C’est une grande affaire que celle d’un rock’n roll pur qui serait à la fois frais et respectueux de ses racines. Pour partie c’est une affaire de fantômes mais c’est aussi une histoire d’animaux. Par chance, on en a retrouvé un spécimen dit « Singe Chromés » venu tout droit de Mulhouse qui à l’heure d’un concert parisien a bien voulu s'y coller et se laisser interviewer.

a1044275830_10C’est un duo qui ferait presque parodie. Surtout si on le regarde de cet oeil de dandy déboussolé qui se raccroche aux branches de la rock-critique en prenant des airs énamourés. Et vraiment, c’est quelque chose que je peux faire, sans trop y penser. Du coup, croiser des mecs de Mulhouse, ça a tout de suite été une aubaine à ne pas manquer, une occasion de prendre l’air et d’ouvrir grand la fenêtre anti-clichés. Mulhouse non je ne connais pas et ce que j’en voyais pour commencer c’était un jeune mec taiseux, accroché à sa basse qui tendait une oreille entraînée. A quoi ? Sans doute aux messages de l’au-delà cognant sec et droit dans la tête du vieux rouquin qui lui me tournait le dos. Un type dont je comprenais par déduction (dans le cas d’un duo, c’est assez simple) qu’il était bien celui qui tirait les ficelles du bazar dit Singe Chromés.
Venu de Mulhouse donc, un duo improbable d’un type de 30 ans et d’un autre de 50, auteurs d’un album de rock qui tranchait par sa clairvoyance, en dépit de fausses apparences de bordel organisé. Plus tard, ils insisteront sur le fait que le rock’n’roll « c’est bancal, c’est court et généralement ça fait un peu de bruit ». Pour autant, l’album frappe par sa puissance souveraine, sa désarçonnant simplicité ; en langage savant ça se traduirait par « épuré » (minimalisme et boite à rythmes cf le duo Suicide). Mais on pourrait tout aussi bien y trouver une certaine  placidité comme si derrière le singe chromé se cachait la vache qui rumine, ou plutôt le lama qui médite avant de … Vous savez, comme dans « Tintin au Tibet » Bref Singe Chromés, je connaissais leur disque par cœur avant de me pointer dans ce bar du dix neuvième arrondissement, le bar 61 où le duo allait jouer ce qui sur disque sonnait incroyablement rugueux et chaleureux comme tout ce que l’on peut imaginer de rugueux et chaleureux, et d’abord le sexe la drogue et le rock’n roll. La bière évidemment reste à la pression.

La planète du Singe

Singe chromés avec un “s” comme le rappelle toujours l’éditeur Mediapop sans préciser pourquoi, juste pour dire sans doute que c’est plus compliqué cette histoire débutée à Mulhouse, dans ce sud de l’Alsace où, en cherchant bien, on trouverait sûrement quelques vieux fantômes du rock. D’abord un vrai goût pour la musique metal ensuite, un passé industriel qui ramène le rock du côté de l’Angleterre, celui des Buzzocks (pour le groove métallique de Why Can’t I take it ?) et celui de Joy Division (pour le chant reptilien de Body and soul). Alors on aurait donc Mulhouse en Manchester française et en même temps pas très française, mais plutôt Suisse Allemande dans le passé et, aujourd’hui, composée de pas moins de 136 nationalités, essentiellement des gens de moins de 35 ans qui en usent régulièrement les trottoirs « post-industriels » sur lesquels il faut bien l’avouer je n’ai jamais mis les pieds. Une Manchester de France épidermique et alsacienne qui regarde de très haut la capitale strasbourgeoise et son méli-mélo européen qui visiblement peut aller se faire foutre.

