Hercule en a rêvé, les Charlatans l’ont fait. En tous cas, ils ont essayé. Encore et toujours, telle Pénélope faisant et défaisant sa toile. Avec un excellent douzième album intitulé « Modern Nature », les escrocs poursuivent leurs travaux sonores. El Gringo nous en parle autour d’un café Richard de merde.

Voilà que déboule le dernier album des Charlatans. Le dernier… avant le prochain, tant ces simili-cinquantenaires semblent carrossés façon Pirelli : inusables. À commencer par Tim Burgess, leur leader né en 1967 en plein Summer of Love et aux airs d’éternel jouvenceau. Mazette, ce blondinet à la coupe de cheveux pop-beatlesienne discutable et souvent moquée sur la toile semble avoir trouvé la coupe sacrée, le Graal, celle qui confère à tous les poppeux le droit d’utiliser du Biactol et de l’eau précieuse ad vitam aeternam. Mais comment peut-on encore, à 47 ans, avoir envie de produire de la pop?

2014Charlatans_Modern Nature151214.galleryCar voilà, nous y sommes. On se foutait il y a quelques années des rockers qui vieillissaient, des Stones qui sentaient la naphtaline, musique comprise, ou des Doors recomposés artificiellement à l’arrache avec chanteur en plastique du type Ian Astbury de The Cult. On moquait leur lente décomposition, artistique, physique, qui précède celle plus organique nous conduisant tous in fine au rayon compost et engrais pour géraniums ou nous offrant un aller sans retour chez KB jardin. Mais comme on dit chez les rois du complément alimentaire, force est de constater que le prochain tsunami de vioques nous arrive tout droit du pays des hooligans. Et qu’il vient de la britpop (que certains, par temps de grêle, qualifient verre à la main de brit-toc) dont tout le monde s’apprête à célébrer les 20 ans. Ressortez vos Gene troués, avalez les nouveaux jambons Blur en vous désaltérant d’Oasis frelaté, mais tout ça se fera sans moi.

The Charlatans… En vérité, ce truc reste une énigme, un groupe soutenu mordicus par la revue Magic, un combo relégué en bas de page chez les Inrocks via une chronique de 300 signes confiée à un pigiste de seconde zone. Et surtout un groupe souvent copieusement ignoré par le reste de la presse musicale française. Pour synthétiser le propos : un groupe typiquement british dont le pays du poulet-frites se fout éperdument. Des Primal Scream en mode bisounours, si tu me permets le parallèle douteux. D’ailleurs, si quelqu’un connaît les chiffres de vente des Charlatans en France, qu’il se dénonce de suite dans l’espace commentaires habituellement réservé aux trolls, ou qu’il ferme sa gueule à jamais.

The Charlatans? Un des groupes dont j’ai suivi la carrière anté-Spotify avec une assiduité toute relative. Pour une raison toute simple : l’économie de marché ne me permettait pas à l’époque de me procurer des compact-discs par paquets de 12. Alors je devais choisir, éliminer, sélectionner. Et les Charlatans terminaient toujours leur course folle dans le bac à disques d’où je les avais extraits quelques minutes auparavant. Des remplaçants de luxe, des équipiers sympatoches toujours prêts à cirer le banc et à sauter en l’air quand les copains marquent des points, en gros des porteurs d’eau dotés d’un charisme qu’on qualifiera diplomatiquement de léger.

Et puis il y a quelques années, Tim Burgess s’est mis à sortir des albums solos souvent inégaux, mais toujours intéressants. Avec des vrais tentatives, des prises de risque incroyables (on se détend, on parle de pop, là, on n’est pas chez Patrick Edlinger), des propositions différentes des sempiternelles pop-songs servies jusque-là. Il allait jusqu’à tenter quelques expérimentations électroniques notables sur « Oh No I Love You ». En basculant vers la quarantaine, Tim semblait être titillé par un démon de midi qui ne l’a pas quitté depuis. Et devenait intéressant. Même s’il vend désormais (aussi) du café avec sa trogne dessus.

GONZAÏ : Pour être honnête, quand j’ai reçu votre nouvel album, je n’étais pas du tout excité. On a vraiment des disques de partout actuellement, notamment avec internet, et je me suis dit : « Quoi? Encore un LP des Charlatans? Pfff… ». Et puis je l’ai écouté. Et je trouve que cet album est l’un de vos tous meilleurs. Comment l’avez-vous enregistré?

