Au premier jour, il y eut une armée de Mexicains Grenoblois sortis d’un délirium tremens Morriconien, un groupe sponsorisé par Saint Jean et Dassault Aviation pour ratiboiser le rock indépendant français, ses images d’Epinal et ses clichés de subversion. Au deuxième jour, il y eut un premier disque, puis un second avec des prédictions pour l’avenir, quelques tremolos dans la voix et un halo déformé au lointain. Puis le temps passa, offrant au printemps 2010 une réincarnation éphémère sous la forme d’un EP au chiffre christique, en guise d’hostie à se carrer au fond de l’oreille interne. Au septième jour, le groupe revint pour une apparition, annonçant aux croyants de nouveaux chapitres. Inscrit en gros dans le ciel on pouvait lire : « A LA FIN DU MONDE IL RESTERA RIEN». Et puis tout le monde se tut, le concert pouvait enfin commencer.

Des jeux de mots sur le groupe français Rien, on pourrait en écrire des milliers. On pourrait se badigeonner la page blanche de références à Gainsbourg et ses Petits Riens qui font dire que « mieux vaut ne penser à rien que de pas penser du tout, que rien c’est déjà, rien c’est déjà beaucoup ». Sans oublier de préciser qu’on ne se souvient de rien et puisqu’on oublie tout, Rien c’est bien mieux que tout. Rattaché à l’histoire du groupe fondé en 1999 par une poignée de réfractaires au système, tout cela est bien évidemment pertinent. Le seul problème, c’est que la musique de Rien est instrumentale et que les mots, justement, ne sont rien face à l’émotion qui se dégage des longues échappées du groupe en voyage.
De passage à Paris pour un concert au Point Éphémère, Rien donne audience à votre modeste serviteur via Yugo, porte-parole d’un groupe ô combien discret mais surtout talentueux. L’occasion d’en apprendre un peu plus sur ce collectif d’irréductibles gaulois né un an avant le passage à l’an 2000 et dont la mort semble visiblement programmée pour 2014, « pendant les soldes japonaises ». Apocalypse rock, nous voilà, quand le post-rock donne naissance au chant du cygne.

Hello Yugo. J’ai découvert Rien en 2007 à l’époque du deuxième disque, Il ne peut y avoir de prédiction sans avenir, et…

Oui, tu l’avais découvert à la FNAC.

Ah non, pas du tout.

Ah bah si, j’avais lu ta chronique, celle où tu disais que tu nous avais découvert dans une borne FNAC.

Ah oui, bien joué ! (Et merde, si l’intervieweur ne se souvient plus de ses propres récits, ça commence mal…)

Et tu as eu de la chance, tu sais, parce qu’on s’était embrouillé avec le distributeur basé en Belgique, bref pour résumer le disque n’a pas été très visible, à l’époque, dans les FNAC.

C’est d’ailleurs la dernière fois que j’ai découvert un grand disque au pays des gilets verts et jaunes. Mais pour revenir à Rien, votre histoire est assez opaque, le descriptif fait sur votre site est certes très drôle (« Collectif musical né en 1999 à Grenoble et mort en 2014 au Japon »), mais peu crédible. Tu me confirmes être l’un des musiciens fondateurs ?

Ouais… tout a commencé en… (il cherche)… 1999, à l’époque il y avait Goulag et moi-même qui montions une pièce de théâtre qui s’appelait Rien, un truc un peu absurde sur une émission TV qui tournait mal avec, d’ailleurs, une vague qui a donné plus tard les Bratisla Boys, sans qu’on le sache – ouais, ça craint hein – c’était l’histoire d’un chanteur un peu connu qui venait de Moldavie et qui faisait une chanson à succès. Du coup, bon, c’était une pièce pas terrible mais cela a permis aux musiciens de se rencontrer. Puisqu’on était tous très mauvais pour le théâtre, on s’est mis à la musique et on a accumulé des idées intéressantes. Le projet est né comme ça.
Il se trouve qu’en parallèle, la salle du 102 à Grenoble – un lieu autogéré mis à disposition par la mairie – organisait tous les mois une scène ouverte, assez expérimentale. Et comme on était jeunes et cons, qu’on voulait leur prouver que nous aussi on était capables, on a livré un spectacle jusqu’au-boutiste, sur trois notes pendant 30 minutes…

Le groupe a-t-il été fondé sur les cendres du post-rock, genre musical crypto-chiant dont on peut enfin dire aujourd’hui le plus grand mal ? Veniez-vous de cette culture-là, initialement ?

