S’il avait eu bonne presse en 2014, l’album solo de Damon Albarn (« Everyday Robots »), fait de quelques bruitages gadgets et de lignes de voie paresseuses, sonnait comme une coquille vide de mélodies, avec pour toile de fond le thème – déjà largement exploité par Graham Coxon – de la déshumanisation. Le songwriter semblait à cours d’inspiration, après avoir tout donné pendant plus de 10 ans pour Gorillaz, The Good the Bad and the Queen, Amadou et Mariam, l’opéra sinisant « Monkey, Journey To The West », l’excursion africaine « Mali Music » et tous ces projets lui ayant permis de s’affranchir du giron de Blur. En 2003, « Think Tank » refermait brillamment une décennie de succès pour le groupe, alors que Graham avait déjà pris la tangente pour s’enfermer dans sa chambre de nerd, autour de ses machines cassées et ses guitares cra-cra, et continuer en solo sa carrière de petit chimiste. Depuis, comme chacun le sait, Damon est devenu une superstar, un parrain de la pop, le genre d’artiste qu’on encense par principe avant même d’avoir entendu une note, alors que son ancien guitariste se complaisait dans la confidentialité de son œuvre personnelle.
Lorsque, en 2012, à l’occasion de la sortie de « A+E », son dernier album en date, on demandait à Coxon s’il pensait s’être fait un nom loin du sillage de Blur, il répondait, avec sa mine de Droopy : « Je ne sais pas. Je crois que les gens parlent encore de moi comme du guitariste de Blur. On dit toujours Graham Coxon, ouvrez les guillemets, le type de Blur, fermez les guillemets. C’est peut-être un peu moins le cas. Mais je pense que je serai toujours plus connu avec Blur, qui a eu beaucoup plus de succès que mes projets solo. Peu m’importe. Ce que je fais de mon côté ne s’adresse pas au monde entier et ne sera jamais méga populaire. Ça me va. »
Toujours avec la joie de vivre qui le caractérise, Graham avait aussi évoqué la pression autour du groupe, l’obligation de maintenir ce succès commercial, avec des tournées et des enregistrements « très intenses » dans les années 90. Tout en confessant : « Je devrais sans doute être plus reconnaissant. J’ai toujours été un ingrat au sein de Blur. Bien sûr, c’était fun. Mais peut-être un peu trop. Tu vois ce que je veux dire ? Ça me mettait la tête à l’envers. » Mais, sans doute parce que la folie des 90’s était loin derrière et que ses huit albums solo devaient avoir étanché sa soif d’individualisme, le guitariste avait alors laissé entrevoir, à demi-mots, l’hypothèse d’une reformation : « C’est étrange. Blur est devenu une sorte d’endroit pour se reposer. C’est un peu comme des vacances à la mer. Il n’y a plus de pression autour du groupe. »
En apprenant la sortie d’un nouvel album des Anglais, on s’est forcément demandé si l’entité Blur existait encore, musicalement parlant, ou si les évolutions artistiques personnelles des uns des autres allaient « contaminer » le produit de cette réunification. Le premier morceau, Lonesome Street, accrédite la première hypothèse de façon presque caricaturale : rythmiques sautillantes, chants ravis entre deux « ouh ouh wooouh », synthés débilosses… Coxon y va même de son couplet. Oui, tout est super chouette les copains, on se croirait dans le clip de Sunday Sunday, avec la caravane de l’amitié, les couleurs chatoyantes, les mimiques espiègles… On n’avait pas demandé à monter dans la DeLorean, et pourtant voilà qu’elle nous dépose en plein 1993. Non seulement Blur sait encore faire du Blur, mais Blur en a encore envie. Depuis l’album sans nom de 1997 et son virage indé-ricain, permettant au groupe de s’exfiltrer habilement d’un mouvement britpop qui n’attendait plus qu’on le débranche, on croyait les Parklife, les Girls & Boys et les Country House rangés dans la naphtaline avec les vinyles de XTC. Mais le retour de Coxon signe aussi celui du producteur Stephen Street, qui avait suivi le dissident en studio dans son échappée des années 2000. En plus de son intransigeant gratteux, le groupe rapatrie donc au passage celui qui avait produit « Modern Life Is Rubbish », « Parklife » ou « The Great Escape ». Tout s’explique.
Voilà, Blur a rassuré le fan de base d’entrée de jeu.
Maintenant il va pouvoir lui glisser des « Albarnades » ou des « Coxoneries » dans à peu près un morceau sur deux. Exemple : avec le titre numéro 2, New World Towers, on retourne dans l’esprit d’ « Everyday Robots » (mais avec une bonne ligne de voie, cette fois). Puis, nouveau retour en arrière avec Got Out, un titre 100% Blur période « Great Escape », à tel point qu’on croirait une chute de studio de 1995. S’en suivront deux titres arôme Gorillaz, dont le très bon Thought I Was a Spaceman, qui n’aurait pas pollué la « Plastic Beach ». Juste derrière, nous attend encore du Blur pur jus avec I Broadcast, qui s’excite un peu dans le vide ; c’est pas Crazy Beat, c’est pas Song 2, mais c’est quand même le titre fou-fou de l’album.
« The Magic Whip » propose aussi de la ballade bon ton comme My Terracotta Heart, qui aurait fait un formidable single pour Justin Timberlake, ou There Are Too Many of Us, un drame musical des années 80 avec roulements de tambours et staccato de cordes où il est dit que nous sommes trop nombreux sur Terre, que l’on veut tous l’immortalité, et que nos enfants… Bâillement. Et puis, qu’Albarn chante dans son combiné de téléphone chaque fois que l’heure est grave, ça commence à bien faire. On préférera Ghost Ship et son ambiance Tropico ou le couillon Ong Ong, qui allie la candeur de Country House et l’esprit « all together » de Tender, avec des paroles totalement nunuches, pour renouer avec le sentiment d’abrutissement général qui avait fait le succès des premiers tubes de Blur.
Blur // The Magic Whip // Warner
http://www.blur.co.uk/
2 commentaires
Je suis moins enthousiaste que vous : ce nouveau Blur a en théorie tout pour plaire, mais les morceaux sont en général assez faibles et a part quelques envolées (Thought I Was A Spaceman, Ong Ong, Pyongyang…) ça vole pas très haut. Pas un mauvais album, juste un album sans grand intérêt.