Singe Chromés donc à Paris et en balance si tant est qu’il faille balancer lorsqu’on joue à deux alors que tout est clair, forcément évident. Comme disait un jour Patrice Cartier du Michel Cloup duo alors que je lui posais la question;  “un duo c’est une petite cuisine, on sait parfaitement où sont rangés les ustensiles et on fait notre popote nickel, sans y penser”. Michel Cloup donc, on pourrait y ajouter le groupe Mendelssohn pour tenir avec Singe chromés un trio magnifique de bâtards de Province reprenant l’histoire là où on l’avait laissé, dans cette tension sépulcrale qui finit par réveiller les hormones endormies des filles et des garçons dandys (ou plutôt zombies). Disons que ce singe est un peu la combustion improbable d’un timbre poste et d’une pièce de métal. Un duo d’adoption, père et fils en rôles de composition qui bricolent une alliance entre le rock de la fin des années 60 et celui des années 90. Un machin polymorphe fait de rythmes syncopés et de moments de grâce : voix en avant qui vient dérégler l’équilibre précaires couplet/solo, bousculade d’un piano boogie sur une clameur keupon. Plus loin, le hululement d’un violoncelle qui roule dans la nuit lorsque la petite amie dit « je t’en prie, coupe les phares » On se croirait presque dans un film de Claire Denis, la scène finale des très toxiques « Salauds » qui fait écho de loin en loin à la musique du duo. Disons qu’on est là, entre « spectateurs avertis » ; la gueule de métèque de Moustaki mais avec un cocktail punk avalé par un Brett Easton Elis repenti (période Lunar Park).

« On aurait tout aussi bien pu s’appeler les moineaux en plastique. »

Singe Chromés, arrêtons de leur jeter des fleurs (de métal), c’est donc ce jeune Mathieu Gettliffe qui joue et réalise le disque que l’on dira intouchable (au sens de la caste), et qui porte ces monts et merveilles tout à la gloire du fameux Denis Scheubel dont le visage et le corps disent à peu près tout ce qui pourrait être perçu à hauteur du dicible alors inutile d’en rajouter. A la limite, peut-on évoquer sa silhouette souple et osseuse de petit singe habile dont le chrome apparaît en effet tout en reflets, le blanc pour le noir, le noir pour le blanc dans une sorte d’art de l’esquive qui fait résistance et que l’intéressé va résumer en ces termes : « une tendance naturelle de l’homme à vouloir évoluer pour se protéger des éléments qui fait d’un singe chromé un singe qui refuse d’être un singe mais qui se regardant dans le miroir voit bien ce qu’il est vraiment » Un singe donc. Et de préciser : « j’ai beaucoup d’affection pour les animaux, d’amour même et de plus en plus. Les singes me fascinent mais attention, les moineaux aussi. On aurait tout aussi bien pu s’appeler les moineaux en plastique ».
Mais c’est quand même les singes d’abord, les singes encore j’ai envie de lui dire puisque très vite il est question de Pépée, la guenon tyrannique de Léo Ferré, celui qui était « comme de la dynamite » (cf. son grand ami Gino Paoli). Ferré à qui l’on pense tout de suite, mais moins pour « Pépée » que pour ses « Armes » dont s’était déjà saisies ce grizzly aigrefin de Bertrand Cantat. « Des armes, des chouettes, des brillantes des qu’il faut nettoyer souvent pour le plaisir et qu’il faut caresser comme pour le plaisir l’Autre, celui qui fait rêver les communiantes” Des hommes, des armes, on reconnaît l’évidence et Denis le premier, même s’il confesse une enfance baignée dans le Brel de ses parents qui a clairement fait masse devant l’Autre, “ plus grand” mais plus dangereux aussi. “Ecouter Ferré, ça vous amène dans de telle région de l’intérieur mais aussi de l’extérieur … moi je me bats tout le temps contre un naturel mélancolique et donc il y a des jours où vaut mieux pas. Ecouter Léo Ferré le soir de son anniversaire dans une mansarde en buvant du vin rouge, ça peut être nocif…”