En fait on n’a jamais vraiment écouté de post-rock ; moi Godspeed j’aime pas, idem pour Mogwai, hormis la scène de Chicago avec Tortoise. Alors je pense que malheureusement on ne s’est pas encore suffisamment détaché de ce truc-là mais…

Je ne cherche pas à te faire parler de post-rock, je voulais simplement savoir si vous vous étiez extirpé de cette mouvance, en créant Rien.

C’est vrai que lorsque tu fais de la musique instrumentale, les mecs t’étiquettent post-rock parce que quelque part c’est un peu le fourre-tout, de Mogwai à Battles. Si c’est aussi large que ça, l’appellation ne nous dérange pas, on fait avec…

Mais vous auriez pu finir dans la nasse des groupes autoproduits de province – ou même parisiens, là n’est pas le problème – sans esthétique, sans parti-pris et qui tombent automatiquement dans le cliché du rock français. Or, dès Il ne peut y avoir de prédiction sans avenir, vous vous orientez vers un rock lettré, poétique, sans concession.

En ce qui nous concerne, on a rapidement eu pour ambition de mener à bien les idées qu’on a dans la tête, dans un beau packaging. J’espère qu’elles sont un peu moins chiantes que des trucs de post-rock qu’on peut écouter partout. Il n’y a jamais eu cette envie de se dire « tiens, comment on va renouveler le genre ?».

Pour toi qui parles de l’importance du packaging chez Rien, d’où vous vient cette culture du beau, cette envie d’atteindre la pureté, tant musicalement que visuellement ?

Euh… Bach, les Beatles, tous les groupes en B en fait… (Sourire).

Bjork, Balavoine ?!

Un peu, un peu, ah ah ah ! Ca vient simplement de l’envie de faire des belles choses. Ce n’est jamais en réaction à tel groupe ou telle scène, dans le groupe on a tous des parcours différents, certains ont un niveau musical pas terrible, d’autres sont meilleurs ; et c’est le mélange des influences et des niveaux qui donne Rien. Au moment de la formation, tout est vraiment parti de cette vaste blague de se dire « tiens on va faire un truc un peu expérimental », pour le coup en réaction à une certaine scène indépendante un peu casse-couilles où t’étais jamais le bienvenu, où il fallait être adoubé pour pouvoir rentrer. Mais très vite, on a dépassé cette posture un peu binaire pour développer notre musique, parallèlement à nos études.

Et du coup, au fil des années, vous avez décidé de créer l’Amicale Underground, votre propre label. Envie de vous auto-gérer, ou problème à trouver une maison de disques intéressée par le projet Rien ?

Au tout début, on a eu Un Dimanche, une toute petite structure montée par le grand frère du guitarite Dos.3, qui a sorti le premier disque Requiem pour les baroqueux. Il se trouve qu’au moment de la réédition, on attachait beaucoup d’importance au packaging, sauf que ça coûtait un œil et que le label a refusé de payer la note. On s’est donc posé la question de gérer le truc nous-même, en se séparant de ce label qui nous avait quand même pas mal aidé, pour monter L’Amicale Underground. Mais encore aujourd’hui, ça reste un collectif de musiciens avec Calin, Jull… Un ensemble d’artistes qui traînent tous à Grenoble et qui font de la musique ensembles. L’Amicale Underground, ça n’a jamais eu la vocation d’être un label défricheur, même si on a sorti My Jazzy Child en 2009, ce qui est un peu l’exception. Moi j’aimais bien le groupe Centenaire (d’où sont issus les musiciens de My Jazzy Child, NDR), ce sont des gens qu’on appréciait. Mais comme on n’a déjà pas vraiment le temps de développer nos propres projets, on se limite sur les signatures.

Et si le label est un collectif qui fonctionne en circuit fermé, quelles sont les valeurs qui vous unissent ? L’amour des enfants morts, la passion des frites ?

Plutôt les écureuils morts, tu verras ce soir. (Et c’est vrai, pendant le concert une voix robotique hilarante ponctue les morceaux d’interventions vocodées avec, notamment, une interpellation du public : « Mais bordel, êtes vous tous devenus des écureuils morts ? » – NDR). Sérieusement, ce qui nous réunit c’est avant tout une amitié. On s’est tous connus à l’adolescence.

