Au commencement était la parole. La parole était une chanson, la chanson était une parole. Une histoire de femme ouvrière, tenant le rivet, assise sur le fuselage d’un appareil qui s’en irait bientôt pacifier le Pacifique. Le mythe de Rosie the Riveter venait de naître et, quelque part avec lui, celui de Sallie Ford.

Le lien est certes superficiel ; principalement une affaire de physique. Ses parures et son air dur me rappellent inexorablement Géraldine Boyle, héroïne de guerre et héraut du féminisme, ainsi que la femme pourtant immatérielle chantée par Wilson Pickett.  Et si son style tout en formes évasées la place immédiatement dans un contexte fifties intermédiaire, une vague impression de rébellion sur fond pastel unifie les trois figures. On retrouve du Sallie Ford dans toutes les époques, et de toutes les époques chez Sallie Ford. Un genre commun se dessine, à la fois tendre et déchainé, dépassant le support. Quelque part entre l’actuel et le suranné, l’image d’Howard Miller, comme la musique des Sound Outside, semble intemporelle.
Mais, au dela de ces questions de style, c’est l’œuvre elle-même qui laisse libre cours à l’imagination. À chacun d’y voir ce qu’il veut y voir ; qui d’un cri de révolte face à ce qu’est devenue la musique, sa « Dirty Radio » rappelant Lou Reed chantant l’ennui de Jenny face à son poste transistor sur Rock and Roll tout comme ou le Radio One des Clash ; qui de longues chevauchées motorisées en compagnie de Peter Fonda dans Les Anges Sauvages ou le plus populaire Easy Rider. Peu importe. Au travers d’histoires d’un soir, d’aucun soir, et sans doute aussi vraies qu’inventées, Sallie Ford m’a humblement confié ne chanter de sa puissante voix que l’insouciance de ses vingt ans.

Quand je vous ai vus [aux Transmusicales 2011], on vous a annoncé comme de l’americana. Pas trop dur à encaisser ?

Sallie : Ah ouais ? De l’americana ? C’est pas trop mon truc en plus… J’associe ça à des trucs chiants, le genre rock-country de ventres à bière.

Jeffrey : Tout le groupe ne pense pas ça…

Comment voyez-vous votre musique, alors ? Revivaliste ? Néo-rétro ?

Tyler : Je pense qu’on est plutôt revival rock and roll.

Sallie : Je dirais qu’on fait du rock and roll rétro, mais pas du rockab… Après, on ne fait pas de la musique pour être dans un genre. Je repense au coup de l’americana, c’est cool au final si les gens entendent ça dans notre musique. C’est une influence. Tant qu’ils aiment, ça va. Mais on n’est clairement pas americana. On mélange la musique d’un peu toutes les décennies.

Le clip de I Swear représente bien cette idée…

Sallie : Exactement. C’est marrant d’ailleurs, le concept a été écrit par Matt, le réalisateur. C’est lui qui a eu l’idée. On l’avait rencontré plusieurs fois, j’ai dû lui dire quelque chose comme « il faudrait faire une vidéo prenant tout ce qu’il y a de bon dans le passé ». J’avais rien de plus, vraiment aucune idée de comment l’exprimer. Il a dit « et si c’était un voyage dans le temps ? » Mais c’est plus parce que c’est un type un peu ringard qu’autre chose. Il est très branché Retour vers le Futur, ce genre de trucs. Au final, c’était parfait pour nous.

Et la vidéo de Cage, c’est quoi le concept?

Sallie : Celle-là, c’est mon père qui l’a réalisée. C’est un marionnettiste. Il m’a fait en marionnette et, comme il est également réalisateur, il a proposé de faire une vidéo. On lui a donné quelques idées mais il ne nous a pas trop écouté. C’était pas vraiment ce que j’imaginais… Mais il est tellement talentueux, ce n’est pas important s’il n’y a pas concept derrière. Je trouve ça superbe la façon dont les marionnettes bougent. Il faut se focaliser dessus, c’est très artistique. J’en suis vraiment contente.

Vous venez d’Alaska et de Caroline du Nord, des coins plutôt paumés. Ca a joué dans le fait que votre musique soit influencée par des styles musicaux plutôt ruraux ?

Salie : Peut-être, peut-être pas. Je n’écoute pas trop la musique de là d’où je viens. Habituellement, je suis plutôt branchée country, hillbilly. Des trucs rétro mais sans lien avec ma ville d’origine. Peut-être que ça a joué, j’en sais trop rien. T’en penses quoi ?

Tyler : Je jouais du bluegrass et de la country, mais rien d’Alaska. J’écoute ce qui se fait là-bas, mais il n’y a pas tellement de scène locale. C’est que des petites villes.

Ford : On y passe plus de temps à faire de la musique nous-mêmes qu’à aller à des concerts…

Attends, il y a quand même des groupes là-bas ?

Ford : Ouais, il doit bien y en avoir, mais c’est quand même quasiment que des bâtiments militaires et des pipelines.