http://youtu.be/ShX8ckeD1bY

Même les singes tombent des arbres

singe-chromes-ok-coral-qodeComme dit le Proverbe japonais : “même les singes tombent des arbres”, chromés ou pas chromés. Pour l’heure on est encore en balance et forcément ça finit par coincer. Oh, pas grand chose, juste une micro tension, un petit manque de confiance en soi sur lequel Denis reviendra plus tard, (“quand il y a de l’ambiance ça va mais quand il n’y en a pas, je ne me sens pas forcément capable de la mettre tout seul”) Pas forcément toujours capable d’être soi, d’être dans son self, ce putain de self en l’occurrence ici un petit dilemme technique qui va l’inciter à réduire la portée de sa voix qu’il porte pourtant avec prestance, une voix à la fois narquoise et décalée, hésitant entre premier et second degré. Une voix sur laquelle je m’extasie micro ouvert, après l’avoir entraîné lui et son comparse aux bords du canal de l’Ourcq en plein coup de feu bobo. Il est alors un peu plus de dix huit heure et le singe parle de la lumière comme de quelque chose « d’orange, de glacée et de bienveillant » Moi qui voyast une sorte de Bruxelles en méditerranée je reste bouche bée (moineau en plastique ?) micro tendu aux couleurs de Radio France qui fait aimant, magnétique magnéto, captant soudain très clairement les chuchotements et les rires minéraux de ceux et celles qui nous frôlent. Mathieu Gettliffe lui est toujours stoïque et silencieux tandis que Denis finit par dire qu’il ne lui manque qu’une seule chose, présentement, et c’est l’odeur de la « poiscaille », l’odeur de sa famille de marins dispersés entre Brest et Sète dont il aimerait parfois partager le quotidien sur « La Jeanne », le bon vieux rafiot des cousins Scheubel. On finit par comprendre que « ça a été à deux doigts », ce qui n’est guère étonnant puisqu’il y a dans la dure vie de marin quelque chose qui va chercher du côté l’esthétique du rock :  le compagnonnage viril loin des femmes et du morne quotidien, le primat de l’alcool et de la drogue avalée pour se donner du courage lorsqu’il faut trier le poisson mort au fond de la cale avec trois types qui se mettent à dégueuler. Un voisinage glauque couleur chromée que l’on sent venir entre murmure et mantra dans le franc parlé chanté du singe. Cette voix que l’on se prend en plein visage et qui porte plutôt joliment ses habits de deuil (la petite robe noire des fantômes ?). Cette voix, dit le singe, « assez changeante, et assez fragile aussi … C’est un peu comme les chromosomes, toute l’histoire de notre vie est dans notre voix et la mienne porte un certain nombre de choses vécues; ça commencerait par des déchirements, des joies bizarres, des poisons, des 40 clopes par jour, des choses comme ça » … Et à 20 ans alors, ça donnait quoi  ? « Eh bien ça montait nettement plus haut dans les aigus »  Il y a des trucs comme ça que l’on ne peut faire qu’à 20 ou 30 ans mais il y en a d’autres en revanche qu’on ne pourra aborder qu’une fois passée les 50, une fois que l’on s’est allégé des fantasmes et projections narcissiques d’antan. Que serait donc Niels Arestrup s’il n’était pas vieux ? Que feraient les ténors vieillissants s’il n’y avait pas Othello ? Et, surtout, que peut bien penser Matthieu ? Le Singe rompt le silence pour expliquer qu’il n’a pas d’enfants, mais qu’il en aurait voulu cinq (comme dans Le club des cinq)… Et moi de lui glisser gentiment que c’est toujours possible. Et lui d’acquiescer, « techniquement oui » pour finalement conclure, « après vous savez, on tombe amoureux et puis on sait pas, la voix elle revient. Faut croire que tout est possible« . Alors là, vraiment, plus chromé tu meurs…

