L’un des grands clichés sur le journaliste, au sens large du terme, consiste à penser que puisqu’il n’a pas payé sa place le scribouillard ne peut donner son avis, parce que « 

L’un des grands clichés sur le journaliste, au sens large du terme, consiste à penser que puisqu’il n’a pas payé sa place le scribouillard ne peut donner son avis, parce que « lorsqu’on désire réellement quelque chose on fait comme tout le monde : on paye le prix ». Ce dimanche soir, au Bataclan, j’ai soigneusement évité la guest-list, présentant fièrement mon ticket au cerbère. C’est vrai que ca m’a fait quelque chose en pénétrant dans l’arène.

Bien sûr, je ne dirai pas que voir Polly Jean était l’égal d’une défloraison, mais j’ai tout de même senti comme une deuxième virginité, un nouvel élan, une émotion qu’on perd lorsqu’on parle au comptoir parce que la première partie est sans intérêt. Et qu’on n’a pas payé sa place. Gentiment j’ai rejoint les premiers rangs, mimant la coolitude du mec seul attendant droit comme un i dans une foule éparse. Derrière, un brouhaha vrombissant grandissait. Je me souviens très nettement m’être demandé à ce moment là si je connaissais des gens dans la salle. Encore un réflexe de pigiste/rédacteur/journaliste. J’ai tourné la tête, envoyé des textos, songé à l’avenir de l’humanité et au premier frisson ressenti à l’écoute de Stories frome the sea, stories from the city, huit ans déjà. « Elle aurait du arrêté après cet album », me dis-je « c’était le plus abouti, le plus commercial, elle était sexy sur la pochette ». J’ai longtemps cru qu’elle s’était fait refaire le nez sur cet album, j’ai cru reconnaître une ex deux rangs derrière. Et puis les lumières se sont éteintes. J’avais très mal au dos, mais heureux –pour une fois- d’assister au concert d’une artiste vendant plus de 1000 albums par continent.

Le sacrifié du jour se prénomme Tom Brosseau, première partie inégale et solitaire (« encore un problème de budget » ai-je pensé, encore un mauvais réflexe) de Polly Jean sur une partie de sa tournée. Un nœud papillon, une chemise même pas rentrée dans le jean, un jeu de guitare dylanien et la voix de soprano Uncle Ben larmoyant typique de la génération Jeff Buckley. Charisme d’huitre verni à la Roche Bobois, Brosseau gagne la – première- partie non sans efforts, à bout de bois. A quel moment l’artiste a-t-il décidé de dépolitiser le blues à papa, pourquoi n’ai-je rien mangé avant de venir, comment positionner ses mains pendant un concert ? Certaines habitudes se perdent facilement. Fin du set. Penser à applaudir.

Parfois il arrive qu’on perde une discographie en route pour rester fidèle au souvenir. Des albums qu’on écoute qu’une fois comme pour ne pas se décevoir, rester sur cette impression pucelle qu’on ne s’est pas perdu en route, que non White Stripes c’est pas pire qu’avant, Coldplay toujours inventif, Ghinzu encore super frais. C’est à ce moment là que PJ est entrée sur scène.

Premier constat flagrant, ses bras sont larges comme des pailles, ses musiciens larges comme des pneus et John Parish classe comme… Parish reste Parish, un ouvrier de l’ombre qui entame la mesure de Black hearted love avec un panache très british. J’en vois qui lève le doigt : oui, Parish est pour beaucoup dans le succès de Polly Jean, tout à fait. De là à asséner l’intégralité d’un album peu connu (Dance Hall at Louise point) pour rester conforme à ses principes (être ORI-GI-NAL), il n’y a qu’un pas que je ne saurai franchir, la salle est bondée. Rythmique en place, voix haut perchée, le set de la Cléop(l)âtre tient encore nettement en place, PJ a simplement décidé d’arrêter d’être excitante sur scène, délaissant les guitares, oubliant la folie, niant toute notion de rock’n’roll dans l’arène, optant pour un petit sac en bandoulière (genre étudiante en lettre avec du teu-shi dedans, tu vouahhhhh ?) plutôt que la guitare qui faisait d’elle – du moins à mes yeux- une super-héros au long nez. Parish enquille les riffs, multiplie les effets, Polly sourit et c’est déja la fin. Vingt minutes de concert et déjà l’envie de demander aux gens la raison de leur présence. Je tente la promiscuité, l’humour en local avec des connexions IP avec le voisinage (« ca va, tout se passe bien ? »). Réponse en Coca Zéro, tout le monde semble ébahi de revenir dix ans en arrière à l’époque où ils étaient en fac de science avec Dry ou To bring you my love en fond sonore, pendant les révisions. La nostalgie est un beau sentiment, le seul qui vaille en musique ; j’ai comme un mouvement de recul. Pitié Jesus, libérez moi de mes chaines.

