Il est grand, n'est pas vraiment beau, ne sent pas le sable chaud, mais Jonathan Meiburg ressemble à son groupe, Shearwater. Un physique à dévisser les ampoules en s'interrogeant

Il est grand, n’est pas vraiment beau, ne sent pas le sable chaud, mais Jonathan Meiburg ressemble à son groupe, Shearwater. Un physique à dévisser les ampoules en s’interrogeant sur l’origine du monde, un look à traîner sur les campus américains pour réhabiliter Talk Talk et les énergies renouvelables; pas étonnant que leur sixième disque parle d’archipel et d’écologie quand le destin de Shearwater se dessine lui-même en pointillé. Comme les contours d’une île déserte.

Pas d’inquiétude, pourtant. Les auditeurs, les fidèles, ceux qui suivent le groupe depuis presque dix ans, sauront retrouver le disque à la nage, à force de dos crawlés sur plusieurs mélodies aquatiques du meilleur cru. A la différence de Rook, l’avant-dernier disque à la gueule de bois (au sens littéral, on discerne un séquoia sur la jaquette), The Golden Archipelago parviendrait presque à se hisser au niveau des rayons de soleil de Palo Santo, sorti en 2006. Réponse posthume du berger texan (Meiburg) à la bergère d’Oxford (Thom Yorke), Palo Santo reste pour beaucoup (moi y compris, on doit être 50 sur Paris et ses alentours) ce que l’indie US fit de mieux avant de se tirer une balle dans le pied avec l’harmonica en guise de suppositoire. « Et pourtant le disque ne s’est pas vendu, un four en France » confie l’attaché de presse. Tout cela, c’était il y a quatre ans déjà; je découvrais les cries d’Orphaie de Shearwater et le physique imberbe du chanteur sur un bord de Seine, une voix d’ange qui percutait les guitares endormies et un disque à placer près du coeur en levant la main droite pour dire la vérité. « Ouais m’dame, je le jure ».

Janvier 2010. Pas de bol aujourd’hui, c’est couleur grise chez Beggars France, Jay Reatard vient de mourir. La nouvelle a déjà fait le tour de tous les réseaux Facebook, la sphère a troqué les briquets contre un statut en R.I.P. et on entendrait presque le bruit des pneus mouillés qui crissent à l’extérieur. Silence de mort. « C’était un mec hyper doué, je me rappelle, c’est moi qui ai sorti son premier disque, beaucoup de talent gâché » confie l’attaché de presse de chez Beggars, raccord sur la couleur morne. Silence. A force d’apprendre qu’untel et untel ont été refroidis pour des milliers de raisons viables, on ne s’étonne plus vraiment. On aurait presque envie de dire que « c’est pas grave baby, qu’il y en aura d’autres des rockeurs morts, qui faut pas en faire une maladie ». Le problème, c’est que je connais pas Jay et que j’ai un train de Reatard. Voilà le genre de blagues qu’on ne pourra pas faire aujourd’hui. Et puis on n’est pas là pour ça d’ailleurs, on est venu converser avec Meiburg de son sixième disque, du pourquoi du comment, parce que The Golden Archipelago devrait s’écouter comme « le troisième volet (après Palo santo et Rook) du triptyque consacré à l’impact de l’homme sur la nature », dixit la bio. Un concept-album sur l’écologie et la fin du monde tel que nous le connaissons (REM a déjà fait le coup, attention), merde, ça commence mal. Et bien évidemment, c’est tout le contraire.

« Okkervil River, c’est une histoire de huit ans, mais j’étais arrivé à ce stade où le besoin de composer par moi-même était devenu trop important ». Après Palo Santo et Rook écrits Jonathan a donc décidé de prendre le large, couper les racines. Exit Okkervil River, le groupe qu’il co-fonda avec Will Sheff en 1998, et place à Shearwater, longtemps considéré comme un side-project mais fonctionnant désormais à plein régime, à voile et à vapeur, c’est selon. A voile ici, embarqué plusieurs mois à bord de bateaux scientifiques, Jonathan Meiburg décide de défricher les terrains vierges et prend le temps de réfléchir sur le monde qui va mal à cause des méchants qui polluent alors que plus loin les pingouins crèvent. Dit ainsi, le mythe du « concept album prise de conscience » tombe à l’eau. Car avant d’être un manifeste pour la survie des otaries ou toute autre connerie alter-mondialiste, The Golden Archipelago est avant tout un disque lyrique, orchestré, précis, qui tire de l’intimité des pianos, des guitares, des soupirs, quelques moments de beauté. Il est grand, n’est pas vraiment beau, ne sent pas le sable chaud, mais Jonathan semble plutôt d’accord avec mon pitch d’introduction: « Le but n’était pas de réaliser un disque concept à la Genesis, genre The lamb lies down on Broadway, même si je suis très fan de Peter Gabriel, surtout avant So (1986, NDR). Et donc bref, il se trouve que j’ai eu la chance de passer un an à explorer des îles vierges, des terres où je pense qu’aucun homme n’avait été avant moi. Après avoir visiter ces archipels, je suis revenu bouleversé, humainement. Cela m’a inspiré The Golden Archipelago. Sur ces îles, l’homme est un animal, tu sais? »

Le sentiment de solitude, l’abandon de soi, tout se retrouve sur la troisième plage abandonnée, Landscape at speed, et sa mélodie corail typique du songwriting de Shearwater: Un piano en accords plaqués, une rythmique au SMIC (comprendre: qui fait le minimum syndical), une batterie tribale et nostalgique emmenée par un Vendredi sans son Crusoé et la voix de Meiburg, comme un guide en eaux troubles. Superbe, intriguant et discret, l’échappée piano solo de Hidden Lakes s’enfile comme une perle, un exact contraire de Palo Santo, plus calme et moins enragé, s’offrant à l’auditeur comme le son des récifs dans les coquillages. Ce disque, c’est sûr, il faudra du temps pour en deviner les contours, y revenir patiemment au gré des marées.

