C’est l’histoire d’un label anglais qui a failli tenir le monde entre ses mains. De 1995 à 2011, DC Recordings a façonné le son du trip hop londonien puis produit les meilleurs disque de novö disco du continent. Et puis un jour, plus rien. Comme les meilleurs bandits font souvent des mauvais joueurs, cette histoire ne s’arrête heureusement pas là.

840725_300L’information vous a certainement échappé, mais le cœur de l’Angleterre ne s’est pas arrêté de battre le jour où le Creation d’Alan McGee a fermé boutique, et encore moins quand Pete Doherty a foiré son premier infarctus – puis le deuxième, le troisième, série toujours en cours. Début des années 2000, et alors que des vieilles maisons comme Mute ou 4AD peinent à trouver un second souffle, un Dj du nom de J. Saul Kane a déjà crée dans une relative indifférence son propre label, DC Recordings, influencé par les arts martiaux, les western spaghetti et les grandes heures de musique de film porno. Avouez qu’au pays du football fait religion et des dents cassés, ça fait désordre. Que le Dj en question ait débuté sa carrière dès 89 sous le nom de Depth Charge n’est pas le plus intéressant de l’affaire ; imaginez un label anglais perché sur Portobello Road où une bande de cinglés confectionnerait de la sci-fi disco avec accrochés au pafond des posters de David Axelrod, John Carpenter et des Goblins – bien avant que Justice ne les cite en référence – et vous obtiendrez une vision assez précise du bordel qui se trame à deux pas de Notting Hill. Et le tout renforcé par une esthétique imparable composée par les savants fous de LaBoca, unité graphique installée à deux mètres des bureaux de DC. Résumons : des artistes traumatisés par les bandes-son sanglantes des 70’s, des visuels psychédéliques et entre 2000 et 4000 copies vendues pour chaque maxi, mmmhh… Y’a pas photo, eux préfèrent Dario à l’Argento.

They live

Jusqu’aux dernières heures de l’année 2011, DC Recordings a battu la cadence à un rythme effréné, rivalisant sans mal avec le voisin Mo’Wax (Unkle en tête) et le cousin d’Amérique DFA pour imposer un groove blanc qui ne fasse pas tâche face à l’original, quand bien même les zinzins de Portobello pèsent cinquante kilos tout mouillés sur la balance et disposent d’un physique plus proche de celui du Prince Charles en thalasso que de celui de Travolta dans son samedi soir fiévreux. Ca n’empêche que les artistes de cette écurie coriace marqueront quelques esprits ça et là ; de The Oscillation à Emperor Machine en passant par Padded Cell ou Giallos Flame, on tient là une alternative à la Britpop, et plus globalement au divertissement codifié tels que tentent de nous le vendre les journaux français, complètement largués dès lors qu’il s’agit de parler de funk, de zombies et de Satan déguisé en proxo du disco.

Derrière le fondateur J. Saul Kane, un autre Anglais tient les rênes, les cordons de la bourse et le métronome. James Dyer, de son nom, est le label manager de cet OVNI dans lequel l’Angleterre a entassé tous les hérétiques pour qui la six cordes est un pêché. Pas de guitares chez DC Recordings, mais des claviers à gogo qui influenceront certainement Zombie Zombie, EdBanger et toute une tripotée de groupes synthétiques qui préfèreraient serrer de la groupie plutôt que des boulons. Quand James décide de quitter le navire en 2010, fatigué par le business et douze ans d’effort un peu vain pour imposer cette électro à pupilles retournées, c’est tout le château de cartes qui s’effondre. DC Recordings publiera encore quelques bonnes galettes dansantes – Higamos Hogamos est certainement la dernière qui mérite qu’on se relève la nuit pour l’écouter – et puis les nouvelles s’espaceront ; un remplaçant tentera bien de sauver la baraque à freaks, mais hélas. A l’image des derniers films de John Carpenter, DC Recordings est désormais plus mort que vivant. Le site a beau toujours être en état de marche, c’est un maigre paravent pour masquer la défaite. On pense l’affaire pliée.