Rencontre entre le prolétariat du tertiaire et les paysans électriques

C’est bientôt l’heure du concert ; on remonte le quai de l’Oise au moment où les étudiants de l’école de cinéma, le « conservatoire libre du cinéma français » (ça ne s’invente pas)  font leur sortie, se mélangeant pour l’occasion au peuple de la périphérie. Il y a là une brochette de joggeurs et de traînards venus d’un peu plus haut, de cette banlieue dont en général on préfère taire le nom parce que trop inculte le dandy, parce que trop nul en géographie. Parce que c’est vrai,  je ne vois pas beaucoup plus loin que l’angle de la rue et du quai de l’Oise… J’ai peut être une idée vague comme « Nord, Nord est » ? C’est ici, dans cette duplicité parisienne, cette dilatation urbaine que Singe Chromés est donc venu jouer sa musique de western qui fait rêver les buveurs de bière. Le soir précédent, ils étaient à l’International devant une salle un peu clairsemée mais bienveillante, rapidement tombée sous le charme du venin simien toujours prêt à jaillir pour tirer sur la corde et chercher l’embardée sur la bande d’arrêt d’urgence, au dessus de la vitesse autorisée.
Et ça recommence ce soir, avec des regards qui captent tout de suite l’idée, ce « quelque chose que l’on a fait parce que l’on n’avait pas le choix » Alors viennent les messages du corps, les parfums qui diffractent et attirent l’attention ; les yeux dans les yeux, dans le magnétisme corporel de ceux qui se laissent bercer par ce blues de punk susurré largement en français dans l’oreille de filles bien disposées et souvent désargentées. « On n’a nulle part ou aller, en fait on est déjà arrivés… on l’aime la vie, on vous aime et on s’aime » (On roule dans la nuit) A cette précarité qui perle tout en finesse sur cette poignée de citoyennes plus ou moins alcoolisées répond la dignité des hommes de métal. Ce n’est pas la cour des Miracles non, mais plutôt la rencontre entre le prolétariat du tertiaire et les paysans électriques. Denis, seul, parlant son langage de singe puis Matthieu qui vient le rejoindre et remplit la pièce d’électricité. En quelques morceaux, apparaît la cathédrale que ces deux bassistes de formation bâtissent en deux temps trois mouvements. Très vite ils tiennent la maison et le chrome animal se met à sentir la tôle de bagnole, l’huile de moteur et l’éloge du point mort. Très vite c’est un claquement de portières et des constats à l’amiable que l’on rédige un peu bourré sous un soleil de soir d’été.

10175082_226512734211464_2108278437448363366_nDans la foulée, on comprend que ce que raconte Denis, c’est ce quelque chose qui n’existe plus, ce chrome des voitures qui luisent au soleil, l’année 1975 où toute la famille part de Mulhouse pour visiter Paris et le souvenir qui fait tattoo. Singe Chromés où l’histoire de ce qui reste lorsque tout à disparu (“Trace back” me disait une anglaise qui cherchait le mot), cette figure masculine restée debout et faisant la fierté des filles devenues femmes. Des qui disent rien et d’autres qui disent oui je veux bien, on va voir ce que ça donne le chrome du Singe qui tourne au roadmovie. Films et même “micro-films” Des petites histoires dont peut être – le singe a encore un doute – « on ne sortira pas ». En l’espèce, le concert est tout entier traversé par la vibration automobile que ce soit l’instant suspendu qui « roule dans la nuit », au carrefour de la vie et la mort ou la force d’attraction de l’accident dans la collision tragique (Mythe) décrite plus métaphoriquement en dispute amoureuse avec Le silence est d’or… “Dors en paix jusqu’au matin je tiens ta main… Le silence est dur quand les choses à dire se mettent à courir vers le mur tapissé de velours… “ Et ça débraie encore sur le mode shooteuse avec Astéroïde et son harmonica ricanant, peut-être avec Poisons, le plus grand morceau du disque “en panne de textes devant une station essence, des airs plein la DS et des absences… je te regarde, me résigne à l’impact puis roule vers cette plage blanche… j’emprunte l’artère où ton règne incite Astéroïde”.  Et voilà, c’est à peu près tout parce qu’il faut bien en finir, parce qu’aujourd’hui « les concerts sont toujours plus courts ». Et franchement, c’est très bien comme ça.

Singe chromés // Singe chromés //  MediaPop éditions
http://singechromes.bandcamp.com

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