Coucou, le revoilou. Après avoir sniffé toutes sortes de farines trafiquées et reluquer le derrière de deux générations de groupies aux organes dilatées, Anton Newcombe refait surface avec un album souvenir qui résume deux décennies de montagnes rustres. Que dire, hormis le fait que cette collection de singles reste mille fois plus passionnante qu'une anthologie de Mogwai ?

En tapant cet article consacré à la promotion de ce double album du Brian Jonestown Massacre, je devine également le double étonnement de nos plus fidèles lecteurs, le sourcil froncé, perplexes comme si on s’apprêtait à leur refourguer la pire des cames au fond d’un baril de lessive Bonux. Pourquoi diable s’user le poignet sur cette collection de singles quand tout le monde connaît déjà par cœur l’intégralité du répertoire d’Anton Newcombe, et que seuls deux nouveaux titres – et encore, il s’agit de morceaux publiés en 93 avec le groupe ACID – flottent à la surface de ce qui semble être une tentative de drague commerciale pour :

1. une génération de demeurés biberonnés au son des Strokes, Klaxons et Killers.
2. des fans hardcore du BJM prêts à ouvrir le porte-monnaie pour avoir le premier tee-shirt de leur idole à rouflaquettes.

On peut, effectivement, se poser la question de l’utilité de cette chronique et, dans une plus large mesure, de l’importance de cette carte postale dans une discographie aussi chargée qu’un cycliste dans le col du Télégraphe.

Et c’est vrai, The Singles Collection ressemble davantage à une pierre tombale qu’à la dernière brique d’un édifice branlant depuis ses débuts. De vous à moi, si le mail d’une gentille attachée de presse d’un super label dont au moins la moitié des sorties nous passionnent – c’est déjà beaucoup par les temps qui courent – n’avait pas atterri dans ma boîte à lettres pour gentiment me rappeler à l’ordre, pas sûr que vous seriez aujourd’hui en train de lire ces lignes. A voir l’interminable débauche d’Anton Newcombe au crépuscule des années 90, pas sûr non plus qu’on aurait pu miser sur sa postérité. Et c’est bien là que cette collection de singles frappe quand même juste. Empilé sur deux disques, un tracklisting qui remonte aux sources de la folie (Evergreen et She made me, extraits de Methodrone, 1995) avant de lentement dérouler ce qui ressemble, avec le recul, à une carrière diablement bordélique et pourtant foutrement cohérente.
A bien y réfléchir, l’une des seules critiques objectivement acceptables sur le Brian Jonestown Massacre, c’est la durée de disques souvent inécoutables dans leur intégralité – à la rigueur My bloody underground, et encore. Une torture, pas vraiment, plutôt une série de chansons anachroniques alignées sans logique qui ont su permettre à Anton de 1. devenir le pape de l’underground avec des disques sans queue ni tête, et 2. éviter le star-system où d’autres, comme les Dandy Warhols, se sont brûlé les ailes sur les néons 220W. Moralité : après deux décennies à publier des disques trop longs où les perles se sont longtemps éparpillées entre des grumeaux de génie mal touillés, la playlist idéale du Brian Jonestown Massacre restait jusque-là un fantasme d’adorateur frustré. On eut été dans les années 90, on aurait fait des cassettes ou gravé des CD pour compiler nerveusement ce qui aurait pu s’apparenter au meilleur de ce groupe américain inclassable. Mais près de quinze ans plus tard, à l’heure du cloud computing et de la musique par tags, franchement, qui serait encore capable d’écouter l’intégrale du BJM dans sa chambre de bonne pour en extraire la moelle osseuse ?

Et nous voici donc en train d’écouter The Singles Collection. 1992 – 2011. Autrement dit : une éternité. De la naissance du Brian Jonestown Massacre à aujourd’hui, l’URSS est devenue une économie capitaliste, les deux tours se sont effondrées sur des Strokes même pas capables de trouer leurs jeans, et le rock a piqué du nez à force de s’en foutre plein les narines. A l’intérieur de ce dédale temporel, Anton et ses multiples apôtres sont restés fidèles à eux-mêmes. Erratiques, gazeux comme un accord shoegaze, en équilibre sur la branche. Cette double compilation a le mérite de proposer l’évolution parfaite, des débuts obsédés par My Bloody Valentine et leurs nappes brumeuses, au hippisme stonien, en passant par le tunnel psycho-fuzz illustré par le There’s a war goin on qui clôture l’objet. A ceux qui seraient restés cloîtrés dans un bunker pendant les vingt dernières années, on ne saurait que trop conseiller l’écoute prolongée de cette mise en bouche. On pourrait encore s’étendre pendant un millénaire sur l’influence des Byrds (This is why you love me), la tentation brit-pop passée au Kärcher (Anemone) ou la puissance des hymnes taillées pour les college radio des années 80, si tant est que l’auditeur ait été un cancre sous crack, mais franchement, à quoi bon ? On soulignera plutôt le talent certain d’Anton Newcombe pour le choix du nom de ses chansons : Not if you were the last dandy on earth (et PAF ! Prends-toi ça dans les dents Courtney !), If love is the drug then I want to OD ou Prozac Vs Heroin, tout cela mériterait certainement une entrée prématurée au Rock & Roll Hall of Fame sans même avoir entendu une seule note de ce qui ressemble, après l’écoute de ces 22 titres, à un vortex électrique où le seul repère stable reste le tremens delirium de ce quadra amateur de chaos et de junkies à demi-nues. Les fans crieront certainement au parjure commercial, les autres se rueront sur l’objet ; dans les deux cas le mystère de cette compilation restera impénétrable. Mais qu’importe, qu’on parle d’industrie ou d’Anton Newcombe c’est toujours un peu la même affaire: tout ce qui précède la mort est synonyme de progrès. Alors dans ce vide intersidéral qu’on appelle la nostalgie , le  f(l)ou artistique du Brian Jonestown vaudra toujours mieux qu’une intégrale de l’un de ces groupes rescapés des nineties. Et qu’on ne parle plus jamais de Mogwai.

The Brian Jonestown Massacre // The singles collection (1992-2011) // Differ-ant
http://www.brianjonestownmassacre.com/

5 commentaires

  1. Mon cher Bester,

    Mon petit sexe est ravi que votre prose évoque un peu la paluche 🙂

    Bien amicalement (avec un petit majeur caché derrière mon coude).

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