No gain, no pain

TOW001AEt de fait, elle l’est. Après le départ de James Dyer, véritable tenancier de la boutique à paillettes, DC Recordings ne sera plus que l’ombre de ce qu’il fut. Entre temps, la pop made in UK a repris le dessus ; Metronomy s’est imposé dans tous les magasins TopShop et l’Anglais moyen, que ça vous plaise ou pas, est retourné à son demi de bière grand comme un stade de foot. Pendant ce temps, et contrairement à ce qu’on aurait pu penser, James Dyer ne s’est pourtant pas vraiment tourné les pouces : « Après 12 ans passés chez DC, j’ai eu l’impression que les murs du bureau commençaient à rétrécir. Et puis l’industrie musicale commençait à me déprimer sérieusement ; mes oreilles ont eu besoin d’un break, d’un sevrage ». Alors que la logique comptable aurait voulu que le label manager devienne courtier en assurances ou publicitaire, James devient alors un revendeur de posters vintage. Et comme tous les drogués, en fait un nouveau business : Eyes Sea Posters, un site où les amateurs d’affiches collector peuvent encore s’en donner à cœur joie – et pour pas cher.

Tout cela nous amène sans surprise vers Rotary Tower, le nouveau label fondé par James Dyer. Parce que oui, ce qu’on a oublié d’écrire tant l’histoire semble entendue, c’est que les zombies ne crèvent jamais et que les mecs qui ont fait de la prison finissent toujours par replonger. Après avoir raté le hold-up ultime avec DC Recordings en devenant l’un des piliers de l’indie anglaise sans jamais dépasser les frontières du pays, James est revenu aux fondamentaux ; la musique invendable. Celle qui meuble, qui habille, l’éléphant invisible dans la pièce comme on dit dans la langue de Shakespeare, la Library Music. Derrière une esthétique qui fait penser aux jeux de société, aux petits chevaux de salon de thé, un gentil foutage de gueule du système ; pas de tableur Excel ni de réunions hebdomadaires sur les progressions de vente et autres blagounettes pour stagiaires d’école de commerce ; de toute façon dans un monde où plus rien ne se vend, autant publier des disques qui resteront à la postérité plutôt qu’en tête de gondole. Première sortie annoncée par Rotary au mois de février dernier, « Archivio Giallo Volume One » d’un certain Graham, geek passionné par l’hémoglobine et la musique ritale qui lui inspirera son nom, Giallos Flame. Déjà repéré jadis avec l’incroyable « Live at Dunwich » en 2007, le multi-instrumentiste est revenu d’un énième retour vers le futur où, surprise, il a redécouvert des pépites au fond du grenier. C’est évidemment ultra-référencé, ça sonne parfois comme un pastiche assumé des B.O. de John Carpenter, mais le groove analogique qui se dégage de ces chutes de studio fait parfois penser à T.R.A.S.E, groupe bricolo des années 80 récemment exhumé par le label Finders Keepers. Dit autrement, ce n’est pas la surprise du siècle. Plutôt du précédent.

La vraie surprise, celle qui permet de tourner la page DC Rec, c’est le « Temas Spatiale Volume One » d’un Ganzfeld. Inconnu au bataillon, jamais signé nulle part – et pour cause la bio parle d’un voyage cosmique enfin achevé – et c’est donc un nouveau chapitre d’une histoire sans fin. Ganzfeld est une espèce d’or en barre pour toutes les illustrations sonores. Du jazz répétitif qui fait parfois penser au travail de Chassol, des lignes qui tournent en boucle sans tomber dans la musique au kilomètre, et le tout avec une pointe d’harmonie pour femmes enceintes ; à la limite de l’ambient feng-shui. Mais ambiance « Planète Sauvage » de Goraguer alors, avec des moments de tension à faire passer la B.O. du Mannix de Lalo Schifrin pour un cours d’aérobic. Mais stop les clichés, dixit le patron. « L’idée derrière de Rotary Tower, c’est évidemment la Library, mais c’est aussi l’envie de publier une musique qui fonctionne avec ou sans les images. Et rendre tout disponible immédiatement, à n’importe qui, via notre site internet ». Des pochettes inexistantes, des artistes qui peut-être même si ça se trouve n’existent pas, un business model proche du 0 absolu et des disques complets en écoute sans mettre la main au portefeuille… James Dyer a bien retenu la leçon de ses années passées à faire danser trois pékins au sous-sol et il en a finalement conservé la devise du vrai Rotary Club : « Qui sert le mieux profite le plus ». Et qui sait écouter meurt moins con ?

http://www.rotarytower.com/

1 commentaire

  1. TRES BON PAPIER SUR DC REC ET LEURS FUTURS QUE JE VIENS DE DECOUVRIR;
    C VRAIMENT KOOOLLL QU ILS REVIENNENT NOUS BALANCER LEURS SONS ….. J ADORE POUR CEUX QUI ONT QUELQUES CHOSES ENTRE LES OREILLES.MERCI A EUX ET A L AUTEUR DE CET ARTICLE..
    PEACE NIKO

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