Le dixième album des écossais, qu’on pensait relégués au fond des bacs oldies but goodies de Rob Gordon, permet d’étaler sur la table une question qu’on n’a jamais cessé de se poser, entre deux vagues de haute fidélité : « Etes-vous déjà tombé amoureux d’une chanson ? ». Oui ? Au point de l’épouser ? Au point de fermer les yeux sur ses coins mal rabotés, ses rides apparentes et son manche écaillé ? J’en vois qui doute ; okay, on rembobine.
Have you ever been in love with a song ? Teenage Fanclub : une carrière débutée en 1989 à Glasgow, une signature chez Alan McGee (Creation Records) l’adoubement des grassouillets nostalgiques en chemises de bucheron et un zénith en 1991 (Bandwagonesque)… Faut dire qu’on n’aurait pas parié trois Durex sur la vieille édentée, encore moins voulu passer les doigts dans la crinière filasse de ses mélodies d’un autre siècle.
Très justement, Sometimes I don’t need to believe in anything ouvre l’album avec l’entrain de ceux qui ont arrêté de se raconter des histoires depuis très longtemps. Deux accords de guitare claire, des chœurs BrianWilsonien et la fanfare pop qui annonce le printemps ; pas de quoi pavoiser, pas de quoi se retourner, aucun lifting surprise à l’horizon, même sur Baby Lee et sa naïveté cliché d’insouciance sixties qui parle des visages tant aimés mais oubliés. Ooh Ooh Ohh, pourquoi es-tu parti, maintenant je rentre seul le soir et je pleure devant mes surgelés. Après dix minutes de flirt à tenter de comprendre ce qui se cache sous le T-shirt, c’est presque sûr ; ici comme ailleurs il faudra sûrement se finir seul.
Quand soudain, la vieille décide de faire du rentre-dedans.
On entend les cordes se fendre sur la batterie qui monte, l’orgue au second plan qui borde le sentier, la voix de Norman Blake vive comme la première fois, comme si les années 2000 n’étaient jamais venues, que la terre entière était resté coincée dans une bulle twee-pop et que Shiny Happy People s’égrenait encore comme un chapelet pop pour tous les croyants. The Fall, troisième piste, débute à peine qu’on sait qu’on ne pourra aller plus loin ; le refrain monte comme un battement de cœur, Teenage Fanclub chante au grand complet, chorale d’église aux allures de building construite en marshmallow rose espoir, popsong parfaite pour toutes les situations, mélancolie pour porter la joie dans l’enterrement ou le spleen dans les métros. Soudain, l’envie de se coller la face contre le disque est plus forte que les doutes, les hésitations, tout ce qu’on aurait du retenir des années 2000 (le cynisme, la distance, le retour du rock, à la limite), on se berce contre le solo de Raymond McGinley quand bien même ce ne sont que trois notes distendues. Fin, début, fin, début, fin, début, impossible d’écouter autre chose, on sent l’amour des premiers jours avec du flashback sur les nineties de REM et le règne de la paire Michael Stipe/Mike Mills. Ce plaisir coupable d’être à juste titre Out of time, petit garçon perdu dans une chambre à posters éphémères, à se tripoter les oreilles sur The Fall, photo sans visage d’un songwriting qui n’existe plus.
Nés en écosse, Teenage Fanclub a pourtant tout de l’accident de parcours, groupe qui touche la perfection par intermittence, parfois seulement quelques secondes, puis retourne aux Highlands comme d’autres à la mine. Signés chez IRS, label US mythique des années college radio, peut-être aurait-on accroché leur image au dessus du lit ; vingt ans plus tard c’est un coup de fil tous les cinq ans (le dernier remontait à Man Made, 2005, et ne fut pas très long) qui rappelle que Teenage Fanclub, malgré les cheveux grisonnants, porte toujours aussi bien son nom. Today never ends, pour citer la dernière chanson d’un album reçu comme une carte postale : Le timbre s’est effacé, la date n’est plus vraiment lisible, reste le parfum d’un flirt mais sans la langue, car chez Teenage Fanclub on n’embrasse jamais vraiment sur la bouche.
Teenage Fanclub // Shadows // PeMa (PIAS)
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