Finalement le label porte bien son nom, c’est une sorte d’Amicale bouliste quoi.

Ouais, c’est une amicale de vieux papys qui sont contents de se retrouver, une sorte de pieuvre avec plusieurs tentacules où chacun a commencé à s’investir dans du théâtre, une émission de radio, et puis il se trouve que le tentacule musical a fini par prendre le dessus.

L’une des caractéristiques du groupe Rien, c’est le maigre nombre d’albums sortis en dépit du nombre d’années d’existence. Un disque en 2003, un autre en 2007, un EP en 2010, c’est peu. A quel moment décidez-vous que c’est le bon moment pour réapparaître ? Et quelle place prend Rien dans vos vies ?

Bonne question. La logique s’est finalement inversée : au début on voulait sortir des disques quand on trouvait qu’on avait des idées, et pour l’EP 3, les choses ont semblé moins évidentes, j’ai déménagé à Berlin, les séances de répétitions sont devenus plus dures à caler, idem pour les tournées. On a donc commencé à se fixer des échéances, sans quoi le groupe aurait cessé d’exister. On s’est dit : « peu importe ce qui sera prêt, on sort un disque au printemps 2010 ». Il se trouvait qu’il y avait quatre morceaux de prêts, on les a sortis, point. Et on a décidé de procéder un peu comme ça maintenant, que plutôt que de se dire qu’on devrait attendre d’avoir dix morceaux enregistrés pour sortir un album, on allait se fixer des ultimatums et publier ce qui serait finalisé à la date butoir.

Avant de parler de l’avenir, revenons deux secondes à votre deuxième album. Il se dégage une atmosphère pesante, flippante, un brin monacale, de ces enregistrements. En tant que musiciens, dans quel état d’esprit étiez-vous, pendant les séances ?

A l’époque, on était encore un peu jeunes – on avait encore des cheveux – et l’idée était d’avoir un album ambitieux, qui explore différents domaines, l’inverse d’un album des Strokes avec dix titres identiques. C’est pour cela qu’un titre comme Se Repulen peut effectivement faire penser à du Melody Nelson, que des titres comme Grunge ou Cortez qu’on aime bien, ou B.A.S.I.C. qui dénote un peu avec son côté pop. L’idée, c’était d’explorer tous les champs du possible, qu’on ne soit pas catalogué comme bon groupe de province. Et que l’aura soit plus que régionale, au minimum nationale et pourquoi pas au-delà. Et l’ambition à l’époque, c’était aussi le constat qu’il n’y aurait jamais d’avenir pour un groupe comme nous, majoritairement instrumental, en France, d’où l’envie de faire une musique suffisamment intéressante pour toucher des labels anglais ou allemands.

Et ça a marché ?

Ca a quasiment marché (sourire jaune) mais ça a capoté car le label en question – Ever Records – a fermé ses portes à ce moment-là.

Et lorsque les labels mettent la clef sous le paillasson, vous continuez d’exister. Connais-tu les chiffres de téléchargement de vos disques, tous mis gratuitement à disposition sur le site de l’Amicale ?

Sur le Prédiction, on doit en être à 6000 téléchargements et on en a vendu plus de 2000. C’est un bon ratio, finalement, et tant que c’est une petite structure disons, de proximité, ça fonctionne, même si ça fait un peu FR3. Un type t’envoie un mail, tu lui réponds, tu connais les gens qui aiment ton groupe, eux sont prêts à payer pour soutenir ta musique. Je suis plutôt content de ce système, ça donne des donations, des achats d’album à la sortie des concerts. Hélas on ne vend pas encore nos disques en vinyle, mais ça risque de se faire via la structure d’un des musiciens de The Oscillation (Full Time Hobby, NDR).

En remontant votre histoire, on arrive à l’EP 3, strictement instrumental, qui marque une rupture musicale avec vos essais précédents. Annonce-t-il une nouvelle ère pour Rien ?

Oui, c’est le premier EP d’une série de trois EP’s. Un compte à rebours type NASA avec une trilogie nommée 3, 2, 1. Sachant que, scoop, le dernier se nommera Ignition et aura la forme d’une sphère, direction une autre planète dans le plus pur style Raelien, truc mystique quoi.

D’ailleurs maintenant que tu le dis, je trouve que tu ressembles terriblement à Raël.

