Pete Way s’est effacé définitivement le 14 août 2020. Il est le troisième membre historique de UFO à partir en moins d’un an après Paul Raymond et Paul Chapman. L’homme n’était déjà plus très actif depuis une quinzaine d’années, conséquence de gros problèmes de santé liés à une vie particulièrement mouvementée. Il convient maintenant de rappeler combien Pete Way fut un personnage important, quoique méconnu, de l’histoire du rock.

Pete Way est né le 7 août 1951 à Enfield, petite ville commerçante du nord de Londres. Issu d’un milieu modeste, il grandit dans une famille sans histoire dans la Grande-Bretagne des années 50. Contrairement à de nombreux musiciens anglais, il n’a pas connu la Seconde guerre mondaiel. Ces six années de différence vont avoir leur importance. En effet, il ne va pas découvrir la musique avec Elvis Presley, Chuck Berry ou Eddie Cochran, mais avec le rock anglais du milieu des années 60 : Who, Yardbirds, Kinks, Rolling Stones, Beatles…

Devenu guitariste amateur, il traîne dans les fêtes du Londres de la fin des sixties, essentiellement pour goûter aux drogues, voir des concerts et draguer des filles. L’ambiance libertaire de l’époque est une véritable révélation pour Pete, qui voit un moyen inespéré de sortir de son milieu ouvrier, et peut-être de fuir sa destinée de prolétaire, alors que ses résultats scolaires ne sont guère brillants.
La rencontre décisive se fait en 1968, lorsqu’il fait la connaissance du chanteur Phil Mogg. Les deux montent un groupe avec le batteur Andy Parker, et un guitariste nommé Mick Bolton. Way, moins bon à la six-cordes, se rabat sur la basse, mais conservera une technique héritée de la guitare qui va faire tout son intérêt. Ils se nomment d’abord Hocus Pocus puis UFO en 1969, en référence au club londonien où ils furent découverts par leur manager, Noël Moore.

Signé chez Beacon, une sous-division de Deram-Decca, « UFO 1 » sort en octobre 1970. L’album fait un flop dans les classements anglais. Toutefois, UFO connaît un succès surprenant en Allemagne et au Japon avec les simples Boogie For Georges et C’Mon Everybody, reprise d’Eddie Cochran. Le quatuor joue alors une étrange mixture de Hard-Blues et de Rock psychédélique un peu précaire, du fait de la courte expérience musicale des quatre musiciens. Pete Way joue très vite un rôle important dans l’architecture sonore du groupe. Bolton distille des riffs et des chorus acides en forme de ponctuation, la ligne mélodique étant souvent tenue par la basse de Pete Way qui joue au médiator sur sa Fender Precision de gros accords épais.

« UFO 2 : Flying » et un live uniquement disponible au Japon sortent en octobre 1971. UFO est dans la situation totalement ubuesque d’être un groupe ultra-connu en Allemagne et au Japon, mais totalement ignoré dans son pays natal. Les critiques n’y vont pas de main morte. Rock & Folk évoque un mauvais Grand Funk Railroad.

Ce passage du stade de total anonymat à celui de stars adulées, du moins dans deux pays totalement exotiques, impose un rythme de tournées et de productions discographiques épuisant. Il l’est suffisamment pour que Bolton finisse par s’en aller en janvier 1972, fatigue à laquelle s’ajoute la frustration liée au caractère musical limité de UFO.
Il est alors remplacé par Larry Wallis, futur Pink Fairies, de février à octobre 1972, puis par Bernie Marsden, futur Whitesnake. UFO s’est fait sacqué par Beacon, qui ne leur a d’ailleurs pas payé un sou malgré le succès commercial rencontré. Le groupe part en Allemagne au début de l’année 1973 pour relever les compteurs financiers, mais Marsden se retrouve coincé à la frontière pour des histoires de visa. C’est alors que le jeune guitariste de dix-huit ans officiant dans la formation de première partie, Scorpions, se propose. Il s’appelle Michael Schenker, il a dix-huit ans, et connaît plutôt bien le répertoire de UFO. Après quelques répétitions sommaires, Schenker ne parlant pas un traître mot d’anglais, la tournée débute. Lorsque Marsden réussit enfin à rejoindre son groupe, il est trop tard : Schenker est tellement brillant que Mogg et Way l’ont invité à les rejoindre.

