Ce qui définit le mieux un festival, ce sont ces longues tranches de vie pretty vacante d’où émerge parfois une bande d’exaltés venus s’enchanter devant quelqu’un qu’ils ne connaissent pas mais qui j’te jure c’est vachement bien j’l’ai lu dans les inrock’n’folk.
Les têtes d’affiche font ce qu’ont sait ; les groupes en développement comme on dit essayent de faire leur truc devant un public qui n’est pas le leur ; et des deux côtés du pit – ce couloir de Danzig où flétrissent les photographes durant trois morceaux avant de servir de fosse commune pour les slammeurs qui tombent sous les mains de la milice de sécurités – des deux côtés de cette frontière donc, on se demande « Qu’est-ce-qu’il foutent là eux ? » Et puis parfois il y a un grain de sable dans le rouage d’une programmation. The bollock in the potage. En me rendant à Solidays, je ne pensais pas que j’allais y être insulté. Bafoué. Secoué. Piétiné. Until I met… The Inspector Cluzo.
Fuck the bass player !
Du funk pour croisières en paquebot démarre sous le petit chapiteau et deux types (dont un comptable) aux âges mal définis déboulent, encostardés comme pour le mariage de la frangine et font les kékés en dansant. Ils jettent une blagounette, je crains que l’esprit ‘mariage’ s’incruste pour de bon et je pense déjà à me casser lorsqu’ils passent aux instruments : une SG en open tuning bluesy et un drum kit des grands jours (vous savez, avec la cloche à vache). Ça cocotte un groove black bien ‘Harlem 1964’ et il y a de quoi se demander pourquoi se camoufler derrière une telle pilosité faciale quand on a une voix qui concurrence Prince sur son terrain. Est-ce que ce mec a de la famille dans le périgord ou bien –AH LA VACHE ! C’est violent là d’un coup. Enfoirés, sans prévenir ! Barrés de dingos et fuzz des Melvins en cavalerie, soutenu par les tirs d’artillerie de la cymbale crash. Ça mouline, ça gueule et ça rémoule, et des pattes de kangourou me pousse au cul : nous sautons tous à la verticale. Quand : bam ! Rétro-fusée, parachute, arrêt net.
« Putain, arrêtez de pogoter comme des connards ! On dirait des allemands »
Pardon ? Le groove bien rond reprend. Ça tricotte sur les cordes aigües, la cymbale ride chuchotte une comptine, le charlest’ soupire. Bordel, mais qui sont ces gens au juste ? Justement, ils expliquent qu’ils ne jouent que rarement en France pour des raisons politiques et on rigole gras. Le bon vieux hoax du groupe qui n’est connu que par le Pôle Emploi de son département. Deux morceaux plus tard on est à nouveau en train de bondir et faire danser nos cheveux (soyons honnête, il y a du AC/DC dans cette musique) sur des textes proposant d’enculer les bassistes, ces êtres perfides, de niquer Mickael Jackson (même mort ?), et de brûler Mme Bruni. Instant Galfione, le poilu crache son mollard par-dessus l’ampli sans rater une seule harmonique de sa demi-caisse. Ma chemise est une serpillère, mon accred fait parti de mon thorax. Quand sans prévenir, coitus interuptus : « C’est pas bientôt fini vos conneries ? » et autres galéjades type « Au moins quand on joue au Japon le public sait taper en rythme ».
Il est grand temps de vous dire ce que je pense : vous n’aimerez pas cette musique. Vous n’êtes pas la cible. Sauf si vous êtes capable d’écouter Curtis Mayfield et Mötörhead à la suite. James Brown joué par Hendrix. Mais bon sang de bois, c’est la première fois que je vis ce que devait être un live des Stooges : ce foutage de gueule, l’art de vous mettre le nez dedans pour vous donner la température de l’eau qui va vous éclabousser le minois (ou le minou, c’est selon) dans deux minutes. Et cela pourrait bien être une douche (dorée) écossaise : ils font monter deux filles sur scène « Vas-y toi, danse pour moi… Ouais pas mal. A l’autre ? », et un mec qui en profite pour demander sa meuf en mariage – le groupe maintient pour lui un jive de cool-bop 10 minutes durant, 10 précieuses minutes du temps que lui offre Solidays pour ce type là. R-e-s-p-e-c-t.
