Voyager, c’est toujours un choix. Un point de départ, une arrivée. Entre les deux, un cruel dilemme: s’accaparer les deux accoudoirs ou céder l’un des deux au voisin? Vaste interrogation à laquelle cet article ne répondra pas mais donnera quelques indices. Fidèle au proverbe, plus le trajet est long, plus la balise est grande.

Qu’il s’agisse de rock français ou de logistique de voyage, certaines grandes énigmes restent – pour reprendre le jargon des romances policières – insolubles. Indicibles même, parce que supposées stupides rien qu’à l’énoncé. Prenons le cas concret des voyages en train, ne pourrait-on finalement pas classer l’humanité en deux types de personnes: Celles qui prennent les deux accoudoirs, et celles qui offrent généreusement leur repose-bras à l’inconnu d’à coté? Les premiers seraient-ils des agresseurs/dominants, les seconds, des mauviettes dominées? Tout est souvent question de duel, remplacez les bottes de paille par un fauteuil de seconde classe, vous obtiendrez la rivalité moderne; des luttes mesquines pour le pouvoir, confinées dans de petits espaces. L’étude sociologique dites des deux accoudoirs1 fonctionne également pour les voyages en bus et pour les séances de cinéma; chacun y devinera sa position bien conscient qu’on est souvent mal à l’aise à proximité de l’autre. Gagner ou céder un bout de territoire ou d’accoudoir, désopilante histoire de l’homme moderne.

La chanson française, même parée de perfectos cuir, est toujours un transport en commun. Un canal pour le plus grand nombre, une façon de s'(e)mouvoir à plusieurs sur un air compris de tous, sans le fardeau des sous-titres. Au delà de leur nom, Poney Express, ces jeunes gens modernes ont finalement tout compris. Leur premier album2 était passé tellement vite qu’on n’avait rien vu venir, à peine une ombre à vous en décoiffer les sourcils, oh pas de quoi se recoiffer la cime des poils pubiens, même pas le frisson des premières sueurs. Et puis Palladium, le second disque, a finalement vu le jour. Prévu pour octobre 2010, date à laquelle j’avais méthodiquement prévu de me suicider par voies médicamenteuses (un zest de M, un quart de Valium, un tiers de Noir Désir et le reste touillé avec du Mademoiselle K et des miettes de Guerilla Poubelle), autant dire que les chances d’être surpris se comptaient sur les doigts d’une main de Django Reinhardt, comme dirait l’autre.

« De la belle chanson ambitieuse et polie comme on n’en pisse pas tous les matins », voilà ce qui vient à l’esprit. Genesis, le premier titre, n’est pas une dédicace à Phil et ses enjambées pour tétraplégiques. Un son de batterie lourd et martial qui évoque la pulsation d’Interpol, qui soutient une voix à la naïveté coquine. France Gall VS The Stranglers, anachronisme? Pas vraiment. Le parti-pris du français, chez Poney Express, s’explique par un amour des racines emmêlées. Dans les notes de bas de page, on apprend que Martin Rushent (The Buzzcocks, Human League) a été mis dans la soute pour la production, Craig Silvey dans la boite à gants pour le mixage, tout ce beau monde empilé dans un tour-bus pour composer du rock de radio à s’enfiler en sniffant la colle UHU des gamins qui grelottent sur la banquette arrière.


A mi-chemin, plusieurs fausses routes. Des erreurs de parcours, un album qui se perd parfois dans ses ambitions. Mais putain, tu pourrais pas lire la carte à l’endroit, bordel? Dans le coffre, c’est Michael Garçon (le Tricatel boy fondateur d’AS Dragon) qui pédale au synthé, donne l’énergie nécessaire à la machine pour s’emballer. Dans les virages en épingle, Poney Express fait grésiller la FM (Les Falaises), en ligne droite c’est tout l’inverse, un drôle de véhicule rétro-futuriste carburant aux diodes électroniques. Moins chaotique qu’Elli et Jacno, la synthpop des parisiens s’avère pour le moins surprenante, beau bolide un peu bizarre égaré dans la plaine française comme les squelettes en Arizona. NB: Penser à décaler mon silence de quelques mois encore.

Deuxième album, mais première classe pour Poney Express, un groupe qui comprend enfin que faire claquer les guitares comme les cousins d’Amérique, ça n’a pas d’avenir. Quatre petits coursiers d’entre deux routes qui délivrent un message insoluble semi-crypté3, lui aussi. Si le rock français n’a jamais eu d’avenir, sa course n’en sera que plus belle. Et si le voyage s’avère tumultueux, reste toujours une troisième alternative: relever les accoudoirs et laisser flotter les membres, certaines pistes gagnent parfois à se mélanger.

Genesis

http://www.myspace.com/poneyexpress
(Second disque
Palladium, sortie en octobre 2010 chez Atmosphériques)

1Brevetée © Bester, comme vous l’aurez compris

2Daisy Street, 2008

3 Le Pony Express fut un service de distribution du courrier aux États-Unis en service entre avril 1860 et octobre 1861. Celui-ci visait à sortir l’ouest des États-Unis de son isolement géographique.

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