Un peu comme dans Terminator, où Schwarzy se téléportait d’un futur dystopique pour déboîter Sarah Connor avant de se retourner contre la super-intelligence artificielle Skynet, Symboter en a gros contre les machines. Producteur de musique électronique dès les années 70, cet Allemand de presque 60 piges a décidé de ramener ses synthétiseurs analogiques pour contrer l’apocalypse technologique et les producteurs à deux balles.

Si on collait au cliché, la scène electro actuelle se réduirait à une bande de DJs flemmards et sans talent, qui se contentent d’appuyer sur la barre espace de leur mac pour balancer d’ignobles tubes EDM devant des foules de festivaliers zombies. Si la réalité est certes un poil moins stéréotypée, Symboter, un producteur allemand méconnu des années 70 et 80, a lui en tout cas décidé de revenir aux sources de la musique électronique et de prendre le maquis pour résister aux synthétiseurs numériques.

Inspiré en vrac par Tangerine Dream, Kraftwerk, Vangelis, Jean-Michel Jarre, Robert Schröder ou encore le Krautrock de Can, Neu! et Faust, ce nerd passionné par la robotique a longtemps joué avec ses propres synthés customisés, entre synthpop et ambient. Et après avoir dû claquer la porte de son studio en 1985, détruit par les eaux, l’artiste vient il y a peu de relancer sa carrière musicale avortée prématurément.

Après une pause de presque trois décennies, Olaf Schirm – son vrai nom – continue avec le même état d’esprit : d’une part jouer et expérimenter avec ses synthés, et de l’autre combattre les dérives de la machine, la paresse de la pop et le futur surinformatisé qui nous attend. Voici donc son cyber-plan de bataille.

Tu as commencé en bricolant tes synthés. J’imagine qu’aux débuts des années 70, il était difficile de ne pas passer par de la débrouille pour se lancer dans la musique, non ?

Exact, il était impossible de s’offrir une machine comme aujourd’hui, ce n’était pas du tout abordable. Vu que je n’étais encore qu’un étudiant de 14 ou 15 ans, j’ai décidé d’apprendre l’électronique par moi-même pour construire mon propre synthétiseur. Un gros système modulaire avec un oscillateur, un générateur d’enveloppe, des filtres, un séquenceur bien entendu… Donc j’ai commencé un assemblage très bizarre avec plein d’erreurs qui, techniquement parlant, n’aurait jamais dû fonctionner. Mais le matériel était tellement robuste à l’époque que l’ensemble a tenu malgré les courts-circuits que j’avais provoqués, et de la musique a fini par en sortir. Je ne sais pas comment cela a marché, par miracle j’imagine, mais je ne referais jamais ça aujourd’hui. Les modules n’étaient pas si étranges que ça, il fallait ceci dit vraiment se prendre la tête pour générer l’architecture du tout et brancher les différentes parties. Et chose marrante : autoriser certaines erreurs, comme une tension négative, pouvait parfois servir musicalement. Au final j’ai monté un premier synthétiseur, le « Symboter A1 », que, à peine terminé, j’ai démonté. Je l’ai vite remplacé en 1977 par un second, qui ressemblait beaucoup au premier, à la différence près qu’il fonctionnait vraiment…

« Le problème de l’intelligence artificielle ne vient pas des robots en tant que robots, mais bien de l’intelligence logée dans la machine ».

Comment est-ce que tu t’y prenais pour composer ? Est-ce que tu laissais une grosse part à l’expérimentation, à l’aléatoire ?

En fait, le côté expérimental se passe avant même de composer, en testant de nouveaux sons, de nouveaux circuits et de nouveaux concepts musicaux. Dès que je commence réellement le morceau, je me force à fixer en amont la structure que j’ai en tête puis j’essaye de suivre au plus près cette voie. C’est très tentant de se laisser guider par les machines : il y a tellement de fonctionnalités et d’options géniales qu’elles t’emmèneront souvent vers un résultat qui sonne bien. Par exemple, elles vont vouloir te garder dans le beat ; mais imagine que tu veuilles qu’une boucle décélère, tu te retrouves coincé. Je combats toujours contre la machine, ça fait partie de mon caractère. Tant que je n’arrive pas à quelque chose de nouveau, avec un son que je n’ai jamais entendu avant, je ne suis jamais satisfait de ce que j’entends. J’aime établir un cadre et déterminer les frontières au sein desquelles un spectre d’aléatoire est permis, sans contrôle de ma part. Après, reste à savoir quel est le bon random et le mauvais random

Comment expliques-tu le fait que ta musique n’ait jamais percé ?