Comme Austin Powers, Lenny Kravitz, votre petite amie de l’époque ou tiens ! même Pierre Beregovoy (ne cherchez pas à comprendre), PJ Harvey a tout simplement perdu son Mojo. Ce petit truc qui faisait vibrer l’intérieur, misant tout sur la performance vocale, la logique des vies rangées, encore. Lui en vouloir, cracher sur le public qui gobe allègrement…. Léger soubresaut, marche arrière, le décor n’est pas bon, escapade discrète vers la porte de sortie, regards interloqués des spectateurs (« est-il malade, trop bourré, pour partir si TOT ? »), malaise palpable.

Les mauvaises langues diront que le cynisme est une barricade sensitive, je persiste tout de même à croire que la lucidité, dans le monde actuelle, devient peu à peu une déviance. Ce soir, j’avais payé ma place, un ticket légitime vers la porte de sortie. Sur Leaving California, chanson du dernier album, une fille (25 ans surement, un poste d’assistante de communication et des relations inégales en amour) tente une photo sur son appareil 5 millions de pixels, à plus de trente mètres de la scène. Autant que je me souvienne, la photo était floue. Un jour, l’humain sera remplacé par le pixel et la nostalgie balayée des cortexs, mais en attendant, vieillir, c’est encore bien trop de peine pour un seul homme.

www.myspace.com/pjharvey

 

 

 

 

37 commentaires

  1. Et la beauté du geste alors ?

    Je vois pas le problème à rentrer plus tôt chez soi si c’est pour écrire un texte de cette trempe.

  2. il doit y avoir une thématique « vous êtes des vieux » cette semaine dans les commentaires… y a un rique de pandémie ou bien ?
    non, sérieusement « quitter un concert après 20 minutes c’est totalement ridicule « , pourquoi pas ?
    Pourquoi s’infliger l’affligeant alors le mot exit luit au bout du corridor ?
    je n’ai pas quitter le concert de PJ Harvey puisque je n’y étais pas, mais j’ai quitté le concert de David Bowie ou encore le concert de Stéréolab dans le passé parce que je ne pouvais décemment pas en infliger plus à mes oreilles.

    Y a un regain de l’ordre moral cette semaine ou bien une charte de bonne conduite lors des concerts ?

    « Je connais très peu d’artiste qui ont su à ce point se renouveler et prendre des risques après 20 ans de carrière (sonic youth éventuellement) » > écoutes plus de disques alors…

  3. « Je connais très peu d’artiste qui ont su à ce point se renouveler et prendre des risques après 20 ans de carrière (sonic youth éventuellement) » > écoutes plus de disques alors…

    Des exemples?

  4. Non vous ne quittez pas le concert au bout de 20 minutes parce que vous n aimez pas le concert, mais uniquement pour pouvoir le raconter après. Ca fait tellement claaaasse de partir au bout d’un quart d heure de Bowie… Enfin après tout c’est votre fric vous en faites bien ce que vous voulez, admettez seulement ça ce n’est que de la frime, de l’apparence, du vent… Dans le fond vous n’aimez pas la musique (vous n’en parlez jamais), mais vous êtes tellement hype! Note que ça fait un sujet de conversation au Paris Paris entre deux coupettes.
    Et dire que vous vous inscrivez dans la suite de Hunter Thompson…. Effectivement la vieillesse est un naufrage.

  5. Marianne Faithfull(l’avant dernier), Portishead(Third), tortoise(le nouveau), Iggy Pop (Avenue B), David Bowie(Earthling), Robert Wyatt (à chaque album), Tous se sont renouvelés à un moment donné de leur (trop)longue carrière, ne croyez que je trouve qu’ils l’aient fait avec plus de talent qu’Harvey ou que j’affectionne ces albums (bien au contraire), moi je répond juste à votre question, cher anonyme et je suis sûr qu’on peut encore allonger cette liste mais je préfère couper court, en avouant que je monte assez vite sur mes grands chevaux quand on sacrilise l’artiste qui a de la bouteille au point de ne pas tolérer la moindre critique à l’égard du troubadour en question.
    Une longue carrière n’excuse pas la médiocrité.

    Du coup je quitte ce dialogue au milieu du concert.

  6. il est pas fermé le Paris Paris, d’ailleurs ?
    moi je vais plus au Nantes Nantes de toutes façons et je bois de la bière…

  7. Cette discussion est totalement ridicule.
    Qui serait assez bête pour se retirer avant l’orgasme pour le raconter fièrement? Cette discussion est totalement ridicule.
    Si le public (celui qui s’exprime) a toujours tort, les médias (qui donnent leurs avis) n’ont pas souvent raison non plus.