Signé chez Chrysalis, UFO entame une seconde partie de carrière brillante, sa plus emblématique. Le son du groupe a muté grâce à Michael Schenker. Fin compositeur, guitariste surdoué, il apporte riffs et chorus enchanteurs au groupe, qui développe un Hard-Rock chromé, tendu et mélodique. Way et Mogg réussissent à établir une méthode pour communiquer avec le germain Schenker. Pete Way s’affirme en tant qu’auteur, et signe avec le guitariste de très nombreuses mélodies. Son jeu rude de basse soutient à merveille les riffs serrés de Schenker, qui peut aussi s’envoler à foison en solo, notamment sur l’un de leurs premiers tours de force scéniques : Rock Bottom.

Le redémarrage est laborieux, et la Grande-Bretagne continue d’ignorer copieusement UFO. Ce sont les Etats-Unis qui vont s’intéresser à eux, dès « Phenomenon » en 1974, qui se classe 202ème. A force de concerts de plus en plus ravageurs, le quatuor s’affirme et gagne ses fans à la sueur du front. Pete Way développe son jeu de scène et son look, occupant l’espace scénique à côté du plus statique Schenker. Portant des pantalons à rayures, souvent torse nu, il tient sa basse sur les cuisses comme un guitare-héros. Sa silhouette longiligne lui donne l’aspect d’un personnage de latex, se contorsionnant de plus en plus sur scène, tenant des poses qui sont alors réservées aux guitaristes. Way est sur le devant de la scène comme Mogg et Schenker, et non pas réfugié contre les amplificateurs comme un John Paul Jones de Led Zeppelin ou un Bill Wyman des Rolling Stones. Pete Way rompt avec la tradition du bassiste effacé et discret, musicien interchangeable. Son jeu de basse massif, son attitude sur scène vont faire de la basse un instrument cool.

Au fur et à mesure des années, Way s’impose de plus en plus. Il troque sa Fender Precision en 1977 pour une grosse Gibson Firebird. UFO a embauché un cinquième musicien la même année, Paul Raymond, afin d’assurer la guitare rythmique et les claviers. L’essai précédent avec Danny Peyronel en 1976 n’avait pas totalement donné satisfaction, Schenker voulant d’un musicien polyvalent pour le seconder efficacement. Paul Raymond, ex-Chicken Shack et Savoy Brown, est expérimenté, et a un look cool. Il est aussi suffisamment discret pour ne pas venir chauffer les egos de Mogg et Schenker.

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My way

Pete Way reste toutefois toujours sur le devant de la scène, étant devenu le principal showman visuel du groupe. Way court partout, fait des bonds comme Pete Townshend des Who, se roule par terre. Il est enragé, suant sang et eau chaque soir. Les albums « Lights Out » en 1977 et « Obsession » en 1978 grimpent haut dans les classements britanniques et américains, succès couronné par l’impeccable double live « Strangers In The Night » en 1979, numéro 7 en Grande-Bretagne et 42ème aux USA. Pourtant, à sa sortie, Michael Schenker n’est déjà plus là. Après plusieurs allers-retours liés à des conflits avec Phil Mogg, ses difficultés à se faire comprendre par les autres, et sa consommation de médicaments pour lutter contre son trac maladif sur scène, le guitariste prodige s’en va se reposer quelques temps avant de retrouver brièvement les Scorpions pour l’album « Lovedrive ».

Le remplaçant de Schenker est déjà tout trouvé, puisqu’il a déjà officié à sa place sur une tournée américaine en 1977 : Paul Chapman. Personnage sympathique, surnommé « Tonka » en référence à sa résistance à l’alcool aussi impressionnante que la solidité des jouets de la marque, Chapman va réussir à maintenir le groupe à flots. Il ne réussira toutefois pas à faire oublier la virtuosité de son génial prédécesseur, qui a formé en 1980 le MSG (Michael Schenker Group) avec notamment Cozy Powell à la batterie, ex-Rainbow, et … Paul Raymond à la guitare et aux claviers.

Pin on UFOUFO poursuit son aventure brillamment au début des années 80 grâce à d’excellents albums comme « The Wild, The Willing And The Innocent » en 1981 et « Mechanix » en 1982. Le succès s’effrite un peu aux Etats-Unis mais pas en Grande Bretagne. Devenus des pionniers pour la nouvelle génération Heavy-Metal anglaise au début des années 80, Mogg, Chapman et Way, infatigables fêtards, traînent aussi avec les Punks de Generation X et les anciens Sex Pistols. Steve Harris, fondateur d’Iron Maiden, portera des pantalons à rayures en référence à Pete Way, et se tiendra sur le devant de la scène, occupant l’espace, comme le bassiste de UFO. Def Leppard leur volent quant à eux leur alliage fin de hard rock saignant et de mélodies.