Tim Burgess : On a commencé vers janvier 2014, dans notre home-studio au sud de Manchester. On a travaillé comme ça pendant quelques mois. Sans batteur. C’était la première fois qu’on n’avait pas de batteur (NDLR : Jon Brookes, le batteur historique du groupe, est décédé en 2013). On s’est tous assis dans la même pièce. Quelque chose qu’on n’avait pas fait depuis fort longtemps, pour être tout à fait honnête. Pour différentes raisons, le groupe s’était un peu disloqué. Chacun écrivait des morceaux dans son coin et là, on en a profité pour ramener certains de ces morceaux vers le groupe. Mais ça ne marchait pas vraiment. J’avais apporté quelques morceaux, mais ils ne plaisaient à aucun membre du groupe. Mark (NDLR : Collins, le guitariste) et les autres avaient aussi apporté des morceaux, mais personne ne parvenait à se mettre d’accord sur ce que devrait être l’album. Alors on a simplement posé un micro au milieu de la pièce, on s’est rapprochés les uns des autres, et on a commencé à jouer, les idées des uns répondant aux propositions des autres. Composer, c’est échanger. Offrir des réponses à l’autre. On est parvenus à composer un morceau et là on s’est tous dit : « On peut encore le faire ».

Et ce n’était pas évident, car l’année précédente avait été particulièrement éprouvante pour le groupe.

Pour être honnête, on s’y attendait un peu et on était préparé à la mort de Jon, qui était malade depuis 2010. Ca faisait longtemps déjà…

Quelques années plus tôt, Rob Collins, un autre membre du groupe, est mort d’un accident de voiture. Votre groupe est-il maudit?

C’était complètement différent. Rob était complètement fou. C’était un old dirty bastard.

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Ce nouvel album est très bien accueilli outre-Manche. Vous avez atteint la 7ème place des charts anglais en première semaine. Avez-vous été surpris par cet accueil hyper positif de la presse anglaise?

Je n’étais pas si surpris que ça. Dans un sens, on a toujours eu plutôt bonne presse. Mais cette fois, la saveur est très différente. Tu vois, notre précédent LP « Who we touch » avait reçu un accueil très positif. Si tu te mets à compter les étoiles qui sont en bas des critiques, tu verras qu’on en avait pas mal dans Q, dans Uncut et chez d’autres. Tout le monde a l’air d’aimer le nouvel album et c’est super agréable d’avoir une presse favorable.

Cet album contient pas mal de collaborations : Pete Salisbury (The Verve), Stephen Morris (New Order), Gabriel Gurnsey (Factory Floor), etc. Pourquoi?

On n’avait pas de batteur. Et quand Jon était malade, il nous avait dit de continuer sans lui, en attendant qu’il aille mieux. On avait à ce moment-là quelques concerts à faire et, naturellement, il nous a suggéré d’appeler Pete de The Verve. Ce qu’on a fait, et il a accepté. Il a donc joué en live avec nous, et quand est venu le temps d’enregistrer l’album, on a très simplement pensé à lui et à la possibilité de travailler avec d’autres personnes. New Order est probablement mon groupe favori de tous les temps, et Stephen est un ami. C’était facile de le contacter. Gabriel Gurnsey est dans Factory Floor, un groupe dans lequel ma femme joue et que j’admire beaucoup, même s’il est assez récent.

Tu as 47 ans, une coupe de cheveux à la Beatles et tu continues de produire de la pop. Aurais-tu découvert le secret de la jeunesse éternelle?

Tu sais, quand tu aimes vraiment ce que tu fais, comme la musique, je suppose que tu restes plus facilement frais qu’en travaillant de nuit dans un entrepôt. Et puis j’ai eu un enfant, j’ai travaillé avec des petits labels, etc. Tout ça empêche de grandir trop rapidement peut-être. Et puis je fais de la méditation. C’est une bonne chose.

Tu fais du yoga?

Pas vraiment non, je suis trop fainéant pour en faire. Mais j’en ai fait par le passé et ça fait du bien.

Tu sembles hyperactif sur Twitter avec tes 90 000 followers. On a l’impression que tu postes des tweets vingt fois par jour. Les réseaux sociaux ont profondément modifié ta vie quotidienne, non?