    J’insiste simplement sur le ticket payé parce qu’ici c’est surtout l’avis d’un fan. Est-il plus critiquable que le votre? Il est du moins autant défendable, et le parti-pris assumé de laisser les commentaires vous donne tout autant le droit d’y répondre.

    C’est simplement un principe très égoiste et un peu mortifère, mais le fait qu’un artiste devienne « heureux » lorsqu’il s’est fait connaitre pour ses névroses, c’est le cas de PJ, c’est toujours un peu décevant.

    Si vous faites parti de la brigade du bon gout, merci de passer votre chemin, ces discussions m’ennuient.

  8. Le nouveau tortoise est catastrophique, Portishead je te l’accorde mais ça ne fait que 10 ans de carrière, Bowie je vais faire comme si je n’avais pas lu, Faithfull, tu parles de Before the poison? L’album composé par … Pj Harvey?
    Pour Robert Wyatt c’est en revanche assez juste.

    Mais je pensais que tu allais trouver des choses un peu moins ordinaires…je sais pas… Yo la tengo par exemple ou disons les littles rabbits, television personalities… C’est très frustrant!

  9. Perso, j’ai payé ma place. La première partie était un peu molasonne, l’ambiance était Folk, le look « english school boy » voir « NERD », mais j’ai trouvé que Tom s’en est bien tiré avec sa voix osée et bien poussée.
    Cette tournée est celle de Pj et Jp, et non pas Pj toute seule, donc rien de surprenant dans le fait qu’ils n’aient joué que des morceaux de leurs officielles collaborations (Jp a toujours été « derriere » les Cd de Pj toute seule).
    Notre Pj n’est pas arrivée sur scène en mini jupe sexy, et a abandonné sa paire de botte pointue qu’elle aime tant (Remember Rock en seine il a quelques années, elle allumait tous les mecs dès qu’elle règlait son ampli!!).
    Pour le reste, le me demande si toutes les personnes écrivant ici connaissent les 2 CD de Pj et Jp. Ils ont toujours fait de la Zic barrée, expérimentale, et loin des clichés et des constructions « Pop-rock classique ». Donc rien de surprenant que sur scène tout celà ressorte, choque ou scotche, interpelle…
    J’ai aussi une préférence pour ce que Pj fait seule. Un « White Chalk » (amaigri de quelques morceaux pas forcément utiles) est bien loin devant tout çà, mais quitter la salle au bout de 20 minutes ne fait pas vraiment preuve de curiosité et connaissance musicale poussée. Dans ce cas, écoutez Pascal Picard, elle vous faconnera un live show « easy leastening » qui fera bouger votre corps sans jamais interpeler votre cervelle.
    Je suis assez d’accord cependant que 45 E pour ce spectacle, c’était un peu cher. Mais je pense qu’il vaut mieux en parler au tourneur plutot qu’aux artistes qui ne décident pas des prix des places de leur tournée.

    Profitez bien de ce long WE!!

  10. Ben pour ma part, c’était gratos…
    J’étais sur une liste, je me suis tapée 5 heures de train avant, et j’étais très contente d’avoir chaud au bataclan après les 12 °c brestois que je venais de quitter… (suis marseillaise… pas habituée…)
    J’suis une fan de PJ (plutôt rid of me/bring you my love, que les stories, que j’aime aussi… un album à tubes).
    Et je l’ai déjà vue justement en 2001 sur la tournée de stories… et sexy ou pas, guitare ou pas, c’était déjà pas le concert du siècle…
    il n’empêche qu’elle donne dans la pureté cette femme, moins brute, moins écorchée, mais pas molle ou réchauffée pour un sou!
    Et le public parisien, que je n’apprécie pas plus que le public marseillais, a toujours tendance à attendre d’un artiste un enchaînement de tubes, de vieilleries, une constante mélancolie… et quand l’artiste joue son anthologie live, on lui reproche de n’avoir rien joué de récent… bref, des éternels insatisfaits… ceci dit, on reste dans un pays libre, donc bienheureux sois-tu de t’être barré quand tu en as eu envie!
    Vous voulez un bon live, des nénettes qui envoie la voix: alice russel, sophie hunger, sexy sushi/mansfield tya, zola jesus et bien d’autres encore!

  11. Bam, commentaire utile.
    Superbe article, clair net précis et juste. Je ressens la même choses et de ne pas avoir oublier ceux qui écoutaient « to bring you my love » pendant les révisions est salutaire !
    Par contre, l’introduction sur le cliché du journaliste me semble un peu superflu, ou alors autant rentrer vraiment dans le sujet.

    Au plaisir

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