Ah ouais ? J’ai malheureusement pas le permis et j’fais pas de rallyes automobiles…

Non mais tu as mis en place la contribution des fans, c’est la culture secte, ça.

Oui, oui, oui ; de toute façon le rock indé c’est un peu sectaire, voilà. Et pour revenir sur l’EP 3, je ne sais pas si cela amorce une autre direction ; c’est vrai que le premier titre était résolument différent, avec des trucs un peu Carpenter sur les synthés, des trucs un peu Morricone avec la guimbarde. Mais je crois que dans le futur on ira de plus en plus vers des morceaux chantés, au départ ce n’était pas évident, mais c’est une envie : aller vers des voix.

Et pour conclure sur votre future trilogie, j’ai l’impression que contrairement à d’autres groupes qui tentent de planifier leur succès, Rien a définitivement programmé sa mort. C’est vrai, cette histoire de split en 2014 ?

Bien sûr que c’est vrai. Est-ce qu’on raconte souvent des conneries ? Non, tout est vrai… (Sourire).

Nan mais avoue que prévoir de se saborder – je cite – pendant les soldes japonaises de 2014…

Ouais, bon… Moi j’aime bien l’histoire qui dépasse la petite histoire, comme quand tu vas dans un musée d’Art Contemporain avec des légendes qui t’expliquent l’œuvre, et la dépassent. Et puis programmer sa fin, c’est très Jean Edern Allier, j’adore le délire ! T’as toujours une date de péremption sur les produits, conserver le groupe à un certain moment ça sera ringard, on va tous finir par avoir des gosses, des chiens, peut-être une femme, du coup pour l’instant on se tient à cette date ; c’est même inscrit dans les statuts de l’association : dissolution prévue pour février 2014.

Et tu penses que vous serez capables de résister à la tentation d’une vie après la mort ?

Oh, tu sais… il y a toujours des rebondissements. Ca, c’est le travail des scénaristes en coulisses (sourire). Mais je pense qu’il y a de grandes chances qu’on s’y tienne, c’est de moins en moins évident de tourner avec Rien, on n’en vivra jamais. Donc d’ici 2014 on va tenter de sortir des disques vraiment biens, soit encore 2 EP’s et cet album en forme de sphère, si la technologie d’ici-là nous le permet !

L’un des musiciens de Rien interrompt la discussion, il est temps d’aller manger avant le concert. Poignée de main et au revoir. Après un live époustouflant de maîtrise et d’intensité, je rentre chez moi avec la certitude que la fin du monde, pour eux, peut encore attendre. Rien ne vaut Rien.

http://www.amicale-underground.org
http://www.myspace.com/rienrienrien


RIEN | Myspace Music Videos

8 commentaires

  1. Je balance fissa ce truc sur les réseaux sociaux dans l’espoir d’un résonance intersidéral qui saura bouleverser les habitants du 2.0 en quête de rédemption électrifiée après tout ce temps passé à dessiner des 0 et des 1. Amen.

  2. Putain… Bon, je ne peux pas écouter ces textes sans pouffer de rire mais la musique, la musique… c’est quelque chose !Le gars qui a enregistré ça sait y faire ! Je suis un peu saisi, je dois dire.

  3. @ Syd : Vu le peu de chant qu’il y a sur le reste de leur zizik, tu devrais rester coller un moment sur leur discographie : Effectivement, Rien, c’est quelque chose. Peut-être le meilleur groupe français depuis 10 ans.

  4. yop,
    big up à Bester pour l’itw. merci!
    qqs corrections rapides: le disque sorti en 2009 sur l’Amicale Underground est celui de Domotic ET My Jazzy Child (2 membres de Centenaire.. je vous conseille de les écouter.. bien chouette!).
    My Jazzy Child (solo) quant à lui a sorti un disque sur Clapping Music récemment: The drums!.
    sinon : « on va tous finir par avoir des gosses, des chiens, peut-être une femme.. ». je dirais pour ma défense que l’ordre des mots dans cette phrase m’a surement été soufflé par coco fruit… quelle pute ce coco.
    Enfin, je rappelle que TOUS les disques du label sont dispos en libre téléchargement sur http://www.amicale-underground.org
    mucho love,
    yugo

  5. @ Vernon: « français »??? comme c’est petit!!!!
    RIEN, c’est le meilleur groupe du monde! D’ailleurs, « Mieux que RIEN, c’est pas possible » (proverbe Kirghize)

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