Pourtant, le début des années 80 est aussi le début d’un déclin inexorable pour Pete Way. Ses yeux doux et malicieux s’enfoncent dans ses orbites charbonneux, des valises sous les yeux cachées par deux gros traits de rimmel. Pete Way consomme depuis le milieu des années 70 alcool et cocaïne, mais cette fois, c’est l’héroïne qui entre en jeu. Gentil garçon, solide, il tient pourtant fièrement son rang, ne faisant pas de vagues. Toutefois, il décide de quitter UFO en 1982, peu enclin aux nouvelles orientations musicales de Mogg qui se dirige vers les mélopées commerciales à base de synthétiseur pour tenter de maintenir le groupe à flots face à la concurrence Hard-FM de Journey ou Foreigner. Pete Way est un vrai rockeur, et ne veut pas que UFO fasse des concessions à la mode.

Pete Way — Wikipédia

Il rejoint un temps un autre brillant laisser-pour-compte : Fast Eddie Clarke, qui vient de se faire lourder de Motörhead. Le projet se nomme Fastway. Jerry Shirley, ex-Humble Pie et devenu plâtrier-peintre, prend les baguettes. Un jeune inconnu irlandais, Dave King, sélectionné parmi des dizaines de cassettes démos par Clarke et Way, prend le chant. Mais à la veille de signer le contrat avec CBS, Pete disparaît. Clarke le découvre bassiste dans le groupe d’Ozzy Osbourne lors des dates britanniques de 1982. Il lui faudra plusieurs mois pour découvrir que Way était encore en contrat avec Chrysalis. Le label refusant de lâcher le bassiste, ce dernier n’osera pas affronter Clarke afin de lui annoncer qu’il ne peut pas signer avec CBS, au risque de tout faire foirer.

UFO's Pete Way reflects on the decade of decadence he spent with Ozzy Osbourne | Louder

Milieu des années 80, ça dérape

Pete Way fonde Waysted, groupe de Hard-Rock chromé plutôt efficace sans être génial, la principale occupation de ses membres étant de boire des coups au pub. On retiendra surtout l’efficace mini-album « Waysted » en 1984, avec Andy Parker à la batterie, UFO s’étant séparé une première fois en 1983.

Way dérive de plus en plus, devenant complètement accro à l’héroïne. Il perd sa compagne d’une overdose en 1992, et sa carrière musicale s’effrite. La reformation du line-up mythique de UFO en 1995 pour l’excellent « Walk On Water » tend à redresser la barre. Mais Way passant plus de temps à se shooter dans les toilettes du studio qu’à composer, et ce devant un Schenker sortant d’une lourde dépression et encore fragile psychologiquement, le sort de cette reformation était scellé. Pete Way tient toutefois son rang dans UFO, sur disques comme sur scène jusqu’en 2005, avec ou sans Schenker, qui fera plusieurs allers-retours en 1998, 2000 et 2002. Son amitié avec les différents musiciens du groupe lui permet d’enregistrer des albums sous le nom de Way/Mogg ou The Plot avec Schenker, car même diminué, Pete est toujours un très bon compositeur.

La situation devient totalement ingérable lorsque les autorités américaines refusent de donner un nouveau visa à Pete Way pour une tournée américaine en 2005, et le bassiste n’a d’autre choix que de partir et se désintoxiquer, avec l’espoir de revenir. Il n’en sera rien. Way en sortira très affaibli, fera une attaque, puis devra se battre contre un cancer de la prostate. Il avait formé un Pete Way Band pour donner quelques concerts en Grande-Bretagne, composant pour un nouvel album solo. Il publiera son autobiographie à son image, drôle, honnête, sans fard, en 2017 : A Fast Ride Out Of Here : Confessions Of Rock’s Dangerous Man.

A Fast Ride Out of Here: Confessions of Rock's Most Dangerous Man: Amazon.co.uk: Way, Pete, Rees, Paul: 9781472124340: BooksPete Way est parti discrètement, regretté par tous ses amis musiciens qui ont aimé cet homme drôle et talentueux. L’hommage de Michael Schenker sera le plus poignant, le guitariste écrivant avec humilité et force toute la douleur de la perte de cet homme qu’il aimait tant, et qui fut son compagnon de route et son partenaire d’écriture durant les cruciales années 1973-1979, autant pour UFO que pour l’histoire du Hard-Rock anglais : « Oh mon cher Pete, je suis si triste. Ton cher être nous a quitté. Je suis en larmes. Tu étais plus que tu ne le pensais. Tu étais aimé par tous ceux que je connais. Je t’aime Pete. Que Dieu te protège, mes condoléances à tes proches. Du plus profond de mon coeur. Envoles-toi et profites du Paradis. »

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