J’ai pris ma fessée, j’ai dormi heureux. Le lendemain, surprise : j’aperçois ces deux couillons assis backstage, à l’arrière du concert folk blues de Jeff Lang. Merde c’est quand même pas un hasard si ces types sont là, derrière-lui ! Je déchire une page de mon carnet et la passe au videur avec commande de la remettre au plus barbu des deux. Quand il la lève devant ses yeux de landais, il peut lire:
« Hello, J’ai été assez fasciné par votre attitude hier. Si je vous offre deux bières, vous acceptez une interview ? Signé : H. »
De ce côté du pit je lève un pouce très Romain, et il me sourit. I won. Tout cela fut très amical, Malcom (c’est pas son vrai nom mais je ne répète pas) et moi avons marché en suçotant l’orge frais. Je n’ai ni allumé de dictaphone ni pris de notes, donc les propos ci-dessous sont substantiels. Je les retirerais/corrigerais s’ils me menacent du même traitement que les bassistes.
T’as pris que 25cl ? La pinte je te la fais au même prix hein.
Nan, merci, je fais super gaffe à ma voix. On joue encore demain et comme t’as pu voir, je la pousse déjà bien.
Pro. Big up. J’ai vérifié entre temps, c’est même pas un hoax cette histoire de groupe international ?
Non non, c’est pas un canular, on joue vraiment partout autour du monde. Au Japon ça a cartonné, on a halluciné : à la sortie du dernier LP, on s’est retrouvé 2e des single-charts derrière Lady Gaga !
Ouais en France ce son-là, ça ne peut pas passer de toute façon. Où est-ce que ça marche le mieux ?
Ouais voilà, jusqu’à présent on tournait partout où on a pu ! Là où on voulait de nous. Il y avait des fans qui nous suivaient jusqu’en Allemagne, c’était dingue. Maintenant on se réveille et on essaye de faire ça chez nous. Mais on vient des Landes quand même, de Mont de Marsan ; c’est pas une terre de compromis… Là où ça marche le mieux ? L’Australie, le Japon… l’Asie quoi.
Ou la Nouvelle Zélande ! Vous avez un peu ce son de chez eux d’ailleurs…
Oui, voilà. Et puis les Melvins, AC/DC aussi. Mais on vient du funk hein. Ce groove là c’est notre âme. (Un temps, une gorgée) C’est les australiens qui nous ont appelés « The french bastards » ce qui est devenu le titre du 2e album.
…Moi j’avais moins trouvé de AC/DC – ou alors période If you want blood, tu sais le live – que de Primus et Incubus là-dedans.
Oui on nous l’a déjà dit. C’est une scène qu’on aime bien, et puis on est super pote avec Mike Muir [de Suicidal Tendencies]. Attention, ce n’est pas une influence. C’est un pote. On a fait leur première partie et c’est lui qui nous a soutenu à fond.
Vous avez déjà tenté des crossover ? Jouer avec eux ?
On l’a fait monter sur scène pour lui coller l’autocollant « Fuck The Bass Player » en Allemagne. Ça l’a fait marrer. Il nous a appris plein de choses dans ce business. Comme de pas se faire foutre de sa gueule par ce milieu. [Suit une anecdote sur les factures qu’ils ne faut pas régler parce que les clubs essayent toujours de t’entuber. Je ne donnerais pas de nom.]
Mais vous cassez beaucoup sur scène ?
