Sur le papier, Actor, le deuxième album de St Vincent, n’avait rien pour me séduire. Bio laconique,

Sur le papier, Actor, le deuxième album de St Vincent, n’avait rien pour me séduire. Bio laconique, physique étrange, passé douteux (membre des Polyphonic Spree jusqu’à son premier album sorti en 2007), l’américaine aurait presque pu passer inaperçue. C’était sans compter sur ses lèvres.

Parce que le filet de voix de la Clark est – avouons-le- brillant. Les compositions de Actor (Jeu de rôle ?) très éloignées du préjugé moderne (cf la clique des compositeurs trop forts en Sudoku qui peuplent Manhattan) . La pratique des virages, comme ses compères de Fiery Furnaces, St Vincent, ça la connaît. Sur Actor, il y a des embardées belles (Save me from what I want), des échappées à rebondissements (Black Rainbow et ses guitares fuzzy qui sonnent la fin du monde) et de l’auto-stop direction le catéchisme pour quelques bigots. Brillant.

En écoutant The Strangers au casque sur un banc non loin du rendez-vous, je me souviens m’être demandé si Annie Clark n’était pas l’Eva Braun du dodécaphonique, la traitresse gloss killer, quelque chose comme ca. C’était 16H30 place des Martyrs, un autre journaliste faisait les 100 pas entre deux enfants qui revenaient de l’école et j’étais là sur mon banc, le gout de la nicotine entre les dents, des carillons en bi-facial dans mes oreilles. Dieu m’aurait téléphoné (ou envoyé un texto, car vous savez bien que tout le monde est en crise aujourd’hui hin hin) que cela n’aurait pas été plus naturel.

En pénétrant dans la salle d’entretien, c’est un petit bout de femme cerclé de rouge au niveau des lèvres qui m’accueille, l’air intelligente et fébrile (ces deux adjectifs peuvent-ils être dissociés ?). Questions mal posées, réponses mal traduites, rencontrer Annie Clark, quoi qu’on en pense, c’est presque aussi bien que de l’écouter. Rencontre avec la remplaçante de Tori Amos depuis que cette dernière a décidé de rester connectée 24H24 avec le tout puissant.

Bonjour Annie. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce deuxième album est très violent quand même, rempli de chansons pop et vicieuses. Fut-ce un passage à l’acte difficile ?

J’étais abreuvé de bande originale, de partitions, de pop-songs, et le mot « cinématique » revenait très fort dans ma tête. Sans m’en rendre compte, sans le vouloir, tout en partant d’un univers un peu magique et mystique, je me suis aperçu que mes compositions étaient « pop ». Je voulais des frissons, de l’intrigue, des guitares sanglantes parfois.

Le mot « cinématique » est souvent employé pour parler de tout et n’importe quoi. J’ai l’impression que c’est un mot inventé pour les biographes (et celui de St Vincent aussi, NDR), tout le monde rêve d’une ambiance, plus que d’une mélodie.

Oui ah ah c’est vrai. C’est souvent un piège.

Des compositeurs new-yorkais d’avant-garde (je mets ici des pincettes sur le mot « avant-garde », pouvant être remplacé par « gras et sensible », « cérébral et méconnu », « citadin mais écologique », NDR) tels que Nico Muhly, Anthony Hergarty, Sufjan Stevens ou Sharah Worden (My brightest diamond) influencent-ils votre façon de voir la musique ?

D’une certaine façon oui, Je ne me suis pas réveillé un matin en me disant « tiens je vais être compositeur  maintenant ». Je ne sais même pas lire la musique. Tout est question de feeling, de combinaisons entre les arrangements et la mélodie pop. Pour, tout a été écrit sur ordinateur, piste par piste, avant d’être transposé en live. Ce n’était pas intuitif comme processus, tout est sorti de ma tête, lentement.

Je vais maintenant poser une question à laquelle vous allez surement répondre oui, mais votre passage chez  Polyphonic Spree (Novo-chorale télévangéliste soutenue par Pitchfork, la secte Aum et trois retraités sous sédatifs) en tant que guitariste, vous en conservez un bon souvenir ?

(Hésitation fugace) Oui. Tu nous as déjà vu sur scène ?

Oui. Je me souviens très bien de ce concert (Benicassim), j’avais trouvé ca très chiant.

(Interloquée, forcément) Ah bon ?

Je n’aime pas les chansons heureuses avec 20 musiciens sur scène avec des toges blanches pour faire joli et épuré.

Mmhhh je comprends. C’est tellement différent de mon univers actuel. A vivre de l’intérieur, je peux t’assurer que c’est totalement dingue, étrange. Vivre avec 25 personnes sur la route pendant plusieurs mois, c’est une expérience unique. Beaucoup plus rock que ce qu’on pourrait croire.

Revenons sur votre album, le bien nommé Actor. Le disque est très pop, mais également très cérébral, complexe, bourré de digressions, transitions (Save me from what I want, Marrow). Pensez-vous que la pop contemporaine puisse encore mentir sur ses intentions ? En tant qu’artiste, n’avez-vous pas l’impression que la musique actuelle triche avec le sentiment, tente de faire croire à l’auditeur que tout va bien lorsque plus personne n’y croit ?

Je ne connais personne qui puisse dire qu’il écrit de manière universelle. Mais je pense l’économie, le gâchis, bien évidemment le monde s’endurcit, et les artistes ne peuvent plus crier « tout le monde debout » toutes les 5 minutes. Mais la conséquence, artistique du moins, c’est un retour à l’humain non ?

La pochette de votre album, paradoxalement, va dans le sens opposé ; vous ressemblez à une poupée binaire et numérique sur cette photo, c’est assez troublant ce coté robotique.

Je te l’ai dit : j’ai tout composé sur ordinateur. C’était un clin d’œil, je ne sais pas. C’est en tout cas comme cela que je vois le monde aujourd’hui, plus humain dans un monde plus dur. L’histoire de Laughing with a mouth of blood, par exemple, c’est un jour off à Los Angeles, l’histoire véridique d’une journée passée à comater devant la TV dans un hôtel pourri avec des émissions chrétiennes, je trouvais cela totalement surréaliste.

Vous êtes sure que c’était pas un concert de Polyphonic Spree?

Ah ah ah. Quoi qu’il en soit, cela m’a fait l’effet d’une piscine sans eau.

Photos: Gaelle Riou-Kerangal

http://www.myspace.com/stvincent

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