Entre l’enregistrement sur un PC dans une petite chambre de bonne et les grands studios de l’analogue londonien, il n’y a pas tant de distance. Minutieux teinté de nonchalance lo-fi, c’est avec jeu et beaucoup d’appétit que Jolan, fanatique du Paul Maccarthysme, puise sa moelle musicale au fond des brutes qui lui servent d’acolytes. Chasseurs de sorcières à sillons précieux, maniaques de pop dans laquelle ils ont baigné jusqu’à la noyade, accrochés aux rebords psychés des remous à la Robert Wyatt ou Red Krayolas, on pourrait reprocher aux gars de Temple Songs leur nostalgie s’ils ne l’engouffraient dans la quête de cette machine qui traduit les sons rêvés la nuit en ondes acoustiques.
Après avoir spéléologisé le fin-fond des sixties, Temple Songs fait claquer le son mancunien au fond des tympans. Tremblements en cordes et en voix, il y a quelque chose de presque animal dans la fragile puissance qui s’étire des guitares jusque sur scène. C’est toujours ce tremblement qui est atteint, échos d’honnêteté et de dévoilement malgré les cheveux gras qui tombent sur la gueule et tentent de la dissimuler.
L’accent de Manchester ne nous a pas empêchés de communiquer avec Jolan Lewis, leader du groupe… Le bonhomme aux origines de Temple Songs a vécu à Paris il y a quelques années et n’est de retour qu’en tant que touriste en carence du fer d’Eiffel. L’occasion de refaire un tour du Temple, avec le principal intéressé.
Comment est-ce que Temple Songs est apparu?
Jolan Lewis : J’ai commencé par enregistrer tout seul, sans les autres. J’ai fait un EP, six chansons, et j’ai emménagé à Paris. C’était il y a trois ans peut-être. Je les ai mises en ligne à ce moment-là. Ça a eu une certaine audience et quand je suis rentré, j’ai enregistré un album et j’ai eu besoin de former un groupe pour pouvoir le jouer en live. Mais quand j’ai fait tout ça, c’est devenu quelque chose d’autre, tu vois. Plus un véritable groupe qu’un projet solo avec des musiciens derrière.
Quand tu étais seul, il y a trois ans, tu avais déjà le nom Temple Songs?
Ouais, j’ai trouvé ça quand j’étais à Paris. Je me rappelle que j’étais à L’International et que c’est là-bas que ça s’est décidé… Et aussi un peu à cause de la rue du Temple… peut-être un peu. Je crois que j’ai juste décidé que j’aimais bien ce mot.
Tu es de Manchester. Est-ce que la scène mancunienne et la ville même sont importantes pour toi et ta musique?
Je crois que Manchester et ce qui est en train de se passer là-bas en ce moment aident pas mal, en terme de liberté. Et puis il y a beaucoup d’histoire sur laquelle t’appuyer. Mais l’histoire actuelle de Manchester ne m’influence pas vraiment… Je veux dire, les Fall sont géniaux… et les Smiths sont pas mal, mais la plupart ne m’intéressent pas tant que ça… Même The Fall, pour autant que je les aime, n’ont pas tellement d’impact sur moi.
Mark E Smith est vraiment un parolier…
Ouais, et je ne suis pas particulièrement intéressé par les paroles… (rires)
En mode pop.
Ouais, exactement!
Il y a un véritable assemblage dans votre son: à la fois aérien, punk, pop, etc. Est-ce que c’est intentionnel ou c’est apparu par accident ?
Je l’ai intentionnellement arrangé pour rendre compte de ce que je ressentais. Donc je ne me suis jamais assis en me disant « bon, faisons quelque chose d’aérien« , et puis quelques mois plus tard me dire, « bon du punk maintenant« … Je pense qu’il y a des groupes qui sont coincés dans une seule boite : ils commencent comme groupe de punk, donc ils doivent continuer à faire du punk même s’ils se mettent à écouter d’autres trucs. Mais je me suis intentionnellement assuré que je changerai ça, ça dépend juste de ce que j’ai envie de faire. Il n‘y a pas de plan, d’aucune manière, c’est juste instinctif.
Comment concilies-tu le fait d’être pop et expérimental en même temps ?
Tu sais, au début c’était juste moi qui faisais tout et je ne savais pas vraiment ce que je faisais, en mode : comment faire ressortir une musique… En ce qui concerne écouter des sons expérimentaux et faire de la pop, je me demande comment ça c’est produit. Je ne le comprends pas tellement.
Tu écoutes beaucoup de son des années 60: c’est une fascination ou une obsession?
J’aime bien essayer de trouver la nature artistique de n’importe quoi. Que ça soit dans de la musique d’art comme The Red Krayola, ou The Godz, John Cage, et des trucs dans le genre : de la vraie musique d’art… Mais il y a juste autant d’art dans une chanson pop bien écrite, les Beatles ou les Beach Boys etc. C’est juste une vision de l’art dans une différente direction.