On se lâche un peu mais tu sais, ma guitare je dors pas avec mais… elle est toujours dans le case en carton dans lequel on me l’a vendu. Rescotché et tout mais bon… J’ai une poche [NDT : un ‘ sac plastique‘ pour la moitié sud-ouest de notre pays] avec mes jacks dedans et souvent au moment de monter sur scène je demande aux ingé « T’as pas un médiator sur toi, j’en ai pas ? »
Alors voilà, ce son-là, il vient pas par hasard. C’est du fétichisme un peu…
Ben ouais ! Hier on a pas eu de chance, une ampoule de mon ampli a cramé. Cela plusieurs soirs que j’entendais ça. J’avais repéré. Mais oui sinon c’est clair, ce n’est pas là par hasard. Tu sais le batteur et moi on joue ensemble depuis 18 ans. Donc on se connait par cœur. On a pas de basse, déjà parce que moi je groove avec les grosses cordes [Là on parle un peu tuning et motorisation, light top/heavy bottom et vas-y que je fous du tirant 54 pour avoir la patate… Mea culpa] mais aussi on en a pas besoin parce que lui à la batterie il comble énormément de creux. Il rajoute plein de trucs fins pendant que toi tu n’y entends que de la cymbale/grosse caisse.
Oui j’ai cru comprendre ça en voyant la session acoustique. Il ajoutait plein de ‘notes’ avec le tambourin, malgré le maracas. Je vous imaginais pas faire de l’acoustique…
T’as pas idée, on en fait des caisses. (Il fait un grand sourire blanc au milieu de sa barbe) Funk…
Des gosses sont venus lui dire qu’ils avaient adorer la veille. Que c’était une putain de découverte, inattendue. Ils m’ont serré la main en me voyant près de lui, et il a dit « C’est notre manager ». J’ai fait un petit mouvement de tête, digne. Quand ils sont parti, nous on s’est marré. Un rappeur lance son flow derrière nous alors Malcom m’annonce qu’il retourne voir Jeff avec qui il partage le même bookeur (Ter a Terre, qu’il a co-fondé) et on promet de garder le contact quant à la pagaille qu’ils s’apprêtent à foutre en France. Je jubile en pensant ceux qui les verront sans s’y attendre et sans comprendre. Le bonheur appartient à ceux qui ne savent pas. Comme disait Curtis « People, get ready »…
The Inspector Cluzo / The French Bastards / Tera Terre
Myspace : http://www.myspace.com/theinspectorcluzo
Site : http://www.fuckthebassplayer.com/
10 commentaires
J’avais jeté une oreille à ce groupe il y a quelques temps sur myspace et pris une bonne claque, puis un peu oublié… Heureux que vous ayez osé chroniquer leur concert, un groupe simple et efficace que j’espère bien voir un dses 4.
Bordel, c’est quand je lis ta chronique que je me dis que je suis certainement passé à côté de quelque chose…
Très, très bon papier, cowboy. Y a de la densité humaine, là-dedans. M’est avis que tu touches du doigt un truc rare, là…
Nash -> thanks kido. Oui, te connaissant en lisant ça tu sens que tu as raté une bière payée par ma pomme…
Matt -> en fait plus j’y pense moins je suis sur qu’on puisse dire de ce groupe qu’il est « simple ». J’attend les concerts avec cuivres de la fin d’année (a la Maroquinerie ? Aux Trans’) Efficace ça par contre je ne dis pas.
Je pense que ce qui change surtout par rapport à TOUS les autres groupes qui tournent en ce moment, ils n’ont pas eu l’approche habituelle Myspace/Album/contrat label/ et maintenant on vise la major et le passage sur LeMouv.
Tenter l’approche par l’étranger donne de l’humilité I guess. Du réalisme.
Non c’est pas si simple et le chanteur est d’ailleurs un sacré guitariste et un sacré funker.
C clair que cet article est sacrément bien tourné!!!! Il reste clair que ceux groupe est une merveille !!!! Je l’ai vu 3 fois et à chaque fois , on prend une sacré claque!!!!!!! Les gars sont vraiment impressionnant , seulement 2 et autant de son; c’est à faire rougir les grosses bands!!!!!!!! Si vous ne les avez pas vu ou entendu achetez leur album, et allez les voir par la même occasion, et là vous vous direz: FUCK!!!!!! Those guys are amazing!!!!!!!!!