Sur l’axe Palo Santo /Rook/The golden Archipelago, on note aussi le chiffre 3. Trinité sur la nature et son créateur, trinité sur la destruction, trois albums pour l’un des groupes les plus fins et complexes de la scène indie américaine qui, pour cette simple raison, s’abandonne désormais sur le bas-côté comme une tortue renversée. Qu’importe, Jonathan compose sans trop réfléchir: « Au départ, je n’ai pas vu ces trois albums comme un triptyque, j’aimais simplement la façon dont sonnent les derniers disques de Talk Talk, ils s’écoutaient comme un bloc, une seule pièce où toutes les chansons s’emboîtent dans le même esprit. J’aimais cette idée, ce concept, d’une harmonie continue ». La terre meurt, c’est triste. C’est un fait. Faut-il pour autant bassiner le mélomane avec les hydrocarbures ou calculer la dépense de Co2 de sa tournée comme Thom Yorke? Pas sûr. Pensé comme un message, The Golden Archipelago reste fidèle à l’ambition: Etre un album. Un putain de bon album pour une ballade en voilier à l’autre bout du monde. Avouez que cela arrive rarement.

Qu’on soit perdu sur une île ou qu’on écoute un bon disque, impossible d’éviter les orages. Selon la période, on aurait même tendance à les chercher, les provoquer, faire tomber la pluie, les larmes ou tout autre liquide. Sur The Golden Archipelago, c’est God made Me qui joue ce rôle d’exutoire, porté par une guitare en paratonnerre pour collecter les foudres. Etonnamment, la chanson n’est pas d’obédience chrétienne (encore que…) mais puise son inspiration dans -roulement de tambours- l’histoire polynésienne et les premiers essais nucléaires sur le bout de terre perdu au milieu de l’océan : « Au début du disque, sur Meridian, tu peux entendre l’hymne national des habitants de l’atoll des bikinis. Tout est parti de là, parce qu’ils furent expulsés de leur île en 1946 par les officiers de la Navy américaine après que le leader de l’atoll ait négocié en vain. En rentrant sur son île, Judas – le nom du leader polynésien – eut ces mots pour son peuple: « Everything is in the hands of god ».  La phrase restera sur le drapeau des atolls, comme un slogan, et la bombe explosera comme prévu. « God only knows », comme le chantera vingt ans plus tard Brian Wilson… mais écouter God made me en connaissant l’histoire des papous sans domicile fixe donnerait presque des frissons. The Golden Archipelago, ce n’est pas l’interaction de l’homme avec la nature, plutôt du musicien avec son époque. Appelez ça un concept album, un manifeste écolo ou un Cd juste bien branlé, c’est idem. Une preuve du temps qui passe, rien de plus. Parce que dans vingt ans on se souviendra également de cette époque où les musiciens composaient des chansons avec le bas du ventre. On aura alors arrêté la laque pour les cheveux (l’ozone les mecs…), les blockbusters fin de monde seront devenus ringards et les robots composeront des odes aux tableurs Excel, bref, rien d’important. Tout, finalement, reste dans les mains de qui vous savez. Et pas sûr qu’il sente le sable chaud.

Shearwater est-il l’injuste oublié des années 2000, groupe laissé à la dérivé par les courants chauds du mainstream? Dieu seul sait.

Trois jours d’enregistrement au Texas, des roucoulades à faire pâlir Bono et Chris Martin et l’ambition d’un Peter Gabriel sans les défauts, le sixième disque de Shearwater est lui aussi une île perdue dans d’autres atolls. Sorte de transition entre Palo Santo et un grand point d’interrogation: « Je ne vois pas d’avenir pour la terre, du moins pas pour ses habitants, mais je ne voulais pas que le disque sonne « pathos », il fallait que les mélodies soient plus complexes, car on peut aimer le mélange, et pas forcément uniquement du sel ou du sucre ». Un « no futur » à la saveur d’aigre-doux, pas vraiment rock, pas vraiment écolo, même pas parfait de bout en bout, mais qui sonne comme un refuge. Un disque en forme d’abri anti-atomique avec des palmiers tout autour qui en annonce d’autres, des moins verts et des plus mûrs; un groupe à suivre sur la longueur, soit l’exact contraire des pétards mouillés de l’Oncle Sam.
En page 4 de l’édition du Monde daté du 5 avril 2010, on apprenait ce matin que les exilés de l’archipel des Chagos, expulsés en 1965 pour permettre l’installation d’une base militaire américaine, ne retrouveraient pas leurs terres. Motif: Les îles Chagos sont depuis devenues une réserve maritime protégée où l’homme n’est plus le bienvenu. « Sur ces îles, l’homme est un animal » dit Jonathan Meiburg en riant du paradoxe; reste donc à savoir sur quel sable poser ses pieds, quand on a le cul entre deux terres.

Shearwater // The Golden Archipelago // Beggars
http://www.myspace.com/shearwater

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