Quand j’ai commencé ce boulot de résistant, on voulait nous convaincre que Kyo, Tokio Hotel et Kinito étaient la relève du rock. Moi je venais de découvrir Daniel Johnston avec une décennie de retard, mais aujourd’hui on dirait que c’était il y a un siècle. Le home-studio contre le home-made – la guerre ne faisait pas rage du tout. Et si tu savais jouer de la guitare sans connaître les bons plugins pour Ableton Live, on te riait au tarin. Vous pouvez baver tout le revival rock que vous voulez, folk à barbe ou post-punk à moustaches, tout ça pue le déo mais jamais l’aisselle. Les groupes sont autant de PME se réunissant le mardi pour trancher sur la question du wording du nouvel EP (digital only) et faisant charrette le jeudi soir pour terminer la jaquette sur un Photoshop récupéré par Megaupload. Je t’en prie YouTube, fais un effort, efface ce clip qui n’offense aucun copyright mais est une insulte à 50 ans d’histoire culturelle.
J’ai commencé à en avoir assez qu’on me fasse remarquer le plâtre sur mes fringues et non pas la cloison que j’avais érigée (avec mes confrères). Lentement, j’ai lâché l’affaire, décroché, refusant d’abord les disques qu’on se proposait de m’envoyer, puis les interviews. Puis les mails. J’ai reposé les outils et j’envisageais de partir me laver les mains. Plus grave, assis dans le TGV Méditerranée pour interviewer quelque sommité négligeable, j’ai pris conscience que je m’enterrais dans cette vision-là ; que je devenais le mineur chilien qui se laisse glisser au lieu de sortir de son trou. Je ne me gardais que les vieux, les rescapés d’un âge sinon doré, au moins farouche. Oui, des Rahan du rock, des types qu’on peut cuisiner des heures et qui ont une vie et un avis, pas juste des prétentions de salaire, des idées de concept-band et des logos. Comme je l’ai dit à un photographe ce soir-là en rigolant à moitié pour masquer ma gêne :
« Je suis comme Perceval dans Kaamelott : je ne m’intéresse qu’aux vieux. Les autres ne me font plus peur. »
Ouaip, je devenais anti-jeunes. Un con, en un mot. Vous savez, de ceux qui pensent qu’ils savent déjà tout, non pas par vanité mais parce qu’ils ne trouvent personne qui puisse leur prouver le contraire. Enfin personne de plus jeune qu’eux. Docteur, vous croyez que je me cherche un père ? Est-ce là la source de ces railleries ? Pardon ? Ah c’est pas ici le rayon quincaillerie ? Veuillez m’excuser. Et me revoilà traînant le pas vers le rayon carrelage.
C’était il y a trois semaines, et je pourrais aujourd’hui attendre, blasé, de m’enfoncer dans les (sacs de) sables mouvants jusqu’à ce qu’ils aient empli mes oreilles pour ainsi être libéré de l’obligation d’écouter une actualité musicale prétendument importante. Mais non. J’ai été sauvé. Un jeune con m’a mis une claque rédemptrice. Un parpaing salvateur dans le bide – l’enfoiré connaissait mon point faible. Tandis que j’étais occupé à rajouter de la bière à mon ciment, Seb Radix a pris la scène ce soir-là et, avec un sourire de VRP en aspirateurs, il a abusé de nous. Comédie musicale rock’n’rollesque d’un biopic sur Émile Louis.
Quand j’ai pris conscience de ce qui se passait, une bande pré-enregistrée tournait, avec l’équivalent sonore des Ramones courant après un double-decker bus dans un film de Max Pecas. En 1’54’’, son Johnny Weissmuller renvoie une décennie de punk à roulettes dans le petit bassin. Seb sue, remue les bras, envoie les pieds, ce crétinoïde nage le crawl dans le vide et éclabousse de talent. « I got the balls I got the hat / balls-hat-balls-hat-balls !!! » Le reste du temps avec une douze-cordes martyrisée à la disto et un jeu de scène digne de Sid Vicious quand d’autre confondent Iggy Pop avec Achille Zavatta, ce type a clairement trop écouté les punks californiens et les Beatles (deux maladies encore trop souvent négligées par le corps médical), mais attention les yeux ! Le bonhomme déborde de sincérité, debout en transe au milieu de son public, à faire le con en regardant chacun droit dans les yeux, braillant à cinq centimètres de votre nez, sa sueur coulant sur vos cols de chemise, c’était plus un concert c’était Lourdes. Il me tint par la nuque, le nez enfoncé dans le bénitier, et cette torture musicale voulait dire : rappelle-toi de quoi on parle.
