Dans la froide nuit de décembre, un message arrive sur mon écran et vient s’empiler au-dessus des autres. C’est BS qui semble s’exciter à l’autre bout du clavier. Le message a l’air d’importance, il s’étend sur onze lettres tapées en majuscules : THE SOFT MOON. BS transpire et, pris de convulsions, ne parvient pas à mieux décrire l’affaire qu’en écrivant frénétiquement « NEU VS FUCK BUTTONS » autant de fois qu’il le faudra pour m’enfoncer la barre de métal au fond du crâne. Sur la ligne d’arrivée du marathon 2010, la neige vient d’accoucher d’un grand disque.
Deux mois plus tard, alors que les palmarès de fin d’année l’ont écarté des podiums, ce même disque s’est pourtant imposé comme un baiser de la faucheuse, mode d’emploi noir et blanc contre les réveillons et toute tentative de bonheur simulé. Un subtil trompe-la-mort sans autre échappatoire que l’angoisse qu’il véhicule.
Au départ, je n’avais pas prêté d’importance à cet énième groupe américain « davantage transporté par les trains fantôme que par une virée en grand huit ». A force de se farcir des ritournelles au mascara inventées par des stagiaires en shoegaze, on finit toujours un peu par baisser les bras, se lasser des nouveautés et des préfixes en « Witch », « Black » ou « Holy » qui viennent décorer le nom de ces rockeurs qu’on oublie aussi vite que leurs dépressions post-coïtales. Et puis parfois, comme transporté par la rythmique d’introduction de Breathe the fire, on se prend à espérer à nouveau, respirer encore, comme si l’allumette pouvait encore prendre feu au fond du tunnel.
Ces temps-ci, on croise justement des dizaines de groupes pour qui le tunnel ne constitue qu’une porte exit. Une sortie de secours en d’autres termes, avec le besoin d’échapper aux turpitudes de la semaine de cinq jours avec du larsen et des regards sur les chaussettes, du malaise mal articulé dans des paroles vaguement cathartiques où le sombre héros se laisse aller à la surconsommation de Xanax, au shoegaze de Brooklyn, en n’oubliant pas de plier bagage le vendredi soir destination Deauville ou la pêche à la truite dans une province reculée. Le name-dropping, ici, n’a pas de sens, le mot « tunnel », lui, beaucoup plus. Peu importe qu’Interpol désespère de ne plus rentrer dans ses costumes Smalto, qu’Anton Newcombe échappe à ses procès de paternité en tutoyant la mort sur chaque accord ou que tous les autres soient incapables de défendre une ligne claire sur ce que doit être le rock des années neuves, tous fascinés par cette idée de la rédemption – du bout du tunnel donc – qui les habite en interview. Règle numéro un : ne jamais lire d’interview des shoegazers. Into the depths.
Le plus étonnant chez The Soft Moon, de ce point de vue, reste que l’auteur – Luis Vasquez, un Californien – n’ait aucune envie de s’extirper du souterrain, malaxant le rythme des boîtes synthétiques jusqu’à imprégner le BPM sur la rétine de l’auditeur. On pense en vrac aux Horrors de Faris Badwan, Suicide, la corde de basse tendue si chère à Joy Division ou Pylon, l’envie de dépecer tranquillement des corbeaux entendue chez These New Puritans ; les compositions de l’ami Vasquez s’enchainent à un rythme inhumain où bien heureux celui qui pourrait transcrire les notes de l’étrange continent entrevu depuis le ponton. Règle numéro deux : ne pas se pencher, vertige de l’amour, ne pas regarder en bas. Dead love.
Arrivé à ce stade de la réflexion, on aura compris que The Soft Moon n’est pas le genre de groupe à inviter au bal du mariage, encore moins aux réunions du lundi matin pour égayer les faciès. Disque de désolation autant que de guerre dans les tranchées, une armée de chansons rangées bien droites pour transcrire à leur façon – c’est à dire sans mots, un borborygme à la rigueur, en guise de soupir – l’étrangeté d’un monde que plus personne ne comprend autrement qu’avec un sourire figé. Ecouter Out of time, dans ces conditions, revient à se faire peur dans le noir avec la lampe torche, c’est l’effroi sans concession sur fond de batterie digitale avec le synthé qui s’enlise dans la vase, comme un retour primaire à l’état naturel et sans artifice. Règle numéro trois : face au danger, ne pas s’enfuir, vider le chargeur en priant qu’une balle touche sa cible. Sewer Sickness.
Premier album éponyme, The Soft Moon n’a logiquement pas de nom. Un disque cependant non dépourvu d’identité, qui dit tant de choses sur l’époque actuelle qu’il s’abstient de les souligner. Un rock d’une grande pudeur qui, en forçant la mise à nu, s’avère en tout point opposé à ses semblables : violent, froid, et surtout terriblement flippant. Superbe agencement de pierres tombales, un album géométrique surtout conseillé pour la délinquance urbaine, quand la nuit s’égaye au son des tôles froissées.
The Soft Moon // The Soft Moon // Captured Tracks
http://www.myspace.com/thesoftmoon
4 commentaires
Bones, présente sur le premier single, est un petit bijoux bien crasseux aussi.
bijou*
Ce mercredi 25 mai à l’International !
GOod review ;