Tyler : Y a Portugal The Man. Ils s’appelaient je ne sais plus trop comment quand ils y vivaient encore, ils ont changé de nom en partant vers Portland. 36 Crazy Fists aussi. Tout le monde se barre d’Alaska pour faire de la musique ailleurs.

Sallie : Y a aussi ce groupe, avec Ryan Sollee. Builders & Butchers. Eux aussi sont partis à Portland.

La moitié de l’Alaska y habite !

Sallie : C’est vraiment un endroit sympa. À chaque fois qu’on y retourne on est contents d’être là. Il y pleut beaucoup, mais j’adore cette ville. C’est cool, les gens ont conscience de ne pas être au centre de l’univers. C’est une super communauté, il y a plein d’artistes.

Tyler : Y a plein d’artistes parce que c’est pas cher, l’argent que tu gagnes là-bas, tu peux le dépenser dans les bars.

Jeffrey : Hit Whiskey and Women.

Tu dis dans la chanson The Crew que tu es y partie sur un coup de tête. C’est comme ça que tu vis ?

Sallie : Ouais ! Il m’est arrivé de faire des plans. J’ai voyagé seule en Europe. Mon retour à Asheville a été horrible. J’ai décidé de changer d’air, j’hésitais entre New York, Austin, San Francisco, mais j’ai choisi Portland. Je ne pensais même pas y faire de la musique au début, juste aller à la fac, et encore… Est-ce que c’est un coup de tête ? Ouais ! C’est vrai que c’est comme ça que je fais les choses.

Parlons de l’album. Le son est très brut, c’était voulu ?

Sallie : Oui, je voulais que certaines chansons aient un son particulier, plein de percussions, un peu à la Tom Waits dans des albums comme Rain Dogs. Sur celui-là, il y a pas mal de percussions assez bruitistes, pas spécialement mélodiques. Et je voulais que ce soit chaud, enregistré sur bande, assez simple et sans trop d’instruments.

Tyler : Le truc pour moi c’est surtout l’enregistrement live. Jeff et Ford jouaient dans la même pièce. On a tout fait en une prise.

Sallie : On est toujours un groupe nouveau, on essaye de faire toujours mieux mais, parfois, ça reste très bordélique.

C’est surprenant de discuter avec vous, on découvre un groupe bien moins sage qu’il n’en a l’air.

Sallie : Ouais, on veut même être plus rock and roll. On a fait des choses un peu mainstream aux États-Unis, mais moi je veux faire de la musique sale. Je pense que le prochain album sera moins pop, plus crade. Je veux faire des choses plus dans cet esprit. Je me suis lassé du folk et de la pop, j’en ai fait le tour, en quelque sorte. Je veux faire quelque chose de plus punk rock.

C’est toi qui composes ?

Sallie : Oui. Mais c’est quand même très collectif. J’amène un squelette de chanson, qu’ils habillent.

De quoi aimes-tu parler ?

Sallie : Sur certaines chansons, de choses qui sont arrivées, mais pas vraiment de mon point de vue, plutôt du point de vue des autres. Sinon, de tout et de rien.

Quand je vous ai vus, tu as présenté plusieurs morceaux en disant qu’elles étaient sur un job pourri que tu as eu avant…

Sallie : Ouais, c’était vraiment horrible. Avant d’être en tournée, je bossais dans un restaurant vietnamien, j’étais serveuse. La situation économique à Portland était vraiment pourrie, je me disais que si je partais je ne trouverais rien d’autre. J’étais complètement bloquée. Et puis c’était des salauds, ils ne pensaient qu’à faire de l’argent, ils se foutaient des employés. C’était horrible.

Jeffrey : T’as un nouveau job maintenant.

Sallie : Ouais. Et c’est cool de pouvoir écrire des chansons sur les trucs qui te gonflent.

T’es super remontée, comme fille !

Sallie : Non, je ne suis pas si énervée. Tout le monde pense que mes chansons parlent des radios, que c’est un plaidoyer contre la musique actuelle, etc. J’entends continuellement dire « ta musique parle de briser les radios modernes ». Non ! Je suis juste énervée contre les mecs. Je déteste les mecs. Et j’aime boire. Je ne parle quasiment que de cela. Je pense que ça ressort beaucoup dans notre musique, non ?

***

Le groupe s’échappe rapidement pour un dernier passage sur les dirty radios françaises, satisfaites de pouvoir s’écouter le temps que dure un single. Je n’y assisterai pas. En revanche, le groupe me propose de profiter d’eux une dernière fois dans un bar modeste sous l’égide du label Fargo. Cachés derrière leurs verres, les membres du quatuor se laissent aller à un set composé de reprises de morceaux les ayant inpirés, ainsi que de raretés. Le plaisir est solitaire mais partagé. Après tout, la musique, ce n’est pas sérieux. Et c’est bien mieux ainsi.

Sallie Ford // Dirty Radio // Fargo
http://www.sallieford.com/ 

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