C’est l’histoire de Reginald Dwight, un gamin joufflu au nom ringard, à l’enfance négligée, au talent fou et à l’homosexualité longtemps cachée. Une assez bonne histoire pour porter un énième biopic autorisé sur une des plus grandes stars de la pop ?

Biopic et Elton John, deux des choses les plus honnies par le fan de rock lettré et donc, tout ce que j’adore. J’ai atteint un âge où je n’ai pas honte de dire que j’ai commencé à me passionner pour le deuxième grâce aux nombreux clins d’œil à son œuvre dans Californication, voilà plus de dix ans. Autant dire qu’en termes de références, je me pose là. Et depuis que je l’ai vu éjecter pour la première fois son tabouret de piano lors d’une apparition avec T. Rex dans Top of the Pops, je dois avouer l’aimer presque autant que Marc Bolan.

Quant au biopic musical, avec Bohemian Rhapsody, qui a rapporté presque un milliard de dollars et raflé quatre Oscars en réécrivant l’histoire de Queen, il n’est pas prêt d’être enterré, bien au contraire. Tant mieux. Depuis que j’ai découvert la délicieuse version pleine de clichés de Jim Morrison par Oliver Stone quand je pensais encore que les Doors étaient le meilleur groupe du monde, c’est un fait : j’adore les biopics.

Ces films parfois très mauvais sont soit obsédés par la fidélité historique à laquelle ils ne collent jamais, soit volontairement dans une représentation totalement romancée de l’histoire de l’artiste (pour bien l’énerver). Mais ils ont souvent un objectif commun à la fois modeste et ambitieux : vendre du rêve aux fans les plus zélés. Cette théorie se vérifie lors de l’avant-première de Rocketman, le biopic officiel développé, autorisé et produit par Elton John lui-même. La moyenne d’âge est plutôt élevée, et tout le monde est là pour célébrer les cinquante ans de carrière d’Elton, karaoké et lunettes absurdes à l’appui.

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Mais Rocketman n’est pas aussi complaisant qu’on le craignait. Le film s’ouvre sur la participation d’Elton John à une réunion des alcooliques anonymes, où il déclare « je suis un alcoolique, un drogué, un boulimique, un accro au sexe, et probablement un accro au shopping. » Son ascension occupe à peine plus de place que sa descente aux enfers dans la deuxième moitié des années 1970 aux années 1980. Bref, Rocketman n’est pas Bohemian Rhapsody.

Les deux films partagent pourtant le même réalisateur, puisque Dexter Fletcher est celui qui a été appelé à la rescousse de la Fox sur Bohemian Rhapsody, quand Bryan Singer a fini par se faire virer pour son comportement totalement erratique sur le tournage. Le brave Dexter n’a même pas eu le droit d’être cité au générique du film, mais il va peut-être avoir droit à son heure de gloire avec un deuxième biopic sur une autre célèbre popstar qui préfère les garçons.
Pour y parvenir, il avait besoin d’un acteur capable d’entrer dans la peau d’un petit gros et chauve avec un goût prononcé pour les tenues farfelues, mais qui a quand même été capable de vendre 300 millions de disques grâce à un don inné pour les compositions au piano qui font chialer tout le monde. Cet acteur, c’est Taron Egerton, et je me souviens surtout de lui pour son rôle de sauteur à ski dans Eddie the Eagle, un autre biopic justement réalisé par Dexter Fletcher il y a trois ans.

Dans Rocketman, il campe un Elton John « bigger than life, » le genre de partition dont les Oscars raffolent et qui fera dire à tous les critiques qu’il est « troublant de ressemblance. » Bon, il donne de sa personne et il porte le film sur ses épaules, évidemment. Mais la vraie star du film, c’est plutôt Jamie Bell dans la peau du parolier sans qui Elton ne serait rien, l’immense Bernie Taupin. Pendant tout le film, Bell joue plutôt bien le rôle du gentil qui subit les excès d’humeur et de substances de son acolyte plus moche que lui, mais pianiste et frontman de génie, donc évidemment plus populaire.

Comme dans tout biopic musical aussi, les clichés sur le rock sont partout dans Rocketman.

Contrairement à Bohemian Rhapsody aussi, Rocketman n’a pas peur de montrer de l’amour gay à l’écran. Le film restera dans l’histoire comme la première grosse production hollywoodienne à montrer une scène de cul entre deux hommes à l’écran, même si elle a peut-être été en partie censurée par Paramount. Dommage que cette relation entre Elton John et John Reid (incarné par Richard Madden, Robb Stark dans GoT) soit gâchée par le cliché du méchant manager toxique qui prend le contrôle de l’artiste et profite de sa gentillesse. Car comme dans tout biopic musical aussi, les clichés sur le rock sont partout dans Rocketman. Le plus classique est l’idée que le succès et la formule « sex, drugs & rock’n’roll » rendent l’artiste malheureux et lui font perdre l’innocence et la pureté qui le caractérisent forcément à ses débuts.

Heureusement, pour toute personne nostalgique de tous les excès ridicules de cette époque, Rocketman est parfois jouissif. Quand Elton John débarque pour sa première tournée aux Etats-Unis et joue Crocodile Rock au Troubadour de Los Angeles devant un public littéralement en lévitation, on éprouve le sentiment de plaisir régressif que tout bon biopic doit procurer. Idem lorsque l’on découvre le génial Stephen Graham dans le rôle d’horrible patron du label DJM d’Elton John. Une version caricaturale visiblement fausse d’après sa famille montée au créneau dans les médias, puisque le pauvre homme est mort prématurément en 1986 et ne peut donc plus se défendre.

Mais peu importe, ce qui est le plus gênant dans Rocketman, ce sont ces scènes insupportables de comédie musicale qui sont pour la plupart forcées et inutiles. Si Taron Egerton tient la route au chant, il n’est pas Elton John, et cette réalité le rattrape plus d’une fois.  Quand, après une tentative de suicide, Elton est emmené en ambulance et finit par arracher son masque à oxygène et être porté en triomphe à bout de bras pour remonter sur scène devant un public en délire, on fait plus que frôler le grotesque. Apparemment, mes gloussements ne sont pas du goût de mon voisin très premier degré. Mais en définitive, ce film me redonne envie d’écouter « Honky Château » comme je le faisais quand j’étais un jeune déçu de la vie étudiante en quête d’une O. taillé pour une déprime facile.

Je suis devenu vieux, mais je sais maintenant qu’il n’y a pas de plaisir coupable, et ce film est là pour le rappeler.

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