Dans le merveilleux monde de la musique indépendante, ce fut l’une des révélations de l’année 2021, dont on retiendra qu’elle fut plutôt vide et bancale en termes de production, Covid aidant. Avec « Once », l’Avignonnais derrière Le Superhomard et l’Australien Maxwell Farrington réussissaient à traduire en musique ce qui aurait pu être n’importe quel film de Robert Zemeckis, soit une histoire sentimentale avec deux musiciens que rien ne prédestinait à se rencontrer, et pourtant réunis autour d’une passion commune pour les crooners et l’esprit mort de Scott Walker. La planète, déjà mal en point, méritait-elle vraiment tout ce bonheur irritant ? La vie est-elle vraiment comme une boite de chocolats ? Et si oui, faut-il tous les manger ?

Commençons par une rectification légitime : le « tout le monde » du titre reflète mal l’état de la presse musicale actuelle ; je ne suis même pas sûr qu’on pourrait monter une équipe de foot avec les journalistes musicaux encore en âge de tcler un disque. Quant au « nous » du même titre, c’est surtout moi.
Avant de taper ce papier, j’ai donc commencé par une solide introspection : pourquoi cet album de cowboy breton jappant sur des mélodies à clochettes dans un remake californien de Mary Poppins m’horripile-t-il autant ? Besoin d’aller à contre-courant de la critique ? Peut-être, mais j’ai passé l’âge. Haine féroce des disques pop avec de l’harmonica vaporeux illustrant des dessins CE2 ? Sans doute. Mais tout cela n’explique pas pourquoi un être humain normalement constitué peut s’avérer capable de perdre 30 minutes de sa vie pour déglinguer deux musiciens a priori recommandables et bien vêtus sur leur photos presse, d’autant plus quand la notoriété du projet (3981 fans sur la page Facebook officielle) n’atteint pas encore celle de Coldplay et de tous les autres vrais affreux de la musique industrielle et que, pour résumer, la musique du Superhomard et Maxwell Farrington n’a jamais tué personne. Alors, c’est quoi ton putain de problème ?

Commençons par les présentations, si vous avez raté le premier chapitre de cette histoire qui cloche. Le premier (Superhomard) s’est fait connaître avec un premier album paru en 2015 (« Maple Key ») qui rendait hommage, pour ne pas dire plus, aux premiers disques Tricatel. Quitte à se perdre un peu dans le costume de Bertrand Burgalat. Un drôle d’anachronisme que de reproduire cette pop de la fin des années 90, jusqu’au design de la pochette, quand les disques Tricatel première période évoquaient alors une nostalgie encore plus ancienne. Mais passons.

 

Le second, Maxwell Farrington, a quitté Brisbane (Australie) pour Saint-Brieuc (un autre bout du monde) et s’est fait connaitre avec un projet plutôt rock en 2018, du nom d’un acteur qui semble aller mieux depuis qu’il est mort (Dewaere).

Ensemble, et ainsi débute le storytelling, ils accoucheront par surprise (est-ce physiquement possible ?) d’un-album-de-tous-les-possibles après une rencontre fortuite à Paris, après que les deux se sont rendus compte, comme dans une date Tinder, qu’ils avaient une passion commune. Cela suffit parfois pour un mariage, encore plus souvent pour un divorce. La leur :  les crooners. Sinatra, évidemment, mais aussi Lee Hazlewood, Scott Walker ou encore Burt Bacharach (qu’on aurait vraiment envie de renommer Beurk Pasparla, au regard des circonstances). En résulte un album croquignolesque, « Once », et cette impression de bonheur en tube délivré par un médecin de guerre, sans ordonnance.

Sorti dans le désert intellectuel et artistique de la fin des années 90, quand productions trip-hop et ambiance pré-Lofteurs M6 régnaient sur la fin de siècle désordonnée, « Once » aurait gagné des points ; ne serait-ce que pour le contrepoint qu’il aurait imposé à l’époque en remettant sur la carte une certaine conception des chansons Brill Building – ce que fera précisément la trilogie Austin Powers en ressuscitant Burt Bacharach. Vingt ans plus tard, la sauce a tourné. Et cette folk d’opérette, cet nanopéra pour « gens qui écoutent un peu de tout » provoque des réactions épidermiques. Le beau a-t-il besoin d’être caricaturé à ce point pour exister ? Le vintage a-t-il encore sa place dans un monde qui n’en peut d’attendre demain ? Et pourquoi toutes ces musiques de salon, sans âme et taillées pour les cocktails maintenant qu’on n’a même plus le droit d’y aller ? La consigne sanitaire, sur « Once », aurait été de respecter les gestes barrière pour éviter le plagiat des ancêtres ; au moins d’y apporter autre chose qu’une fine couche de papier peint, sans relief.

Des mélodies sans conséquences, l’assurance d’un voyage en voiture sans embouteillages et où l’on arriverait pile à l’heure, voici pour résumer la promesse de ce qui, au vu du titre, n’aurait dû arriver qu’une seule fois. Raté : un nouvel EP semble prévu pour 2022. Quant à Maxwell Farrington, il n’aura pas attendu : un premier album solo est paru en décembre dernier (Beast Records) sans qu’on puisse de départir de cette envie d’ouvrir le robinet pour calmer le larynx du chanteur pyromanant à tout va.

Il y a toujours quelque chose de suspect chez les fans de Neil Hannon, comme une impression de master raté en langues étrangères, et le sentiment que la vie aurait pu être autre chose si l’on avait su porter correctement les vestes en velours. Pas trouvé mieux pour résumer la crispation inspirée par ce homard linéaire, et qu’on aimerait plonger dans l’eau bouillante en espérant qu’il bouge un peu plus, juste une fois. « Once », en anglais.

Le Superhomard & Maxwell Farrington // Once // Talitres

2 commentaires

  1. Mo sieur le PDG, je crois que ce n’est pas sur beast records mais sur créme brûlée records que le disque est sortie et j’ajouterai après l’avoir découvert lors de la birthday party du label que Farrington, en plus de très bien chanter, est plutôt drôle, un petit quelque chose des monty python. Cordialement

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