Définitivement, oui. J’ai toujours fait un petit morceau le matin au petit déjeuner pour dire bonjour à tous ceux qui m’entouraient. Et j’ai toujours trouvé que les musiciens ne prenaient pas la parole et restaient silencieux. Sauf pour répondre aux questions des journalistes qui sont souvent les mêmes. Tu vois, tout le monde a une voix. Et avec tes posts, toi comme moi, tu peux faire entendre cette voix. Donc je l’utilise.

Et puis un jour, j’ai simplement posté cette phrase : « Quelqu’un veut un café? »

Ton groupe s’appelle les Charlatans, mais tu es loin d’en être un. On peut même dire que tu es une sorte de business man qui a de multiples activités en dehors du groupe. Tu as écrit un livre et un deuxième est en préparation, ta tête s’est retrouvée sur une boîte de Kellog’s, et tu as même conçu une boîte de café (Tim Peaks) où tu surjoues un peu le côté hipster blond. Comment on en arrive là?

timpeaksLe truc du café a commencé sur Twitter. Assez rapidement, je me suis retrouvé avec 3 000 followers, ce qui est à peu près ce que peut espérer un chanteur d’un groupe indie. Exact? Et je postais uniquement des trucs du genre « Les Charlatans partent en tournée » ou « Voici mon disque favori ». Les gens répondent, te mettent des pouces verts ou ce genre de trucs, et voilà. Point. Et puis un jour, j’ai simplement posté cette phrase : « Quelqu’un veut un café? ». Et j’ai eu plus de réponses que je n’en avais jamais eues jusque-là. C’est à ce moment que j’ai réalisé à quel point les gens voulaient simplement communiquer. Avoir une conversation toute simple. Un des twittos a suggéré que je devrais ouvrir un coffee shop. Et de fil en aiguille, on a créé ce café, le Tim Peaks shop, en hommage à la série de David Lynch. Quelqu’un m’a donné la possibilité de monter tout ça et de fabriquer un café. Tous les bénéfices sont reversés à la fondation de David Lynch sur la méditation transcendantale. On sort un café pour chaque festival : Glastonbury, etc. En septembre, on organise même notre propre Tim Peaks festival.

En 2012, tu as sorti Tellin’ stories, un bouquin dans lequel tu évoquais assez librement ton expérience des drogues.

J’ai toujours été très curieux des expériences de l’esprit. Gamin, je sniffais du pétrole, de l’alcool, etc. Je ne le recommande pas, mais c’est ce que je faisais. Vers la fin des 70’s, j’ai essayé la marijuana, l’ectasy, les amphétamines… En étant dans un groupe, j’ai toujours voulu pousser les choses aussi loin que je pouvais, dans le but de créer en allant vers des endroits de ta psyché où tu ne pourrais normalement jamais aller. C’était une manière de nourrir ma créativité.

Votre musique a été remixée par Anton Newcombe des Brian Jonestown Massacre. Tu écoutes ce genre de rock psyché?

Je connais Anton depuis 1998. La première fois que je suis allé à Los Angeles, son groupe a été le premier que je suis allé voir en concert. J’ai habité là-bas pendant 12 ans, et je faisais souvent DJ dans des soirées avec Anton. On est amis. Le psych rock, oui, j’en écoute. La première fois que j’ai entendu les BJM, je me suis dit que c’était la version punk des Byrds. Mais les Byrds étaient déjà des punks à leur façon.

Tu écoutes énormément de musique : de la soul music, Abba… En ce moment, c’est quoi?

J’aime beaucoup Ariel Pink, les disques d’Anton, John Maus, Factory Floor… Et puis pas mal de groupes de drone dont les noms m’échappent. Des trucs de Liverpool notamment. Avec uniquement des ordinateurs. J’aime tellement de choses. La soul, le punk, des trucs électroniques… New Order est probablement mon groupe favori de tous les temps.

Tu écris actuellement un livre sur Abba, non?

Non, c’est un livre sur les disques. Abba sera dedans, c’est certain. Je voudrais aussi parler de l’état dans lequel se trouve l’industrie du disque. L’année dernière, on a vendu pas mal de disques en Angleterre comparé aux années passées, mais si tu compares ça aux années 80… Madonna à l’époque en aurait vendu autant avec un seul album. Donc ça ne va pas si fort.

The Charlatans // Modern Nature // BMG
http://www.thecharlatans.net/

(Merci à Gérard Love pour ses conseils et à Danny Wilde pour son détecteur anti-fautes)

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