« Essayer d’être le mec le plus cool de la swimming pool, tout ça avec un moule-bite et un bonnet de bain, c’est pas facile tous les jours. » Seb in Johnny Weissmuler
Je ne vous fais pas un numéro du NME, ce type n’est pas le rénovateur du rock ou le sauveur de cette décennie. C’est juste un clampin qui écrit des pop songs avec son cœur et les joue avec ses pieds, le sourire aux lèvres. Littéralement hein : l’orgue électronique Antonelli était calé sous le pied droit, déshabillé de sa chaussette pour l’occasion. C’est peut-être un peu naze pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup.
Attention, l’humour dans le rock c’est aussi rédhibitoire qu’un tatouage sur le cul annonçant « entrez par là ». Ici des allusions aux hémorroïdes, là un « I got chinese noodles all around the ass »… Les clowns, c’est haïssable. Mais Seb Radix (ou peu importe son pseudo de one-man-débande puisqu’il en change tous les mois) ne déconne pas, ne fait pas son petit numéro, il est à poil. Ecoutez vraiment la remontée de xylophone sur That’s all but that’s alright ou ses contre-voix sur Ashtray, mince, ce mec sait ce qu’il fait. Paroles en yaourt, basse qui frise à l’occasion, jeux de mots traduits en dépit de la convention de Genève, le foutage de gueule est définitif. Mais au moins il ne se planque pas derrière une prétendue morale didactico-humaniste à la mords-moi-le-Sean-Penn. Pas plus de second degré qu’Andy Kaufman, ici c’est jusqu’au coude.
Les enregistrements sur son Bandcamp sont de la prise directe avec des notes peinant parfois à être justes, mais combien de Myspace qui s’échinaient à faire pro comptaient autant de pop songs en herbe ? Ce Beach Boys en kit qu’est Descendents and all, même Daniel Johnston ne chantait pas aussi bien (pas difficile), et on pourrait imaginer des lendemains qui chantent à ce taré directement issu d’une Rubrique à Brac Gotlibienne. Cette démo, elle est bio : on retrouve le vrai goût de la répète.
Cela fait donc trois semaines qu’il y a une cassette audio bleue sur mon bureau. Elle repose dans le sachet plastique zip-lock dans lequel elle est vendue (sic) et m’a été remise, évoquant autant la dose de beuh prescrite par votre homéopathe que la preuve extraite d’une scène de crime. Et je la regarde sans oser l’ouvrir, je la tourne et la retourne dans mes mains désormais propres. Je ne touche plus aux prétendues « révélations du tremplin rock CQFD de l’Yonne », j’assume préférer les vieux cons imbus et aimer les jeunes cons qui réussissent des démos là où tant ratent des albums. Ça pue l’enduit et la peinture pas sèche mais… feels like home.
Seb and the Rhââ Dicks // Radix and the Sebs (K7) // Rock’n’Roll Masturbation Records
Démo téléchargeable gratuitement ici : http://radixandthesebs.bandcamp.com/
11 commentaires
Putain de merde, ça claque ce truc. Le papier, hein, pas encore écouté ton baigneur du bassin DIY. Mec, make me please, play it again.
Putain, ça claque ce truc. Le papier, hein, pas ton punk de petit bassin et son maillot DIY. Mec, Make me please, do it again.
Je croyais que le comment était pas parti. Mais quand on aime…
Note les deux versions légèrement différentes, hein. Genre j’ai fait ça bien.
Ha c’est marrant j’avais parié avec le boss que ce papier ferait zéro commentaire à part une erreur de frappe du Poulpe. Et puis non en fait tu fous mes chiffres en l’air : 3 comments, de toi, avec une erreur, de toi.
Comme quoi, même les comments sont DIY ce coup-ci.
Ne te défile pas en bottant en touche : PLAY-IT-AGAIN. AND-AGAIN. Tu veux pas non plus que je t’envoie une armée de bimbos caressant tous tes poils dans le bon sens, nan ?
Alors mon adresse, note le bien, c’est 150 rue nouvelle à Montpellier. File leur mon 06 pour qu’on se trouve une plage (de sable) en commun hein.
Voici une erreur de petite frappe hé hé. Bref, je suis bien content que tu te sois enfin mis à bricoler, sauf que moi je déteste ça. Je préfère la cuisine et franchement là je suis obligé de l’écrire :
SEB c’est bien !
Putain Johnny Weissmuller c’était bien aussi oungawa chita !
Tu matures vieux billy, tu matures… et tu te bonifies !
« ce type a clairement trop écouté les punks californiens et les Beatles (deux maladies encore trop souvent négligées par le corps médical) » : oui mais aussi deux remèdes à d’autres maladies comme trop écouter les Smiths et la New Wave 😉
Ca donne envie d’écouter ce papier en tous cas mais je le sens plus en live ce bougre, pas trop convaincu par les morceaux sur Bandcamp.
Sauf peut-être le ptit côté Daniel Johnston de Add to friends, aussi évidente qu’un like sur FB.
Vraiment cool ce papier. Je le fais jouer chez moi dans mon salon ce 31 mars, ça donne envie !