« L’Amérique a produit une génération de danseurs incapable de foutre un pied en dehors des sentiers battus. » C’est pas du André Manoukian dans le texte, c’est de Hunter S. Thompson qui, comme on s’en doute, n’a pas écouté le quatrième album de John Maus mais qui, prophétiquement, résume bien à quoi l’auditeur pourra s’attendre en tombant sur « Screen Memories ».
Tomber, du reste, est le bon mot. Si « Screen Memories » contraste d’avec toutes les sorties indie ressassant toutes les mêmes méthodes usées jusqu’à la corde – trop de guitares – c’est donc d’abord parce que son créateur est ce qu’on appelle une « tête pensante » tombée de sa chaise. Les six dernières années, il les a notamment passées à plancher sur un Doctorat de philosophie politique, tout en composant l’inverse d’un disque électronique pour cadres sup’. A ce titre, le fait qu’il a emprunté une phrase d’Alain Badiou pour son précédent essai [1] ne doit pas faire oublier que si lui pense, les autres, et c’est bien dommage, se contentent trop souvent de faire danser. La synthèse de ce « Screen Memories », pas si synthétique que ça, c’est d’arriver à trouver le juste milieu entre la tête et les pieds. Ici, le point d’équilibre – pardon vous n’êtes pas chez Psychologies Magazine – est ventral ; les 12 chansons qui en résultent sont de ce point de vue un bon compromis entre la salle de fitness et le salon.
La légende raconte que les bandes de « Politics », le meilleur album de Sébastien Tellier à ce jour et certainement le plus fou-bancal, ont été détruites par une inondation. Treize ans après, les ritournelles de Maus suivent le même chemin, et c’est presque à se demander, en écoutant l’Américain biberonné au Grunge, si ses synthés aquatiques ne suivent pas le même chemin. Vulgairement qualifié de « synth-pop », l’album est à la fois martial (The Combine) comme un défilé de KORG sur la place Tian’anmen, dansant au point de s’imposer dans tous les bons clubs pour hémiplégiques (Touchdown) et, tout du long, renvoie à ce club en J regroupant tous ces compositeurs américains ayant depuis longtemps abandonné l’idée d’une danse bas du front (James Pants, Jack Name, Jeremy Jay). Alors oui, autant le dire, « on aime, on adore ». Pas sûr que cela change la face du monde ni ne vous encourage à braquer une Fnac pour choper l’exemplaire en vinyle, mais « Screen Memories » est à sa manière un reflet de l’époque digitale, un écran dans lequel les moins doués en pas de deux pourront plonger sans peur du ridicule. « Screen Memories, en psychologie, c’est un mécanisme d’autodéfense qui consiste à remplacer une expérience par une autre », confiait récemment Maus aux Inrocks. Par exemple, votre oncle se livre sur vous à des attouchements. Mais pour repousser le traumatisme, vous vous souvenez uniquement de lui en train de vous payer une glace. » Considérons ce chef-d’œuvre comme une alternative moins traumatisante que le dernier LCD Soundsystem.
John Maus // Screen Memories // Ribbon Music
johnma.us
En concert le 6 novembre à Paris (Maroquinerie) et le 7 à Strasbourg.
[1] « We Must Become the Pitiless Censors of Ourselves », 2011
3 commentaires
connards d’apply
c’est de l’Holy Sheeet