Les Beatles et les Beach Boys font partie de mon histoire, entre mes 13 et 23 ans probablement. J’ai vraiment été obsédé par ces deux groupes, par le Velvet Underground et tous les classiques des années 60. J’écoutais les Nuggets et des trucs comme ça. Maintenant, c’est plus The Godz et The Red Krayola et de la musique plus libre, pas tant enrégimentée et précise. Quelque chose de plus ouvert et fascinant. Quoi que tu fasses, il y a un certain besoin d’aller dans une direction opposée. Tu peux concentrer ton intérêt dans un sens, mais à cause de cela, tu te dis : allons voir ce qui se passe de l’autre côté.
Ça me fait penser à ce qu’Henry Miller avait dit… que la meilleure façon de tuer un artiste, c’est de lui donner ce dont il a besoin.
Ouais, c’est un très bon mot !
Comment ça se passe à l’enregistrement ? Tu as toujours été très attentif aux moyens utilisés…
J’ai enregistré ma propre musique tout seul pendant si longtemps que j’ai réalisé récemment que je ne pouvais pas travailler avec quelqu’un d’autre. On est allé dans un studio à Londres, le Toerag, qui ne fait que de l’analogique. Ils ont tout le matos d’enregistrement des années 60 et 70. C’est eux qui ont récupéré la table de mixage d’Abbey Road et d’autres trucs comme ça. Mais c’était quelqu’un d’autre qui nous produisait… J’ai réalisé que ça n’est pas le matériel utilisé qui importe, mais comment tu l’utilises. Du coup, on peut faire avec du digital et de l’analogique, et je ne pense pas que ça soit si important. C’est plus important d’avoir la bonne personne, celle qui saisira les chansons que j’ai en tête. Du coup, c’est essentiel que ça soit moi qui cherche à les sortir de là, plutôt que laisser quelqu’un d’autre le faire. L’équipement n’importe pas tant que ça. Il faut tenter d’extraire le son sans l’abîmer… Donc j’essaie juste de traduire ce que j’ai en tête en quelque chose qui puisse être joué dans des baffles.
Qu’est-ce que c’est Fruit Tones et Pink Teens?
Fruit Tones c’est un groupe d’amis. Avant ils s’appelaient Piece Signs, et ils avaient fait une chanson que je voulais enregistrer avec mon truc perso, qui est Pink Teens. Du coup, ils ont fait des reprises de Temple Songs aussi. Mais je ne décide jamais d’écrire quelque chose pour Pink Teens ou Temple Songs. C’est plutôt un rapport organique.
Est-ce que tu penses que tu devras arrêter d’écouter ce qui se fait autour ?
Ouais bien-sûr. Connan Mockasin déclare qu’il n’a pas écouté de musique depuis dix ans, parce qu’il ne veut pas être influencé par ce qui se fait. Je n’ai pas autant de volonté que ça. (rires) Mais j’aime bien Mac Demarco, et Connan aussi… Sinon, j’écoute pas tant de trucs actuels…
C’est Paul Valéry qui a écrit un bouquin sur un type qui se débarrasse de sa bibliothèque pour pouvoir vraiment travailler, Monsieur Teste.
J’aimerais bien être capable de faire ça, mais j’aime beaucoup trop mes disques. (rires)
Tu es un véritable Docteur en musique, est-ce que tu penses que ça a été une nécessité avant de pouvoir créer ?
Je pense que chaque bout de l’échelle est bien, mais que tout ce qui est au milieu est inutile. Soit tu es tellement obsédé par la musique que tu veux tout savoir sur tout, et que tu peux prendre tes influences là-dedans… ce qui est probablement mon cas… Soit tu es quelqu’un qui n’a aucune connaissance musicale mais qui crée de la musique comme un objet pur. Si l’on n’a jamais écouté de musique, ce que l’on fera sera unique puisque l’on ne peut se baser sur rien d’autre. Mais je pense que tout ce qui est au milieu est… ça peut être pas mal, mais on ne fera jamais de la bonne musique comme ça.
Comment ça se passe avec les autres membres du groupe?
Quand ça a commencé, c’était juste mon projet solo. Du coup j’ai contacté des amis qui pouvaient jouer. C’était plus important d’avoir de bons amis impliqués que d’autres types qui auraient nécessairement été aussi obsédés par la musique que moi. Ce qu’ils écoutent transparait forcément vu que mon batteur joue comme Keith Moon et est un fan des Who ; que mon bassiste est vachement dans la musique country alors sa basse a un son country… Mais je reste le seul compositeur du groupe.
T’es un véritable leader.
En essayant de ne pas devenir un connard, ouais. (rires)