Indépendamment du fait qu’un artiste soit intéressant ou soporifique, il y a parfois des interviews dures à dérusher. Et loin de penser qu’une interview serve un tant soit peu à quelque chose*, il faut bien s’avouer que les journalistes TV ont tout de même moins de problèmes que le glandu de l’écrit avec son dictaphone, le type prêt à perdre deux heures de son temps à faire « stop » et « rewind » pour transcrire les propos d’un chanteur dans l’air du temps.
Peter Von Poehl, bien évidemment, ne fait pas exception à la règle. Il n’est pas chanteur (enfin, pas que), n’est pas vraiment à la mode (mais il est beau, ce qui lui donne déjà 5 fois plus de chances d’apparaître dans Elle que disons…Michel Petrucciani !) et comme pour tous les autres avant lui j’ai soufflé trois fois avant d’enclencher le dérushage. Elle est dure ma vie, isn’t it ? Merci, nous sommes d’accord.
Le plus difficile c’est encore d’arriver à épater la galerie dans des introductions n’ayant en général aucun rapport avec le titre de l’article sur lequel vous, chers lecteurs, aviez initialement cliqué frénétiquement, avides d’informations incroyables sur un artiste insolite au passé sulfureux, tout autant dépassé par son génie que par ses envolées lyriques qui font qu’on est quand même content de vivre l’époque dans laquelle on baigne. Tout ca, ce sont de belles conneries. Les musiciens, dans leur grand ensemble, lisent des interviews de musiciens, évitent les questions pièges et dans le meilleur des cas formulent deux réponses marrantes qu’on tente tant bien que mal de mettre en valeur avec du corps gras et des rires en italique.
May Day, le deuxième album du blondinet suédois, est moins bon que le premier. Mais comme tout le monde s’est vautré sur son premier opus, tout le monde accoure au parloir pour éviter de lui parler de sa relation sentimentale avec la poétesse filiforme (Marie Modiano), louant au passage ses qualités de compositeur nomade ayant déjà parcouru le monde trois fois. Perdu dans ce grand barnum média, Peter Von Poehl fait indéniablement parti de la caste des gentils, celle des bambi lovers prêts à défendre les lapins de Scandinavie dans des chansons engagées mêlant habilement richesse de la composition et chant angélique venus du très Haut.
Accoudé à la terrasse d’un bar de province, subitement, un doute : Parliament, le single de May Day, chante dans le transistor d’une façon troublante. Soleil au zénith, loin des considérations capitales ; c’est l’éclaircie, Harry Nilsson et l’école Motown dans un même coffre, la pop-song moderne par un bohémien. Tout cela valait peut-être finalement la peine d’enfoncer la touche Play du dictaphone, comprendre comment le suédois francophone avait pu en moins d’une décennie se retrouver sur les albums de Michel Houellebecq et Burgalat, lancer deux albums solos et finalement réussir à me faire dodeliner de la tête dans une galerie marchande du sud de la France en plein hiver.
Bonjour Peter, le moins qu’on puisse dire c’est que May Day a pas du te coûter très cher en électricité non ? Ca sonne pas très électrique tout ça… par rapport à l’époque d’AS Dragon/Houellebecq….
Effectivement ah ah ! Bah oui y a plus de sous, alors j’utilise les ressources naturelles !
C’était une suite logique, May Day, par rapport au premier album?
Il faut savoir qu’à l’époque de Going to Where the Tea Trees Are, j’habitais à Paris, j’étais perdu dans les questionnements personnels, personne ne voulait sortir mon disque, je volais même des compositions de musiques populaires suédoises tu vois… Pour May Day les choses ont évolué différemment, je suis parti à Berlin, et les compositions venaient en tournée, seul dans un hôtel. C’était important de les jouer quasi direct live devant un public.
La basse ronde et chaude, quasi systématique sur l’album (Carrier piegon, Moonshot falls) c’est une référence à Air, un plagiat inconscient ?
Ah ah mais tu sais que j’ai tourné avec eux ? Sérieusement, tu as raison, la ligne de basse structure toutes les chansons, c’est con mais on double systématiquement toutes les parties mélodiques par rapport à l’instrument, c’est pas très compliqué.
Même lorsque tu abordes des sujets plus « sérieux », comme sur Near the end of the world, j’ai l’impression que tu n’arrives pas à être méchant…Tout est toujours extrêmement positif, c’est une maladie chez toi ?
