Depuis la nuit des temps, et bien avant que l’Homme n’invente les jérémiades semi-protestantes entonnées avec une plume de merlan frit coincé au fond du rectum et une guitare folk coincée entre les genoux, les mauvaises raisons d’aimer un bon disque n’ont jamais manqué. L’inverse non plus d’ailleurs ; à trop s’esquinter les yeux sur des chroniques dithyrambiques de groupes surestimés, on en perdrait presque la vue. Et pendant que la lune brille de milles feux pour trois aveugles touchés par la grâce, c’est le brouillard complet pour les Terriens. Le brouillard, vous dites ? Non, Smoke Fairies.

Le disque des deux Anglaises est pour le moins passé inaperçu. Jusqu’à la sortie en septembre dernier de leur Through low light and trees – faire une traduction exigeante de ce titre ne serait pas rendre hommage au groupe, j’en conviens – on s’était sommairement arrêté à l’idée qu’être une femme en Angleterre, une rockeuse qui plus est, se limitait désormais à rincer les verres de Guinness avec, pourquoi pas, une tournante de fin de soirée avec les alcooliques anonymes. Et depuis, finalement, pas de changement ou presque. Les disques continuent à tomber comme des feuilles mortes, les noms s’oublient plus vite qu’un repas chez Flunch et le blues anglais de Katerine et Jessica – nos deux héroïnes du jour – continue de foutre le bourdon, plus de six mois après sa naissance.

La chronique est ingrate, certains diront que c’est un art complexe, mais cela reste un piètre exercice, ingrat par définition, où le critique, à trop vouloir bien faire, finit souvent pas trop en dire. Le cul posé face aux douze compositions vaporeuses du binôme féminin, l’excitation et la verve auront bien du mal à retranscrire le soulèvement de cœur inspiré par Devil in my mind et les autres chansons celtiques qui jonchent la forêt des deux jouvencelles. On écrira, en d’autres termes et pour faire court, que Smoke Fairies fait partie de ces boutures qui plongent les mains dans le terreau anglais, à la recherche de leurs propres racines. Que par blues, on entend surtout les ancêtres. Que la production épurée, dépouillée, fait la part belle aux arrangements, aux grincements de guitare, et que les voix de nos deux elfes ont plus à voir avec la Cornouaille qu’avec le brouhaha mercantile de Carnaby Street. Un Produit Intérieur Brut, en quelque sorte, façonné à la main, idéal pour les fins de soirée avec quelques vierges en guise de bougies. Plutôt que dévaler davantage la pente des métaphores douteuses, j’ai préféré lister quelques bonnes raisons de s’attarder sur ce bon disque :

1. Les critiques publiées sur Through low light and trees se comptent sur les doigts d’une main. Un premier indice qui démontrera aux supporters de Smoke Fairies que les médias sont passés à coté d’une mine, que les autres sont désespérément plus intéressés par l’électro pédophile et le rock à gyrophare que par l’artisanat made in England. Quand le sage pointe la lune, l’imbécile regarde le doigt ; on en conclut subjectivement que quelque chose a merdé sur ce disque. Puisque lui est irréprochable, qui est le coupable ?

2. Franchement, Through low light and trees est un disque de lopette. Les trois quarts d’arpèges, le reste en riff mid-tempo et le tout saupoudré des chœurs angéliques de deux Anglaises à rapprocher des Corrs, pour le côté « tourisme celtique ». Si Smoke Fairies était un monument, ce serait très certainement l’un des châteaux visités par des bus entiers d’Allemands à sandalettes. Tant pis, on signe quand même : grand disque.

3. Arrivé à la troisième piste (Hotel Room), l’auditeur aura déjà pensé trois fois à Susan Boyle enregistrant avec Fairport Convention et peut-être même allumé un encens parfumé au cèdre pour relaxer ses membres. C’est ce qu’on appelle un album écologique ; pour sûr les deux nymphettes n’ont pas du faire exploser le compteur EDF.

4. Ce disque est mille fois plus intéressant, harmoniquement, que l’intégrale de Mogwai. Petite didascalie gratuite adressée aux fans de Mogwai : lâchez les pantashorts, rangez le maquillage militaire, convertissez-vous au folk anglais pur souche plutôt que de mollement vous user les poignets sur ce misérable groupe de quarantenaires aux looks de plombiers.

5. Aurores boréales, éclaircies luminescentes, mélodies boisées et disque à écouter par jour de pluie, le dimanche si possible ; le marronnier lexical ne manque pas pour décrire Through low light and trees ; pas sûr pour autant que ça vous donne envie d’y plonger.

6. Quelques fois et par temps de pluie justement, on ressent le besoin de s’isoler avec un disque pour éponger ses doutes, sa tristesse ou ses remords. Dès lors, on agit tel un tueur en série, répétant les gestes méthodiques et mille fois répétés : sortir le vinyle de sa pochette, relever le bras du tourne-disque, poser le saphir, allumer une cigarette et détendre les muscles. Littéralement : to let go. S’évader, s’oublier.

7. Les deux couineuses ont de beaux parrains : Richard Hawley et Bryan Ferry. Ca devrait suffire à la fange raffinée (ceux qui ne rangent pas la chemise dans le pantalon sont automatiquement exclus, merci) pour se ruer sur ce deuxième album. Aucun échange accepté et pas de garantie, désolé, démerdez-vous avec ça.

8. Jack White a produit un de leurs titres (Gastown/Riversong) et par les temps qui courent, c’est plutôt encourageant. Depuis que le gros Jacko est vidé de sa sève, les jolies fleurs poussent aux pieds de son ombre ventripotente. Jack White, définitivement un tronc d’arbre qui cache la forêt noire.

9. Strange Moon Rising est un parfait exemple de blues à l’anglaise, de cordes grasses ficelées dans un écrin, doux souvenir de ce temps où ProTools n’existait pas et où les musiciennes (de Carole King à Vashti Bunyan) susurraient en prise directe sans artifice. Les lecteurs de Rock & Folk apprécieront, et il se pourrait même qu’on parvienne à sortir les fans de Midlake de leur coma léthargique.

10. Disque de luthier composé par des musiciennes fringuées comme des femmes enceintes, pochette très Blair Witch… Vu depuis la France, Through low light and trees sent bon l’Angleterre qu’on a mille fois fantasmé mais jamais touché des doigts. Et tant qu’à courir après des fantômes, autant éviter les boulets. Du smog anglais, vous dites ? Non, Smoke Fairies.

Smoke Fairies // Through low light and trees // V2 (Coop)
http://www.myspace.com/smokefairies

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