A quoi ressemblerait un match de foot commenté par Wendy Carlos, l’héroïne sonore derrière l’Orange mécanique de Kubrick ? Kylian Mbappé aurait-il fait la même carrière s’il était tombé gamin sur les albums de Koudlam ? Et Bernard Tapie, serait-il arrivé plus vite à Valenciennes s’il avait écouté l’album du faux groupe Son Of Sòcrates ? Autant de questions auxquelles cet important disque à rallonge, « It’s Not A Matter Of Life & Death ; It’s Much More Important Than That », répond avec la même extase qu’un poteau rentrant.

Celles et ceux qui ont grandi avec l’hymne de la Ligue des Champions le savent : sous la pelouse labourée par les crampons, on trouve parfois une plage mélodique.

Cette impression de grandeur et de dépassement de soi impulsée par 22 petit points de couleur se déplaçant sur un grand terrain vert, la beauté de gestes techniques prodiguées par des mollets saillants puis cette impression de jeux romains organisées pour des foules qui auraient autant été biberonnées aux synthés MOOG qu’aux architectures d’Oscar Niemeyer, elle sort aujourd’hui du banc de touche grâce à un seul homme, à la 89ième minute. Son nom ne vous dit surement rien – c’est ce qui définit même souvent un remplaçant – mais c’est pourtant lui qui permettra d’éviter la séance de tirs au but qui a fini par faire du foot le sport le plus con du monde. L’objectif derrière le projet Son Of Sòcrates : rendre hommage au football d’avant l’arrêt Bosman et produire le premier album de « stadium-synth ». Un but ambitieux à côté du quel nettoyer toutes les marches du Temple du soleil de Machu Picchu ressemble à une partie de plaisir.

Droit au but vers le field recording

Pour celles et ceux qui seraient nés après 1995, l’arrêt Bosman désigne ce moment crucial après lequel le secteur du football fut déréglementé, puisque ledit arrêt brisera l’obligation de limiter le nombre de joueurs internationaux dans une même équipe. La définition même d’un avant et d’un après pour le secteur du ballon rond, et semblable au timelapse d’une pyramide qui s’effondrerait sur elle-même, et entrainant avec elle tous ses bâtisseurs. Même époque, le syndrome de libéralisation capitaliste contaminera peu à peu tous les pans de la société, et ce n’est surement pas un hasard si Tapie fut condamné dans l’affaire OM-VA la même année que la promulgation de l’arrêt Bosman, avec cette phrase culte aux faux airs de punchline : « J’ai menti, mais c’était de bonne foi ».

Ce principe du mensonge éclairé, on le retrouve aujourd’hui sur « It’s Not A Matter Of Life & Death ; It’s Much More Important Than That », un plus-que-disque de 16 titres produit à mi-chemin entre Marseille, Achères et Montevideo et « composé à partir de synthés et de captations sonores dans différents stades d’Europe et d’Amérique du Sud ». La base du field recording, en somme, et qui parvient ici à transfigurer la vox populi en opus dei. Que dire, si ce n’est que c’est d’une beauté déconcertante, même pour celles et ceux qui ont le football en horreur ?

Produire le premier album expérimental sur le foot

Si Mogwai s’était déjà essayé en 2006 à la musique de stade avec la bande originale de Zidane, un portrait du XXIe siècle, rares sont ceux à s’être collés à l’exercice de l’ambient pour tibias et autres passements de jambes. « Très présent dans le rock, le football est absent de l’ambient et de l’expérimental explique le communiqué presse. Il apparaissait donc comme un défi de réaliser un album sur ce thème ». Inutile de préciser que, sortant de nulle part, le résultat équivaut à un 10-0 en faveur de Son of Sòcrates. Ici (End of the day), on imagine un match martien dans une suite de Blade Runner, là (Match of the day), des prolongations jouées par des anges en maillots Décathlon et puis là-bas, tout au fond, une sorte de thriller politique entre arbitres robotiques se disputant sur un hors-jeu (A Rainy Saturday Afternoon At Elland Road). Partout, c’est l’ombre des synthés de Koudlam qui plane, auxquelles on pourrait rajouter celles du compositeur de library Mort Garson, mais aussi les musiques des Mystérieuses cités d’or et même La Düsseldorf (qui déjà en 1976 s’amusait à sampler les chants de stade sur un titre éponyme).

Au casting de ce film en shorts, section hommage, on trouve des noms emblématiques comme Rino DellaNegra, Megan Rapinoe et bien sûr Sócrates qui, outre le fait d’avoir été l’un des joueurs les plus fameux du Brésil, fut aussi l’un des créateurs de la « démocratie corinthiane » (du nom de son club, les Corinthians de Sao Paulo) où fut expérimentée une politique d’autogestion où chaque décision liée à la vie du club était désormais soumise au vote des joueurs. Un titre de l’album raconte sans paroles cette expérience, et rien que cela devrait suffire à se jeter sans appréhension sur cet ovni discal pas vraiment composé avec les pieds.

On rêve désormais que ce disque-hommage « aux après-midis d’automne passée sur le champ de patates à côté du pavillon familial ou encore celui des derbys de quatrième division dans l’Angleterre ouvrière » puisse trouver sa plage sur quelques étagères au format vinyle. Il est pour l’heure uniquement disponible en format digital et K7, en édition plus que collector. De quoi nous conforter dans l’idée qu’on vient d’assister à un incroyable match où l’on aurait été le seul spectateur.

Son of Socrates // It’s Not A Matter Of Life & Death ; It’s Much More Important Than That // Coeur Sur Toi Records, Lotophagus Records et Veinte 33 Records 

https://lotophagusrecords.bandcamp.com/album/its-not-a-matter-of-life-death-its-much-more-important-than-that-2

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