C’est ce que j’aime chez les artistes en fait, donc c’est un compliment que tu me fais. C’est une vision du monde assez naïve, romantique, alors que le cynisme est partout. Il y a de l’humour, j’espère, dans ma musique. C’est embêtant lorsqu’on est trop « sérieux ». Sur May Day j’avais peur de faire le même disque, donc j’ai demandé à Marie (Modiano, NDR) de m’écrire les textes puisque j’avais travaillé sur son dernier disque… C’est Larry Mullins (batteur d’Iggy Pop, entre autres) qui nous a présenté l’un à l’autre, il joue sur mon disque d’ailleurs. C’est lui qui m’a le premier parlé de Marie comme d’une française écrivant comme Emily Dickinson, ca donnait envie !
C’est assez malin cela dit, de bosser avec la concurrente de Carla Bruni : même label (Naïve), même positionnement (la jolie jeune femme qui chante en anglais des poésies)…
Ah ouais tu trouves ? (silence profond) Moi je connais pas du tout Carla Bruni (sourire… impossible d’énerver Peter, NDR)
Cette névrose des cuivres sur tes compositions, tu en as conscience ? Y en a partout, sur toutes les chansons. Nostalgie de l’école Bruill Building, Stax ?
Ah non je dirais plutôt l’Armée du salut ! J’ai longtemps assisté à ce genre de « concerts, étant enfant. Ce sont des hasards, des rencontres, rien n’est programmé. Croire le contraire c’est une connerie.
Subtile transition vers tes débuts en France, notamment ta rencontre avec Burgalat et Houellebecq. Si j’étais mauvaise langue (et je le suis) j’aurais pu te demander si les rumeurs de l’époque (Houellebecq ingérable en tournée, des engueulades à répétition, etc..) t’avaient amené vers ton premier album solo. A l’époque tu contribues grandement à la construction de Présence humaine, qui restera surement comme un album culte de la dernière décennie. Question : as-tu été écœuré par l’expérience ? Jouer en groupe, c’est encore possible pour toi aujourd’hui ?
J’étais assez extérieur à tout ca.. en même temps non, ce n’est pas vrai. Disons que je n’ai pas fait parti de l’aventure qui a suivi, à savoir la formation d’AS Dragon. Mais je dois beaucoup à Bertrand, car à l’époque j’avais une simple bourse d’étude européenne en tant que jeune chômeur…. Il faut dire, avec le recul, qu’un groupe comme Eggstone est devenu une référence en suède, et c’est Bertrand qui les a soutenu à l’époque.. Mais pour revenir à Présence humaine, ce fut une super expérience, j’étais très impliqué à l’époque. Il y avait Bertrand, le groupe Eiffel et moi. Tout s’est fait de manière très chaotique, en improvisations, Burgalat était parti entre temps sur son album solo, pareil pour Eiffel… et je me suis retrouvé seul avec Houellebecq, à devoir recruter les musiciens, en plein été…
En d’autres termes, c’est toi qui crées AS Dragon ?
Nan… C’est juste un hasard. J’étais un chef d’orchestre ridicule, et toute la musique était vraiment improvisée, puisque tout reposait sur les textes, moi ne parlant pas un mot de français, pendu aux lèvres de Michel à attendre des mots clefs comme « Panini saumon » pour changer d’accord.. J’ai appris la langue française comme ça. Cet aspect chaotique, typique du travail de Bertrand, m’a été extrêmement bénéfique. C’est à la fois free, joyeux et spontané, une approche libre, du désordre organisé quoi.
Je finis avec la question Inrocks : May day, il y a un double sens je présume. Un appel au secours, la renaissance…
Oui bien sur. Mais je ne suis pas très pathos en fait. Si tu prends la chanson May day, je l’ai composée le 2 mai, par un beau matin, ciel bleu magnifique avec épaves de voitures dans la rue… Culturellement, chez nous (en suède, NDR), le premier mai est très important, car les hivers sont longs, et la notion de saison est inscrite profondément dans nos commémorations. Le premier mai, pour moi, c’est un drôle de sentiment ; se balader le long de la plage désertée, promener le chien de mes parents, sentir le changement de saison.. Je devrais être content et pourtant il reste un peu de spleen du temps qui change. Au moins en hiver on a le droit de sentir la tristesse, alors qu’avec le printemps il y a presqu’un plaisir coupable à ressentir de la mélancolie.
Photos: Gaelle Riou-Kerangal
* Bien évidemment cette affirmation n’a plus lieu d’être si vous possédez la première interview d’Alain Bashung réalisée en aout 1969.
http://www.myspace.com/petervonpoehl