y vivons toujours.
J.G. : Les paysages aussi. Une grande partie de ce que nous composons est directement influencée par les paysages du Texas, immenses et sauvages. Nous cherchons souvent à retranscrire ce que l’on ressent face à cette nature si imposante dans nos morceaux. Et nous allons sûrement continuer.
Il sort de sa poche un petit tube en plastique orange, celui que l’on voit dans toutes les fictions américaines. J’essaie de lire l’étiquette mais elle est en grande partie masquée par sa main. Il éjecte la capsule, pioche deux cachets et les arrose de Carlsberg pour faciliter la déglutition. Une fois ma bière terminée, je les quitte pour aller voir Talons, la seconde première partie.
Deux violons, deux guitares, une basse et une batterie. Pas de chant. 30 minutes de post rock assez classique, avec une guitare un poil plus métal que d’habitude. Agréable. 20 minutes plus tard, This Will Destroy You s’accorde. Chris King est maintenant devant moi, guitare à la main. Jeremy Galindo s’assied avec sa Télécaster et restera dans cette position pendant tout le concert. Donovan Jones est au milieu, Alex Bhore juste derrière.
This Will Destroy You fonctionne toujours efficacement en live, comme le précisait Jeremy Galindo : le groupe reste dans son répertoire avec un son lourd et puissant jusqu’au rappel, où se jouera finalement le dernier EP. À 10h30, tout est déjà terminé. Lorsque je sors de la salle j’aperçois une feuille blanche scotchée devant le guichet, où les horaires de passage étaient indiqués. Foutu planning…