Just because you’re paranoid.
Samedi 15H. Place de la Comédie, Montpellier. Souffle coupé, angoisses neuro-actives. J’émerge à peine de la rue de Verdun quand un type en survêtement me fonce dessus. Et m’évite juste à la dernière seconde. Pour laisser apparaitre cinq autres mecs sur ses talons. A la même vitesse. Les poings devant les épaules. La tête rentrée. Ils le poursuivent ? Ils sont poursuivis ! Par ? une vingtaine d’autres connards en survête et air menaçant/menacé.
Bordel ils sont combien, et à partir de quel chiffre vais-je me sentir enfin détaché de cette histoire de hooligan ? Le simple fait que tu sois paranoïaque ne suffit pas à prouver qu’ils ne sont pas à tes trousses, Hilaire.
Posons cela comme ça, The Hickey Underworld n’a pas de guitares. N’a pas de batterie, pas de basse, pas même de chanteur. Ils n’ont pas de chansons. Ils ne jouent pas de rock, d’aucune manière. The Hickey Underworld n’est pas un groupe belge. Un groupe belge c’est est un gentil leurre, un piège cool prêt à se refermer. Un concept trop souvent défini pour ne pas être autre chose qu’une pensée automatique.
S’il y a un seul truc qui unifiait les belges à guitares sur les quinze dernières années c’était leur goût prononcé pour les coupes de cheveux Playmobil (avec option Big Jim pour The Tellers) mais certainement pas un son ou un style. Donc pas celui-là non plus.
La traversée de la Comédie consiste à franchir une masse semi compacte. La place regorge en fait de CRS, visière baissée matraque levée. Du verre partout par terre, des chaises à l’envers que des serveurs tremblant ramassent et empilent pour vider le lieu. Leurs tabliers fendent l’air sous le regard de plexiglass et le tramway attend fébrile que la phalange bleu marine décide de se retirer de ses rails. Tension palpable. Murmures « St Etienne », « stade », « émeutes ». Ok au moins je sais ce qui se passe. Cela ne calme pas la peur, mais ça lui donne une direction.
Là non, rien à voir. Des chansons folles, ok, mais toujours radiophoniques d’habitude. Qu’un groupe belge, ça a des références de rock alternatif et des objectifs pop. Tu dois oublier tout ce que tu sais.
Hilaire, tente de reprendre une respiration normale et convainc-toi que ce fil tendu n’est pas un guide mais qu’il est relié à une mine. Et toi tu vas foutre le pied dessus, respire à fond, respire doucement.
C’est chaque fois pareil, quand on vous dit « Anvers », votre tête vous répond « dEUS », et cette conne est invariablement dans le faux. Quand on vous dit hardcore vous pensez Bad Brains, et quand on vous dit Fugazi vous pensez Minor Threat (les plus abrutis penseront peut être même Marilion) ; ce serait oublier la pulsion créatrice qui se cache derrière Lockdown, Slow Caustic, ou un groupe comme Nation of Ulysses. Que, oui, un jour on a parlé de post-hardcore aux Etats-Unis, comme on avait trouvé un terme pour rassembler le Pop Group et The Fall, ou Lydia Lunch et DNA. Qu’il avait fallu changer sa violence d’épaule quand les jeunes punk amerloques se mirent à porter de la panthère en spandex et que SSD se mit à faire des solos de stade. C’est pourtant simple, il ne faut pas croire ce que vous dit votre mémoire. Mais ce que vous chuchote la peur à l’oreille.
Il faut traverser la place en laissant la lourdeur du pas des milices remplacer les bonds de survie des hooligans, laisser vos jambes trembler tout en continuant à avancer, coûte que coûte, laisser les frissons monter au souvenir des cris qui ont retenti quatre rues plus bas, derrière moi, après moi.
La colère est tangible, le beat alourdi et les disto alternent entre la griffure au sang et mon front dans tes incisives. Dans les mauvais moments où on retrouve les écueils de notre époque, les accords sur quatres trop fines cordes par exemple, on pense quand même au jeu de jambes de ces danseuses de la guerre. Leurs pauses chill out ont également le malheur de sonner comme First Impressions of Earth, mais il faut bien se relever du ring si on veut mourir au combat. Quand on passe l’éponge, il reste quand même Blonde Fire, son clip déviant à oscariser, et quatre ou cinq titres qui donneront du goût à votre protège-dents (Zero Hour, Of Asteroids And Men).
Au coin de la rue suivante, à l’embouchure de la place, quant il était évident que les gardes républicains avaient pris le parti de rentrer plutôt que de suivre les supporters ou de me provoquer, la tension est retombée. La chair de poule a quitté ta nuque. Mais les regards encore sous le choc durant l’heure suivante laisseront l’espoir que l’allumette mouillée peut encore donner un joli incendie.
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