Quand un groupe de potes se donne rendez-vous sur un quai de gare, ce n’est pas forcément pour jouer à pisser sur les rails le plus loin possible. Quai n°5 est un savant mélange de classique et de musiques du monde qui allie la profonde connaissance musicale de 5 musiciens à un univers passionnant rempli d’humour mais aussi d’une extrême sensibilité.
Un rendez-vous banal sur un quai de gare. La gueule rougie par les courants d’air glacés d’un mois d’avril pas très printanier, je poireaute dans le col relevé de mon manteau noir en donnant régulièrement des petits coups d’oeil nerveux à ma toquante Armani. Le coeur qui bat, les genoux qui flageolent un tantinet, j’attends Cristina qui arrive aujourd’hui de Buenos Aires. Paname nous tend les bras pour un week-end inespéré. Je suis bêtement tombé amoureux de cette femme un an plus tôt. Quelques échanges sur Internet et surtout l’écoute de ses enregistrements de soprano m’ont fait péter un câble. Dire que j’étais sur le point de partir pour l’Argentine en laissant tomber femme, niards, chat, casbah et bagnole ! « Je serai à Paris le week-end du 3 au 4 avril, j’aimerais bien te voir … ». Merde ! Un an plus tard, je ne suis plus amoureux mais ressens toujours le besoin d’exorciser les raisons de ma présence aujourd’hui, sur le quai n°5. La foule bigarrée qui dégueule du train de 13h52 exhibe sa graine multiraciale, le monde entier se donne rendez-vous là. Et moi j’attends Cristina qui se faufile enfin et approche d’un pas tranquille, son petit corps bien serré dans son imperméable blanc cassé. Sa peau mate et ses yeux noirs s’offrent à moi. Sur le parvis de Notre Dame, un groupe d’étudiant en musique joue du Vivaldi. A Beaubourg, guitares et bandonéons attirent des groupes de spectateurs et … des photographes japonais. Chaque pas que nous faisons est accompagné de sa propre mélodie. Paname dans toute sa diversité culturelle impose son rythme et fait battre nos cœurs d’amoureux adultères à l’unisson.
Il y a des disques comme ça, qui résonnent en nous, qui nous font monter les larmes aux yeux et revivre des instants que l’on croyait à jamais enfouis dans notre vieille caboche de mélomane désabusé.
C’est bien ce qui m’arrive en ce moment, à l’écoute de ce précieux mélange teinté de classique et de musiques du Monde. Les artistes n’ont plus rien à démontrer, ils excellent tous dans leur Art mais ont décidé de se réunir et de taper le bœuf de manière intelligente et sensible. Jouer du Bach et sa Fuite en Fi comme s’ils se retrouvaient propulsés au carnaval de Rio, faire swinguer le Prince y dort ? dans un piano bar à Amsterdam, Faire danser un Mozart Klezmer dans un mariage juif. La chanteuse Juliette prend magnifiquement part à ce tableau en interprétant Tosca Mimi, Puccini revisité avec les tripes et une sensualité étonnante. A toi, Cristina, je dédie ce Milonga non troppo, piano et bandonéon, qui m’arrache le coeur et les larmes en ce moment. Je pense à toi, j’espère que tu ne m’as pas oublié. Nous danserons encore si tu veux sur Après un raid et nous ferons l’amour Tosca Mimi jusqu’au petit matin.