Yo,
excellent ce papier,je connais ce groupe, je les ai vu à Besançon au festoche Herbe en zic, ils ont joué au milieu de groupes métal et avant MASS HYSTERIA.
Je peux vous dire que j’ai pris une sacré claque et que les métalleux(pour ne pas finir comme un bassiste…)ont fait des jumps dignes de ce nom.
En clair: THE INSPECTOR CLUZO: ça envoie du bois!!!!!
En espèrant les voir à Dijon!!
Je le répète, bravo pour ce papier
Je sais que ça se fait pas de venir spammer comme un bot, mais bon, je pense que ça devrait intéresser au moins l’auteur de cet excellent article sur les Cluzo.
http://www.inside-rock.fr/The-Inspector-Cluzo-a-la
Excellent article ! Effectivement il est difficile de rester impassible devant un groupe aussi energique que The Inspector Cluzo.
J’ai chroniqué leurs albums et aussi rédigés quelques reportages-photo de concerts (Dour, Le cabaret vert et Lille). Sur mon site http://kroundave.free.fr
Et encore bravo pour ta prose !
Keep on Rockin’
Eh bien ça y est je suis fier de vous annoncer que Snowflakes prod produira THE INSPECTOR CLUZO à la Vapeur de Dijon Vendredi 11 Février dès 20h00.
La première partie sera assurée par le groupe Garage dijonnais The Mighty Fangs.
Dijon va enfin trembler et être déclarée zone sinistrée et c’est tant mieux!!!!!!!!!!
En espèrant que cette soirée fasse naître des articles qui respirent le talent comme le tien.
Hasta la bientôt!!!
Heureux de lire ce petit article. J’ai eu la joie de découvrir le groupe en trainant sur la toile. Grâce à eux j’ai pu découvrir ce que donnait Fishbone en concert: bof (dont ils faisaient la première partie au Trabendo il y a 2 ans , quelque chose comme ca).
Du coup, là où, dans la longue liste des artistes présents aux Solidays 2010, le pékin de base lisait un n ième nom, je jubilais. Je laissais loin derrière, les Shakaponk, Rodrigo y autres Gabriela… Ce qui justifiait l’achat d’un pass 3 jours promo, récupéré with Blood, Toil, Tears and Sweat, c’étaient eux…
Je me souviens encore de la montée sur scène de quelques spectateurs, suggérée par le groupe devant la retissance des agents de sécurité; j’y étais… Et comme une pucelle, je suis monté, comme une pucelle j’ai accepté la baguette d’un batteur monstrueusement rock n roll. Je l’ai encore, en bon fétichiste, en bon amoureux.
Tes lignes sont très bien écrites, j’aime. Il y a un point sur lequel je ne suis pas d’accord: « Vous n’aimerez pas cette musique ». Soit tu t’adresses uniquement aux lecteurs habituels de Gonzaï, dont je connais peu les gouts (j’ai été récemment initié) , auquel cas je te l’accorde par respect envers les anciens (ou pas). Soit tu t’adresses à la masse et je te trouve un peu snob en disant cela. C’est un style furieux (groovy et funk et très rock/puissant à la fois) mais c’est très accessible, je ne cataloguerais pas le groupe dans les incompris – ils n’ont juste pas percé, par malchance plus que par public potentiel, c’est mon avis. Ca plaira au plus punk (parce que c’est violemment libérateur), aux plus rock (il y a du gros riff) ca plaira aux gens aussi mélaniné que moi (parce que ca groove, ca bouge)
Malgré tout, je tiens à dire que c’est ce genre d’article qui me plait, je suis sur Gonzaï depuis 2 jours et il n’y a que ca…
Merci,
« Gonzaï, c’est comme le sexe et les pizzas, même quand c’est pas terrible, c’est déjà énorme »
– Virgendelbrezo –