Je me suis longtemps posé la question. D’abord, j’habitais à Munich et la scène n’était pas du tout médiatisée. J’étais loin de Berlin, même si je suis né dans la capitale et que je m’y suis définitivement installé depuis 2006. Aussi, les compositions devenaient à l’époque de plus en plus complexes, ce qui demandait d’écouter véritablement les morceaux, avec beaucoup d’attention. Ce n’était pas quelque chose de très mainstream. Et puis même quand on regarde la musique électronique en général, il était rare que les artistes jouent en public : il n’y avait pas beaucoup de groupes, c’était souvent quelqu’un tout seul dans sa cave. La pratique était privée et, sans internet, difficile de multiplier les connexions. Ceci dit, il m’est arrivé de travailler avec d’autres artistes mais juste pour un ou deux concerts, avant de se séparer aussitôt. Dans un sens, c’était une bonne chose car il y avait moins d’influence : tous les éléments devaient sortir de ton propre corps.

« J’étudiais encore la biologie mais je n’en pouvais plus de tuer des animaux […] alors je me suis dirigé vers l’ingénierie robotique ».

En 1985, tout s’arrête. Ton studio est défoncé par une inondation, ce qui met alors fin à ta carrière artistique. Pourquoi as-tu abandonné la musique pendant tant d’années ?

A cause de l’accident, tout mon équipement a pris l’eau. J’ai tout perdu, mon matériel était absolument inutilisable, cassé à tout jamais. Au même moment, un homme voulait m’embaucher pour construire un gros studio de musique, car il avait besoin d’experts pour l’aider sur l’aspect électronique. J’étudiais encore la biologie mais je n’en pouvais plus de tuer des animaux, donc j’ai tout arrêté et je me suis engagé dans le projet. Ça m’a occupé pendant deux ans, puis on m’a demandé juste après de monter un studio vidéo. C’est là que j’ai créé ma première entreprise. Puis est venue la deuxième, la troisième, la quatrième… Je me suis entre autres dirigé vers l’ingénierie robotique. En fait, je n’ai jamais vraiment voulu abandonner la musique mais j’étais tellement concentré sur mon travail que je n’avais même plus le temps d’y penser. En 2014, quand j’ai quitté ma dernière société, j’ai eu envie de revenir à mes racines, au son.

Et maintenant que tu es revenu à tes synthés, comment vois-tu l’évolution de la musique électronique, du hardware à l’ère du software ?

A chaque fois que j’utilise des logiciels, je me lance dans un combat très dur contre la machine. Je n’ai jamais été satisfait par les synthétiseurs numériques, comparés au hardware analogique. La raison est assez simple : je n’aime pas partir d’un preset. Tout cela se base en général sur une structure en boucle et, n’étant pas DJ, produire des loop-songs ne m’intéresse pas. Je trouve que les synthés digitaux n’ont pas fait du bien à la musique électronique, alors dans sa phase la plus fascinante. Tout est répétable et interchangeable donc, certes, ça a beaucoup apporté à la pop. Mais les synthétiseurs analogiques ont mis beaucoup de temps à revenir sur le marché, peut-être un peu avant 2010. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me réintéresser à la composition.

Ta musique reste pas mal centrée sur l’idée d’un mélange entre l’homme et la machine. Comment imagines-tu le futur de ce point de vue-là ? Es-tu plutôt optimiste ou pessimiste ?

Je suis très engagé sur la question de l’intelligence artificielle (IA), du machine learning, et je m’intéresse aussi très profondément à la robotique et notamment tout ce qui tourne aujourd’hui autour des ordinateurs quantiques. Je cherche d’ailleurs en ce moment à créer un prix international pour valoriser l’éthique vis-à-vis de l’IA. Nous faisons face à une situation extrêmement dangereuse, de type dystopique, ce qui nous attend risque d’être très difficile. Le problème de l’IA ne vient pas des robots en tant que robots, mais bien de l’intelligence logée dans la machine. Ceci dit, je suis content d’être au fait de ces sujets : plutôt que de rester une victime passive, mieux vaut devenir un opposant, conscient. C’est important de faire attention aux plateformes qu’on utilise sur Internet, et de réfléchir à ce que l’on va pouvoir faire face aux machines. Je n’imagine pas un avenir brillant, mais si un mouvement underground se mettait en place, je pense que j’en ferais partie.

Symboter sort une compile de 27 sons, Die Transzendenz (1982-2016), chez Alter-K le 22 février. Plus d’infos sur son Soundcloud et son site interweb, si jamais vous parlez la langue de Karl Marx et Dirk Nowitzki.

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